12 décembre 2007

Notice de communication

Le texte du jour a pour but de présenter l’ennui quotidien qui est commun à tous, c'est-à-dire ce petit souci technique que représente d’établir une communication avec autrui. Cela semble très simple de prime abord car de prime abord, contrairement aux autres animaux (mainates et perroquets exclus) nous avons l’outil de la parole supposé régulariser et formaliser la discussion. Si seulement c’était vrai…

Prenons tout d’abord la langue. L’outil en lui-même est séduisant car il instaure des procédures très claires, enfin théoriquement généralement admises afin que plusieurs personnes puissent s’écouter mutuellement et réussir à trouver un sens commun aux mots. Dans la pratique, il a tout de même fallu que l’humanité se permette de créer plus d’un idiome et ainsi faire en sorte que tous nous soyons pris au piège de la traduction. Faites communiquer un Français avec un Espagnol qui bien entendu ne parlent pas la langue de l’autre. Grand moment de solitude partagé quand la tentative échoue et que les mots se reportent alors sur les mains, ce qui reconnaissons-le immédiatement est inaccessible au commun de mortels si l’on exclue les sourds et les muets. Bref, rien que la langue peut devenir une barrière presque infranchissable si l’on n’y prend pas garde.

Soyons charitables : prenons l’exemple moins radical de deux personnes qu’on nommera A et B qui l’une comme l’autre babillent en une langue commune. Là malheureusement on passe de l’impossibilité au pathétique, surtout quand les deux pauvres hères s’essayent à l’anglais avec un accent inadapté. L’Allemand de Bavière discutant avec le Marseillais, il y a de quoi faire une scène comique digne d’un César de Pagnol... Savoureux pour les spectateurs, bien moins pour les interlocuteurs. Toujours est-il que sous les dehors de louables efforts, le moment tournera de toute manière au fiasco le plus total, et ce menant invariablement à une frustration pouvant parfois tourner à la colère et même à la violence. Je suis convaincu que les douaniers Français ne se sont pas compris avec les forces allemandes en 1940… (Boutade… oui je précise histoire de m’épargner des foudres divines.)

Maintenant passons à ce qui nous touche bien plus souvent, c'est-à-dire les conversations qui nous entourent et qui contiennent des domaines linguistiques insoupçonnés pour ceux qui n’y sont pas initiés. L’informatique, la médecine, le bâtiment, bref tous les corps de métiers contiennent ce genre de dictionnaire de mots inutilisables ailleurs. En même temps je me demande ce que feraient un toubib d’un « processeur arithmétique » et un maçon d’un « spéculum ».Quoique… Mais pour ceux qui n’ont jamais eu ouï-dire de certains termes, il y a de quoi perdre le fil de la conversation et surtout de devoir opiner du bonnet en ayant un air pénétré de l’intelligence et de la connaissance dont bien entendu l’on ne dispose jamais. Je reste de plus convaincu que certaines professions se complaisent dans l’obscurantisme de manière à se préserver des aires de discussion où seuls des initiées peuvent errer en paix, et ce malgré l’indigence du contenu dont finalement tout le monde se moquerait ! C’est sûrement là toute la puissance du langage : rendre imbuvable des choses simples. Tiens, et si la profession de politicien n’était que ça finalement… j’y méditerai un de ces jours.

Allons à présent dans le fin fond du trou, l’apocalypse personnelle, cette douleur intolérable qu’on peut ressentir quand le discours précédemment décrit s’adresse à soi. Comme je le disais ci-dessus certaines professions sont convaincues qu’en vous parlant avec technicité vous comprendrez alors plus aisément votre incompétence. Prenez le copain expert en informatique qui, au lieu de vulgariser la chose en disant « brancher le bidule A dans le trou B » vous sortira avec fierté « tu as bien enfiché la carte AGP dans le port idoine ? Et l’alimentation c’est bien une ATX ? Non parce que parfois le bus PCI peut avoir des conflits… » Agaçant n’est-ce pas ? J’en vois même certains qui sont au bord de la colère tant cela semble être à l’image d’une situation déjà vécue. Désolé les amis, je grille votre couverture : parler techniquement ne rend pas compétent, alors que réussir à dédramatiser et exprimer clairement des choses complexes est une preuve de compétence… à la condition de ne pas raconter n’importe quoi bien entendu. Je pourrais aussi bien aborder la question du formulaire, le criminel numéro de série qu’on vous annonce derrière un hygiaphone inaudible et qui semble tout droit sorti d’une référence de pièce mécanique : « Vous avez le formulaire rose A234-B354.234 bis ? Non ? Retournez à l’autre bureau je ne peux rien pour vous ! ». Caricatural ? Pour y avoir eu le droit plus d’une fois… Point de mauvais esprit je vais m’attirer les foudres des bureaucrates et malgré tout lecteurs de mes élucubrations.

Enfin, admettons tous ensemble que nous nous amusons à tourner autour du pot, à traîner les pieds sans nécessité et même à y trouver du plaisir. Rien que le fait d’en être rendu à ce point du texte est une démonstration de ma verve mise au service de l’inutile et néanmoins indispensable vocifération quotidienne de mes idées bordéliques. La séduction n’est-ce pas l’art de ne rien dire de ses idées tout en les faisant comprendre ? Comme si séduire c’était se laisser piéger et non pas saisir immédiatement les envies mutuelles… Un peu de bonne foi serait fort utile parfois, non ? Toutefois je concède mon goût immodéré pour la circonlocution, ou l’art du tournage autour du pot. Misère…

3 commentaires:

Anonyme a dit…

"Je voudrais trouver, dit Clairwill, un crime dont l’effet perpétuel agît, même quand je n’agirais plus, en sorte qu’il n’ y eût pas un seul instant de ma vie, ou même en dormant, où je ne fusse cause d’un désordre quelconque, et que ce désordre pût s’étendre au point qu’il entrainât une corruption si générale ou un dérangement si formel, qu’au-delà même de ma vie l’effet s’en prolongeât encore."
Dire que notre écrivain favori aurait une plume nécessitant un port d'arme de première catégorie, ce serait assez dédramatisant? Surtout qu'il vise bien et vite...

JeFaisPeurALaFoule a dit…

On m'a toujours affirmé avec verve que la plume d'acier du waterman était plus forte que la culasse de fer du Mauser... ce que contesteront sans équivoque les habitants de bien des régions d'europe. Quoique, il s'est souvent avéré plus efficace de rédiger un ordre d'exécution que de prendre soi-même en charge la réalisation de grands projets d'envergure. C'est probablement là où l'on a fait une différence orthographique entre la gaze et le gaz...

Anonyme a dit…

La plume a un avantage sur la langue, elle laisse des traces...