08 mars 2008

Conteur

Je vous mets en garde, ce texte est long et risque de contenir des fautes. Ecrit rapidement, je ne sais pas trop ce qu'il donne une fois lu à tête reposée... mais j'espère qu'il saura vous plaire.

Cordialement,
Votre obligé

Les hautes murailles de la cité symbolisaient sa fierté. Taillées dans la roche, orgueilleusement enluminées par des gargouilles et des meurtrières, elles représentaient un havre apaisant pour les voyageurs et une menace pour les conquérants. Bâtie sur la base de deux enceintes circulaires, la basse cour était faite d'allées hautes et étroites où le petit commerce pullulait. Entre étals et bâches les animaux étaient gardés pèle mêle près des victuailles. Une odeur étrange mêlant bois brûlé et épices fraîches rendait la visite de ces voies bariolées très étrange, comme si d'un pas à l'autre on changeait de lieu. Les escaliers en colimaçon, solidement gardés par des hommes équipés d'une hallebarde emportaient les gens vers la seconde enceinte aux rues et chemins plus larges. Là haut le marché était interdit, seules les négociations orales étaient permises sur la grande place pavée. On y voyait nobles en tenues aux couleurs vives et négociants de toute sorte se serrer la main en signe d'accord commercial. Les dames palpaient des échantillons d'étoffes, sentaient de minuscules bocaux afin d'en choisir le plus subtil, le dernier à la mode dans la cité. Garnie de six tours disposées avec soin, le cœur même de la ville fortifiée se dressaient, rectangulaires et percées de rares fenêtres toutefois décorées de vitraux. Les toits pyramidaux semblaient briller au loin tant leurs tuiles vernies reflétaient le soleil. Toute la force et la richesse de ces lieux reposaient sur deux choses essentielles: l'innovation et la précision.
Le suzerain de ces lieux, homme ferme et peu enclin au compromis s'était entouré d'une foule de scientifiques de tous les recoins du monde connu. Chacun apportait sa pierre à l'édifice : Chimie, biologie, médecine, mécanique, art de la guerre, métallurgie, chacun avait emmené avec lui une connaissance que nul autre n'aurait pu développer ici même. Depuis les lames des couteaux forgés avec une finesse inégalée jusqu'aux techniques de construction audacieuses, chaque jour apportait le renouveau et l'évolution. On avait assisté à des feux d'artifice, à l'envol d'oiseaux de papier, à la fabrication de livres pour le petit peuple, bref une éternelle effervescence.

L'envie. Le désir de posséder ces biens, voilà ce qui tourmentait les autres cités. Leurs maitres avaient tous une haine féroce pour ce "roi de pacotille" offrant à la populace le luxe et l'opulence. C'était contre nature que de faire en sorte que chacun soit libre de ses opinions et soit capable de s'enrichir. La légende voulait que toute personne volontaire et capable puisse devenir riche derrière les murailles. Plusieurs batailles s'étaient déroulées et toujours à l'avantage de la ville. Il faut dire que les sciences étaient mises à profit pour s'assurer des victoires radicales: usage du feu, de la poudre, d'engins projetant la destruction. C'était comme si cette étincelante beauté était à la fois bijou et arme redoutable.

Il arriva une nuit sans lune, vêtu d'un pagne détrempé et souillé par des jours et des jours de marche forcée à travers les collines forestières de la région. L'automne avait tracée ses sillons dans la boue fraiche et lui y avait laissé des empreintes fugaces de son corps fatigué. On le fit entrer sans difficulté une fois qu'il accepta de se laver au bain public. Un étranger à la peau mate avait fait comprendre à la population quelques temps auparavant que l'hygiène les sauverait de la maladie. Une fois épouillé, lavé et vêtu avec pour seule contrepartie l'engagement de rester à travailler un mois entier, il alla se coucher dans la pièce commune réservée aux arrivants. C'était une allée gigantesque, haute sur colonnes au plafond fait de voûtes dont le sol de pierre voyait sa surface occupée par d'innombrables paillasses. Quatre soldats faisaient régner l'ordre et une certaine discipline, tandis que quelques camelots étaient tolérés pour vendre boisson et nourriture pour de modiques sommes. On lui fit prendre une place près d'un des murs, places peu appréciées à cause de la fraîcheur permanente de la roche. Son but était de faire comme tout le monde, s'enrichir puis repartir vers sa province et ainsi acheter sa terre si durement travaillée pour un propriétaire.
Il commença à s'assoupir, fermant les yeux et serrant contre lui son sac de lin contenant ses derniers effets personnels. Lentement, il plongea dans les songes et se replia pour prendre sa place dans la couche de paille fraîche…

Un bruit.

Des pas rapides. Puis des chuchotements.

