03 mars 2008

Le non-sens

Ca pourrait être comme un titre de chanson qu’on écouterait pour se détendre et rire de soi. A l’instar d’un Brassens se moquant des Hommes et se riant de la bonne morale bourgeoise, on pourrait aussi dévier sur les choses que l’on suppose avoir un sens et qui finalement n’ont de valeur que parce qu’on leur en accorde. Bon d’accord, toute valeur est donnée par une échelle personnelle et non selon un référentiel, mais au bout du compte bien des choses dites indispensables deviennent étrangement superflues. A ce jeu du « Ca sert, ça ne sert pas » on peut également inclure le non-sens verbal, celui qui se fait une joie de mettre en pièces notre structure de la compréhension par l’entremise d’une langue prise en défaut.

Commençons par le sens des choses, et le non-sens qui en découle. De cette opposition naît inévitablement un conflit intérieur, celui qui provoque probablement le plus de chaos dans toutes les civilisations. L’antiquité prêtait un sens énorme à l’interaction entre le quotidien et les divinités alors qu’aujourd’hui une bonne part de l’Humanité considère comme ridicule le fait de verser une obole à des Dieux. C’est ainsi : les civilisation périclitent, leurs divinités disparaissent ou évoluent au gré des changements politiques et sociaux, et finalement aujourd’hui verser un verre de vin à Bacchus a autant de sens que de l’avoir fait à l’époque à la santé du minitel. Bon je caricature un rien… quoique : nous sommes bien capables de nous incliner devant une idole de pierre, alors pourquoi pas une faite de plastique brun ? Le sens d’une chose est donc temporaire, associé à une époque et à des mœurs tout aussi temporaires. L’évolution des sociétés engendre énormément de profondes transformations, notamment concernant les habitudes morales et intellectuelles. Mettre en doute la Foi, analyser et s’il le faut renier celle-ci était passible de sanctions et surtout d’un rejet systématique de la foule, alors qu’à présent le faire désintéresse l’immense majorité de la planète hormis peut-être ceux à cheval sur des principes hors d’âge (non je n’ai pas dit ou pensé aux Talibans…). Bref, vivre dans le temps présent fait du passé un non-sens, tout comme nos descendants suggèreront, s’ils ne se sont pas atomisés entre-temps que nous étions tous dans le non-sens et dans l’erreur.

Le second non-sens commun est situationnel. Quel non-sens pour l’Homme de découvrir qu’il a un vélo sur son canot de sauvetage au milieu de l’Atlantique, que dire de celui qui a la boîte de conserve pour se nourrir mais pas la foutue clé qui casse les languettes ou encore de sauter en parachute avec un sac ne contenant pas la voile mais des victuailles. Le non-sens me fait rire quand il est donc pris dans ce quotidien et qu’il met en déroute le bon sens commun. Ah, mine de rien les administrations et autres services tels que l’armée ou les bureaux de poste se font une joie de vous offrir des moments de grande réflexion : le document qui n’existe plus ou tiré de l’imagination fertile d’un expert es paperasse, quelle joie de s’y confronter. Ah le petit moment d’extase du bidasse harcelé dans sa tranchée qui ouvre une caisse de munitions d’un calibre totalement inconnu dans son armement, et puis cette jouissance ultime de voir qu’on sera ravitaillé non pas de rations mais de médailles (authentique ! Les Allemands parachutèrent sur Stalingrad des caisses de croix de fer en lieu et place de rations de survie. Allez comprendre…). Franchement, comment ne pas en rire ? J’admets que celui qui se trouve face au mur de la bêtise a de quoi hurler d’impuissante rage car souvent plus on cherche une explication moins celle-ci apparaît comme proche de soi. Tel un Kafka en procès pour un crime inconnu, le non-sens du judiciaire peut vous mener au poteau ou au cachot. Innocent ? Ca dépend… l’innocence n’est-ce pas là l’état qui précède la culpabilité ? Comment ça, c’est un non-sens que de l’affirmer ? Allons bon !

Enfin, la langue, mon amour, ma douce passion ! A toi seule tu sais faire du non-sens un art, que dis-je une philosophie en soi ! Que penser d’un « C’est aussi absurde qu’un poisson sans bicyclette » ? Dites le moi… parce que moi j’en ris avec délice ! La poésie aime à jouer du contraste et des sens détournés pour que le lecteur puisse apprécier les figures de style. « Le bruit du silence », « L’odeur de la mort », tout ceci n’a pas vraiment de sens puisque le silence est l’absence de bruit et que la mort n’a pas d’odeur… bon d’accord la mort « peut » avoir une odeur, surtout après une demi-journée en plein soleil d’été mais là c’est chercher loin. Je disais donc que le non-sens est un des joyaux de la couronne de la linguistique, s’incrustant entre la rime et la parabole. Pratique, esthétique, facile à manipuler, le non-sens de nos propos apporte souvent le réconfort à celui qui l’utilise : « J’aime à croire que je suis pas suffisamment con pour comprendre que je ne le suis pas ». Orgueil et non-sens puisque nous sommes le pire juge pour soi, car c’est avec notre propre intelligence qu’on se juge. Mathématiquement c’est de la récursivité, et ça peut vous donner le tourni.

« Je suis con, donc je ne peux pas me juger. Mais si je suis con, je ne peux pas non plus penser cela donc je ne suis pas con. Mais en n’étant pas con alors donc je peux dire que je sais me juger mais comme j’en suis incapable je suis donc con… » Et merde…

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