02 mars 2008

Revenir sur le passé

Ne me demandez pas pourquoi je songe à écrire ce qui va suivre, probablement ai-je au cœur l’envie et rien de plus, comme quelque chose qui s’impose et qui ne s’explique pas. La plupart d’entres nous sont parfois poussés par un désir impérieux, une chose qui ne nécessite aucune explication et ce texte en fait résolument partie. On pourra me juger, analyser et décortiquer mes propos, me taxer de tout un tas de choses et pour certains même me conspuer mais qu’importe, ce qui pour moi compte c’est que j’exprime les idées du moment, ces paroles qui naissent sans qu’on sache trop pourquoi. Alors, malgré les réactions que cela pourra provoquer je vous souhaite une bonne lecture.

Votre Serviteur.

C’est en me penchant à la fenêtre du wagon et que j’observai la chape nuage grise, pesante, dénuée de la chaleur que promet pourtant la proximité du printemps que j’avançai en direction d’une gare inconnue. Quelle importance d’ailleurs la destination, mes pas ne défilaient de toute manière que pour me soutenir et non me mener où que ce soit. C’est un peu comme errer sans pour autant accepter le néant, comme vivre sans pour autant exister. Transparent, passant anonyme parmi les voyageurs, juste remarqué parce que je porte une veste élimée et un pantalon pas suffisamment propre, je passe sans qu’on ne voie quoi que ce soit de moi. Je ne sais pas pourquoi mais malgré les tentatives de mes voisins de compartiment je ne participe pas aux conversations. Ils ont laissé tomber, probablement intimidés par un regard aussi vide que froid, celui que j’arbore sans vraiment le vouloir, de ces yeux qui ne disent pas merci à l’humanité, de ces pupilles qui semblent être devenues noires, profondes, aussi profondes que pourrait être le néant.

Un contrôleur passe, je remarque autour de son cou une petite chaîne, la même chaîne que je porte moi-même. Il la remarque, voit également ce bariolage inutile qui décore mon avant-bras gauche, il me salue d’un hochement entendu, comme deux amis qui ne se sont jamais vus et qui se respectent. Un peu de vie dans un compartiment perdu, dans un train qui défile dans la campagne inconnue. En quittant l’endroit il me regarda à nouveau et me salua étrangement, comme on saluait du temps où tous les deux nous étions vêtus d’un uniforme, lui je ne sais pas de quelle couleur tout comme lui ignorera à jamais comment était le mien. Frères d’armes qu’ils disent dans les livres, frères de misère, frères de regrets quand on se lève et frères de douleurs quand on se couche. Il ferma la porte alors que les autres passagers se remirent à discuter de tout et n’importe quoi, des élections, de la météo, du temps qui passe, des études, de la faculté… et d’un temps qu’ils n’ont pas connu : le mien.

« Terminus » crachota enfin les haut-parleurs. Je quittai le dernier le train, pas pressé de découvrir une nouvelle cité où je ne serai accueilli que par l’asphalte et les associations caritatives. Ce billet m’aura coûté ce qu’il me restait, peut-être que l’adresse que mon ami m’avait donné existe encore. Dix ans déjà, dix longues années à marcher d’une adresse à une autre et à découvrir qu’un tel s’est suicidé, un autre mort d’un cancer. Où sont ceux qui sont revenus ? C’est long dix ans, long comme une seconde derrière des lignes ennemies, long comme l’éternité d’un chant aux morts, infini comme ce clairon qui pleure un cercueil qu’on enfouit sans personne autour de la fosse. Souvenirs lourds, moments de solitude où l’on se saisit d’une poignée de terre et qu’on la jette sur une boîte couverte d’un drapeau. Ca en valait la peine ? Souvent les gens se demandent s’il fallait ou non tenir une arme pour défendre une idée, s’il avait vraiment fallu défendre une façon de voir les choses. Même si, aujourd’hui, je ne suis plus personne, que je ne suis plus un grade ou un nom de code je ne regrette rien. Si l’on avait gagné nous aurions été traités en héros, nous n’avons pas perdus nous sommes donc des anonymes, des gens comme les autres qui ne font qu’être là, un héritage pesant et dont on ne sait que faire.