Une main qui se pose sur son épaule, il émerge. Un garde le secoue et l'invite à se lever. Il sursaute, remet ses vêtements en ordre et écoute avec attention, comme pendant la chasse au cerf. Quelque chose se passe, mais quoi. Une fumée lui pique les yeux et les poumons, il tousse un peu. Un incendie? Connaissant le danger du feu dans les villes, il se mit à dévaler les couloirs à peine éclairées par les torches et sortit dans la basse cour. Là, il vit les colonnes grisâtres et les braises qui s'élevaient sur les flancs des murailles ainsi que dans plusieurs parties de la cité. Rien à voir avec un simple incendie accidentel, il vit plusieurs traits de flèches embrasées atterrir sur les toits en tuiles de céramique. Par chance, peu de maisons étaient couvertes de chaume et ce n'était que la paille et les fourrages qui prirent feu. Accourant vers les postes de garde, il entendit les ordres déferler de la bouche des hommes. "A gauche, sur le mur! Là, les meurtrières! Sortez les arcs! Qu'on apporte le poix!" Vite!" Bousculé, pris dans la foule, il vit les civils se jeter sur les récipients et les seaux pour faire des chaines humaines et éteindre les feux qui commençaient à menacer certaines charpentes. Lui, il sentit son cœur battre à tout rompre et se sentit emporté dans une brigade en armes fonçant droit sur la porte principale. On avait abaissé les grilles de défense qu'un lourd bélier fait d'un chêne à l'horizontale tentait de faire tomber. Une brèche avait été ouverte sur la droite, les barreaux ayant été tordus aux premiers chocs. Des corps gisaient là, encore saisis par la stupeur du combat nocturne. Sans hésiter il se saisit d'un glaive planté dans un corps. En le tirant il vit la lame souillée et frémit tant d'excitation que de frayeur. Que faisait il, lui fils, petit fils de paysan, n'ayant jamais vu autre chose que la campagne et les bosquets? Décidé à en découdre, il se lança dans la foule s'agitant devant lui. Des cris s'envolaient, des mains, des bras et des jambes s'enlaçaient avec brutalité. Sans même prêter attention au risque, il monta sur les morceaux de bois et les morts, hurlant des mots sans suite ni logique. A ses côtés plusieurs soldats le virent et tentèrent de le repousser vers l'arrière. L'un d'eux lui cria "va te vêtir imbécile!" Puis se jeta avec rage, une hache à la main.
Soudain, le mouvement se fixa, comme interrompu dans le temps. une série de sifflements déchirèrent le ciel, terrifiante mélodie provenant du néant. Une voix brailla "FLECHES!" et tous se jetèrent à terre, se couvrant de boucliers ou de corps pour ne pas être empalés par les carreaux lancés par milliers. Il imita les soldats et se mit à l'abri derrière un recoin d'un mur. Il vit défiler les pointes de fer fixées aux branches taillées et fut surpris du bruit infernal que cela produit à l'impact. De partout des pointes se fichèrent dans les hommes, les objets et même les fissures et les jointures des murailles. L'instant d'après tous se redressèrent ou presque et reprirent l'assaut pour défendre la cité. Pas question de laisser entrer qui que ce soit. Lui, il fit quelques pas en arrière et prit sur un blessé sa cote de mailles ainsi que son casque. Quitte à mourir au combat, autant le faire dignement se dit-il en revenant à la charge. Là, l'autre soldat lui lança entre deux coups de hache "tu vois quand tu veux petit!".
A nouveau le cri pour les flèches! Encore une fois la nuée de frelons s'envola et vint percer le ciel avec violence. Il n'eut pas même le temps d'avoir peur quand il sentit les traits le frôler de toute part. il se tâta, vérifia son corps, pas de trace ni blessure. Que Dieu soit loué souffla-t-il pour se rassurer. Du haut des tours on hurla un ordre "Reculez! FEU!" De toutes les ouvertures le jeune paysan vit dégoûter des quantités énormes d'un liquide sombre et fumant, dont certaines parties étaient en flammes. Du poix brûlant, de l'huile en ébullition! Les fantassins en dessous furent pris d'une terreur incroyable quand les premiers malheureux furent touchés. On se jeta dans les douves pour y trouver une eau salvatrice et signe de survie, de partout on recula pour ne pas être consumé par cette arme terrible et sanglante. Le bélier pourtant reprit son mouvement après s'être un instant arrêté, une seconde vague d'assaillants l'ayant saisi aux flancs. En avant... en arrière... A pleine vitesse. Un tremblement..La lourde grille allait céder, impossible qu'elle supporte un impact de plus avec une telle puissance. Il se décida alors à se faufiler, déterminé à empêcher quiconque de réussir une telle victoire. L'épée brandie bien haut, il se jeta entre les ruines enflammées, entre ces corps noircis et fumant, puis planta au hasard sa lame, serrant les dents à chaque estocade.

