27 novembre 2007

Nettoyage d’hiver

A l’instar de l’écureuil l’homo debilus a une fâcheuse tendance à accumuler tout et surtout n’importe quoi dans ses pénates, comme si les lendemains qui déchantent étaient pour ainsi dire la règle. Etrange chose qu’est notre intérieur : patiemment nous engrangeons une quantité invraisemblable de petites choses, de petits riens qui mis bouts à bouts forment un capharnaüm indescriptible. Grenier ou cave, étagère croulante sous les bibelots infâmes et souvent grotesques, placards jamais ouverts de peur d’y trouver le croque mitaine, tous nous additionnons nos reliquats de souvenirs sous la forme d’objets hétéroclites.

D’un point de vue purement sentimental on pourrait aisément pardonner ce conservatisme de prêteur sur gages : le briquet du grand papa, la pelote de laine du chat parti trop tôt (ou trop tard en regard de l’état du canapé favori du félin), et ces cartes postales qui racontent des tranches de vies banales mais ayant prises la patine jaunâtre du temps. Encore que parfois on pourrait s’abstenir, ou tout du moins faire un petit tri sélectif de sorte à ne conserver que l’essentiel pour ne pas s’encombrer du superflu. Je puis saisir l’intérêt de garder le nounours favori du petit dernier, mais de là à garder son coffre à jouet complet avec son contenu, il y a une marge de manœuvre fort large non ? Et puis, faire don de ces choses là saurait rendre d’autres au moins aussi heureux que ce petit … qui a trouvé le moyen de dénigrer le jouet déniché à prix d’or mais jamais utilisé dans les faits. Enfin bon, l’aigreur est inutile, on pardonne à ceux qu’on aime, paraît-il…

Bref, oser mettre le nez dans la poussière et les toiles d’araignées dans la glauque demi obscurité du grenier en faisant grincer le plancher instable, c’est une aventure en soi, un moment de grande solitude quand d’un coup, ou plutôt d’un pied mal assuré l’on s’enfonce dans un de ces cartons non étiquetés qui se révèle être la porcelaine hideuse d’un cadeau cruel d’amis déjà oubliés. Le craquement distinctif de la vaisselle broyée est en soi une douleur, mais encore plus en se demandant avec angoisse si la soupière de la grand-tante Gertrude n’y est pas planqué. Vous avez tous ce machin là, ou du moins son proche parent… mais si ! Cet objet laid, inutile, encombrant mais qu’on vous lègue avec emphase en déclarant que c’est un héritage inaliénable de la famille ! Alors, prudemment, le viking des soupentes tire ses orteils du carnage vaisselier, se penche et souffle avec calme en voyant la fameuse boîte en céramique couleur arc en ciel trôner sur une poutre, hors de portée des mains maladroites et potelées des enfants qui grandissent trop vite.
Après la destruction, le rangement ! Lancerait notre héros des temps grisonnants. Hélas, trois fois hélas, le rangement ne se résume jamais à déplacer d’un point A, le grenier en l’espèce, à un point B, la poubelle la plus proche, non, il faut trier au préalable, faire un « best-of » du merdier privé pour n’en garder que l’essence, la profondeur, que dis-je le miracle des souvenirs désordonnés ! Pour peu que les maîtres de maison soient comme moi, c'est-à-dire atteint d’un désordre intellectuel nommé pudiquement « bordélite aigüe », il devient au moins aussi délicat d’ouvrir un contenant que d’en tirer le contenu. Ah ces cartonnages estampillés des marques disparues, ce gros emballage marqué « Radiola » qui contient les vêtements trop petits de trois générations et qui pèse alors plus lourd que la télévision originelle… Et ce melting-pot de couleurs criardes, ces coupes devenues ringardes, on en vient vite à douter de l’existence d’un paradis tant l’enfer textile se fait oppressant.
Pris de convulsions et d’une soudaine fatigue, la chose finit alors par descendre au salon de manière à laisser un tiers se charger de la vile besogne en prétendant que « je n’ai pas de goût, à toi de t’en occuper ma chérie », le tout payé d’un baiser furtif et pourtant chargé d’une fielleuse émotion. « Rends moi service et je ferai en sorte de débarrasser ce merdier ! » se cache en substance derrière cet acte de tendresse quotidienne. Après négociation sur la tonte de la pelouse / débarras des ordures pendant deux semaines / courses du samedi après midi (rayez les mentions inutiles), notre homme reprend alors son expédition des hautes sphères de la maisonnée. Caisse après caisse, valise de cuir élimée après empilement de journaux périmés, le Saint Graal apparaît : la boite à chaussures. Foutue idée que de recycler ces choses là, vicieuse et perverse invention que le rangement standardisé ! Qui prend le temps de marquer sur le flanc le contenu de la bête de carton ? Personne, je dis bien personne ne se charge de ce travail de longue haleine, mieux vaut le laisser aux générations futures, ou plus bêtement se retaper le tri quelques années plus tard ! Et que ça défile : les pin’s que plus personne n’arbore au revers (en dehors des décorés de la légion d’honneur qui n’a plus d’honneur que le nom), accumulation de stylos hors service et pastels dures comme de la pierre, craies grandes comme des gommes de critérium, sans oublier l’inusable collection de cassettes audio ou vidéo dont la plupart sont aujourd’hui inutilisables puisque l’appareil les lisant n’existe plus ou est en carafe. Des heures passent, pas à pas la pile de « on vire » grossit à peine tandis que le « on garde » se refait une santé sous les yeux exaspérés de notre professionnel du non rangement.

Et là, le cri de désespoir de l’homme des greniers : « Fais chier ce merdier, vais tout foutre à la benne ! Plein les … de devoir me retaper ce tas de m… pour tout garder ! », puis d’enchainer sur un lyrique interrogatoire : « Chérie ? Les cassettes de Lara Fabian, des Beatles qu’on a en CD, les vidéos enregistrées sur TF1, on en fait quoi ? » et elle de répondre « bah ce que tu veux, moi je n’ai jamais écouté ou regardé tout ça ! » … « Garce, lâcheuse, pourriture communiste… » marmonne le pauvre bougre qui soudain reçoit un rouleau de sac poubelle sur la tête. « Tiens mon ange, tu pourras les remplir, mais pas trop lourd j’ai mal au dos. » … Mais c’est qu’il va finir dans la rubrique des faits divers ce couple « Morte pour avoir demandé à son époux de ranger le grenier pour un nettoyage d’hiver ».
Du calme, de la retenue… Allez les vieux magazines pourris et mités, hop, dans la grande gueule noire ! Oh ! Ma collec’ de jeux vidéos de quand j’étais un mouflet ! Ca marche encore ce truc ? La vache ! y a encore des piles dans le jouet ! Et puis tiens mes biblio verte ! Tiens et puis ça là, la tuture qui fait pouet quand on la fait rouler…

« Chéri, CHERI ! … Il s’est encore fait attendrir par ces saletés de jouets » lance enfin la tendre et chère moitié de notre gaga d’adulte….

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