J’ai du mal, aujourd’hui encore à apprécier les grandes avenues éclairées au néon et les enfilades d’immeubles qui semblent se dresser avec orgueil pour piétiner toute chose humaine. Je déambulai en suivant les indications d’un chauffeur de taxi en direction de cette adresse. Croisement, feu rouge, foule qui avance, se fixe et parfois même recule, j’avançais moi aussi, sac sur le dos et visage fermé. Perdu dans mes pensées je n’avais rien à leur dire, rien à demander, comme si nous n’étions pas nés sur la même terre. Eux pouvaient sourire et rire du temps présent, revendiquer une chaleur intérieure qui s’était étouffée en moi au retour du front. Avaient-ils des parents ayant connu « ça » ? Probablement cet oncle dont on ne parle jamais, cette tante qui a perdu la parole autant qu’elle a perdu foi en sa patrie. Je n’ai pas perdu cette fois inébranlable en ma nation, tant il est vrai que me souvenir d’elle fut ma seule planche de salut, ma seule raison de ne pas me laisser tuer. C’est en m’arrêtant devant une boutique vendant de l’électroménager que je saisis alors tout le décalage entre ce monde et le mien : les télévisions couleurs jetaient des images d’un président pour lequel je n’avais pas voté, des scènes d’un conflit à l’autre bout du monde racontait que d’autres après moi continuaient la lutte, ces batailles éternelles mais oubliées à la génération suivante. Qui étais-je pour me plaindre, qui étais-je pour suggérer quoi que ce soit à la foule aussi versatile qu’ignorante de ce que sont la mort et le désarroi des soldats oubliés ?

Une sonnette. J’ai l’air d’un paumé, un de ces chiens errants dont on n’a que faire et dont on a envie de taire l’existence. Je me suis longuement essuyé les chaussures sur le paillasson de peur de laisser mes traces sur la moquette. Je presse le bouton, juste une fois, comme si j’avais honte de le faire. Le tintement résonne, je frémis, comme si cette porte en s’ouvrant pouvait me happer et me tuer. Comme si mourir représentait la moindre importance… La porte s’ouvre, un gosse se tient dans l’espace retenu par une chaîne. Il me regarde de ses prunelles, comme deux noisettes fraîches me longeant de bas en haut. Il me sourit comme s’il me reconnaissait. Des pas. Quelqu’un vient, une fois masculine, sa voix, celle de ce pote, quelqu’un que j’ai envie de voir et dont je crains à la fois l’apparition. M’a-t-il oublié ? Suis-je encore dans sa mémoire ? Est-ce que c’est bien lui ?

La chaîne s’enlève. La porte s’ouvre grand. Il me regarde. Il est là, il a un peu vieilli, du gris aux tempes mais plus de cheveux que la dernière fois qu’on s’est vus. Il me dit juste « Entre donc, on va se boire un verre ». Je pénètre dans l’appartement. Qui suis-je ? Un fantôme de son passé de soldat ? Un de ces épouvantails dont on voudrait ne plus avoir le souvenir ? On se scrute, timide, et pourtant je suis fier de le voir. Il était ma chair, j’étais la sienne. Une femme sort d’une autre pièce, elle semble me reconnaître elle aussi alors que je ne la connais pas. Elle vient vers moi et au lieu de me tendre la main m’embrasse sur les joues comme une vieille connaissance. « Merci d’être venue, vous lui avez tant manqué ! » dit-elle en me serrant entre ses bras. Qu’a-t-il dit sur moi ? Le gamin s’approche et demande à haute voix à son père « C’est lui le héros qui t’a sauvé ? ». « Oui mon fils, c’est bien ce monsieur. » Il verse une larme lui aussi, la même qui coule le long de ma joue. « Je ne suis pas un héros, mais j’ai servi avec des héros… »

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Merci.