Il n'entendit pas les cris de ses compagnons qui le suivirent dans sa folie, il n'entendit pas l'ordre de ne pas y aller. Passant le tronc, il vit au loin quelques chevaux et une troupe tenant lances et boucliers dans l'attente d'une riposte. Arrivé à mi chemin de l'entrée et de cette troupe, il se fixa et pointa son arme vers les cavaliers. Menaçant, il les invita à ne pas être lâches, à se battre jusqu'au bout. Celui qui semblait être le chef de l'assaut ôta son casque, observa le jeune arrogant et le salua de la main. Il fit pivoter son cheval intégralement protégé d'une lourde armure de plaques et battit les flancs du percheron de ses talons. Toute la troupe pivota en voyant le maître donner l'assaut. Pas question de le laisser seul, ce serait déshonneur et mort assurées Le cri de guerre retentit dans la cuvette, de partout le pas s'accéléra. Sûr de lui, sûr de son fait le jeune homme se mit en attente, bien positionné pour supporter le choc terrible qui se préparait Il regarda autour de lui et vit alors qu'il n'était plus seul. Les soldats l'avaient rejoint et se tenaient, comme lui, droit et fermes face à l'assaillant. Toujours ce gaillard près de lui, toujours cet homme fort qui lui lança avec chaleur "Tu es courageux petit... prêt?" Il sentit un sourire de fierté se former en lui. Un soldat qui lui fait l'honneur de le dire courageux... mourir serait doux ce soir. Tout à coup, on entendit un craquement, comme un arbre qui s'effondre dans la forêt. Un, puis deux, puis un troisième craquement identique résonnèrent depuis les murailles Cela fit trembler le ciel quand les blocs de pierre s'abattirent aux pieds des défenseurs. Les catapultes avaient été chargées et se mettaient enfin à tirer. Les lourds blocs tombèrent dans un fracas assourdissant, faisant trembler la terre avec fureur. Loin d'être effrayés, les attaquants ne réduisirent pas d'un pouce leur vitesse, comptant ainsi sur la proximité de l'ennemi pour que l'artillerie n'ose plus lancer ses jets.

La charge de cavalerie fut dévastatrice: la première ligne s'effondra d'un seul tenant, saisie par l'avancée et emmenée comme un fétus de paille. Jeté à bas par les lances, certains cavaliers lourdement équipés se retrouvèrent à terre sans pouvoir se défendre. Derrière, l'infanterie s'avança dans une course infernale, brandissant pointes et protections pour s'ouvrir le passage. Nombre de soldats périrent piétinés par les deux camps. Les chevaux piaffaient, sautaient et jetaient leurs sabots ferrés tant sur l'ennemi que sur les alliés. On entendit plus d'un cri déchiré de douleur, on vit plus d'un regard se vider de la Vie. Le paysan lui, tournoyait, heurtant de son arme toute personne à portée. Il voyait la fin d'approcher, la mort l'emmener et oublier son nom à jamais. Il sentit une douleur à son épaule, juste en haut de son dos. Une flèche! Il se jeta à terre pensant à une nouvelle volée ennemie... mais celle-ci provenait des remparts. On avait fait signes aux archers de raser le couloir d'accès, quitte à blesser et tuer des amis, des frères et des serviteurs de la cité. Le digne sacrifice des enfants de la prospérité pour que la ville ne meurt pas envahie et pillée.
On lui ôta la pointe avec brutalité et des mains l'aidèrent à se relever. Au milieu du tumulte il y eut encore énormément de morts et de blessés. Il affronta sans reculer la cavalerie en débandade, il planta sa lame ensanglantée dans plus d'un corps, quand il vit reculer lentement le chef. Celui-ci leva la main droite, fit un signe et chacun se retira lentement, à reculons. Pas un mot ne fut dit, pas une seule parole ne sortit de qui que ce soit. C'en était fait, l'assaut avait échoué. Le soldat, ce nouvel ami et frère d'arme lui ayant adressé la parole se redressa lui aussi, ôta lui aussi son casque et fit signe au chef. Tous les autres soldats entourèrent l'homme qu'il put enfin distinguer: de haute stature, le menton carré, les cheveux bruns, la barbe en broussailles et l'œil pétillant, tous saluèrent l'homme en lui disant "Hourra à notre Roi!". Le roi?! Le Roi tenant une hache et défendant sa cité de ses mains?! Voilà qui est impossible! Un roi ne se bat pas, il guide, domine et dirige!

Il s'approcha du jeune paysan, lui frotta la tête de sa lourde main calleuse et lui dit en souriant "Jeune homme, si tu survis à tes blessures, tu prendras ton prochain repas avec moi, à ma table! Qu'il en soit ainsi, c'est ma décision!"

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Et le bougre prétend ne pas être de ceux qui peuvent nous transporter en quelques maux?...