24 septembre 2007

« Stand alone complex »

Je m’attaque à une théorie fort intéressante émise dans une série japonaise (Ghost in the Shell - Stand alone complex) qui se résumerait selon le principe suivant :
« Le stand alone complex (S.A.C) est l’apparition spontanée de copies d’une idéologie, méthode ou comportement à partir d’un original n’ayant finalement jamais existé ». D’un point de vue purement sémantique ça semble déjà totalement incohérent. Le pragmatique va lancer « Une copie sans original ? Ca n’a pas de sens ! », alors que le philosophe ira de son « Si l’on copie quelque chose, c’est qu’il y a un trait à imiter ». Et pourtant, j’ai l’impression que ces deux penseurs se trompent terriblement en excluant ce principe qui, à mon sens perce de plus en plus dans notre monde « moderne ».

En terme d’explications du « S.A.C », je vais passer par la démonstration par l’exemple, en me référant à ces choses concrètes et non juste des idées purement théoriques. J’espère permettre au plus grand nombre de comprendre la théorie du S.A.C et ainsi laisser des pistes de réflexions ou de critiques.

Premier abord au principe S.A.C : le terrorisme moderne.
Dans une société moderne, la communication et les médias offrent un défilé ininterrompu de données et d’informations sur tout et n’importe quoi, le tout agrémenté de commentaires plus ou moins judicieux laissés aux bons soins de la ligne éditoriale du média. L’exemple le plus concret est le terrorisme : d’un côté nous diabolisons l’Islam en classant tous les musulmans dans le S.A.C extrémiste des Talibans ou de Al-Qaeda, en face des chaînes de télévisions en feront l’éloge. Jusque là, tout semblerait simple sauf que la pratique nous permet de constater un phénomène inquiétant et étrange : l’émulation, ou plus précisément à mon sens le « Stand Alone Complex ». Pourquoi ? En recoupant les évènements survenus dans bon nombre de pays du monde étiquetés Al-Qaeda et le personnage fantomatique de Ben-Laden, on peut légitimement se poser les questions suivantes : existe-t-il vraiment ou est-ce un épouvantail fabriqué de toutes pièces par la propagande étatique des USA, et dans ce cas ceux qui se réclament de lui sont-ils donc des victimes du S.A.C ?
Je m’explique plus clairement : si Ben-Laden n’existe pas, que copient donc les groupuscules terroristes ? En élargissant la vue sur ce principe, on constate que tous les mouvements fonctionnent sur un schéma type très simple : embrigadement, entraînement effectué à l’étranger et de préférence en zone de guerre, financement occulte par des dons anonymes et au final montage d’une unité totalement indépendante de toute hiérarchie réellement organisée. On accuse Al-Qaeda d’être une pieuvre, mais au fond, ses tentacules se connectent-elles réellement à un corps quelconques ou bien chacun de ses groupes n’est-il que l’expression du S.A.C dans une société dont ils rejettent le fonctionnement ? Si Ben-Laden est l’épouvantail tant agité pour permettre de faire passer tout et n’importe quoi aux USA (patriot Act 1 et 2, lois liberticides…), il y a fort à parier que l’effet S.A.C n’était pas du tout prévu par les « génies » du renseignement…

Le S.A.C en politique.
Terrain favori de ce phénomène, la politique permet une intrusion radicale du concept « stand alone » dans nos vies. Encore une fois il semble de prime abord impossible qu’on puisse dupliquer et répandre une idéologie politique sans qu’il y ait de tronc commun, de symbole fort. J’imagine bien la surprise des gens à qui j’irais expliquer l’idée du S.A.C en politique, ils me traiteraient de rêveur ou de fou, chose que je comprendrais, sauf si l’on prend pour exemple les arnaques politiques et le principe même de propagande. L’émulation humaine, encore une fois, joue un rôle majeur dans la création de masses dociles et obéissant à des modèles n’ayant aucune réalité physique ou morale. A chaque fois la revendication part d’un « idéal », d’un principe impossible à atteindre mais qu’on martèle avec tant de force qu’elle en devient vérité, du moins pour le peuple harcelé d’idées reçues. Le nazisme, le fascisme, le communisme soviétique, toutes ces idéologies ont fleuries sur le fumier fertile de l’idéal physique et moral. Qu’on m’explique comment un homme brun, pas très grand, braillard et nerveux en diable a-t-il enfoncer dans le crâne de son peuple qu’il se doit d’être grand, blond, musclé et aux yeux bleus. En poussant au bout de l’idée, les « plus royalistes que le Roi » sont donc des S.A.C puisqu’ils revendiquent d’agir selon une ligne de conduite que nul ne leur a dicté. Ils se copient donc sur quelque chose… qui n’existe finalement pas, voire pas même dans le discours officiel ! Les communistes les plus acharnés, les plus grands bourreaux de l’Histoire se sont réclamés des ordres d’un chef qui, dans l’absolu, n’est jamais directement intervenu ni même annoncé une telle volonté. Le drame de la Shoah est un exemple terrifiant : Hitler n’a jamais clairement énoncé le vœu de créer des chambres à gaz, ou bien d’exterminer les juifs. Il a simplement demandé « une solution définitive »…
La haine irrationnelle de la différence est un autre Stand Alone Complex. Qui le premier a décrété que le noir est inférieur au blanc, et qui parmi les racistes peut prétendre avoir pris un tel discours en dehors de toute influence extérieure ? La question est posée au même titre qu’on n’ignore pas une part de préjugés en soi, dont on ignore l’origine et dont a bien du mal à se départir… Je suis donc un Stand Alone Complex, en imitant malgré moi un modèle qui n’existe pas…

Stand Alone Complex et commerce.
Les deux exemples précédents ne font qu’entériner l’idée que la masse est plus docile que l’individu, et que si la masse accepte, l’individu fléchit. En tenant compte de ce précepte, on peut observer des attitudes consuméristes dignes du S.A.C, car oui, en imitant autrui sur des idées dont on ignore l’origine même, on finit par être un Stand Alone Complex. Ne vous offusquez pas, inutile de hurler que vous êtes des êtres doués de raison et ayant toute liberté de réflexion. Un exemple ? Apple ! A chaque nouveau produit la foule de fans se jette littéralement sur la marchandise, brandissant l’objet tel un Graal technologique, et jurant à qui veut l’entendre que « Jamais il n’y a eu d’aussi bon produit ». Comment sont-ils arrivés à ce comportement ? Sont-ils doués du sens de la critique et de l’analyse ? Que les produits Apple soient bons est indéniable (quoique tous ne sont pas nécessairement les meilleurs du marché), mais ça ne fait pas de Steve Jobs un messie ! Alors d’où vient cette folie ? J’imagine bien qu’on parlera de rumeurs, de « buzz » internet, de la réputation et de la qualité de la propagande de la société à la pomme, mais je crois surtout qu’il s’agit là d’un Stand Alone Complex de qualité. Depuis des années bien des gens répètent que Apple est génial… sans avoir jamais vu un produit à eux, et en poussant un peu bon nombre d’entres eux seront incapables de savoir d’où vient cette réputation, ou même pourquoi ils « aiment » Apple. Choquant quand il s’agit de votre argent… Tout est à l’avenant : on croit décider, mais dans l’absolu on est guidés non par des faits mais par des demi-idées qu’on module et s’approprie, pour ensuite les disséminer comme du pollen.

Dernier aspect : le S.A.C et la morale.
Là c’est le point le plus sensible car après tout il nous touche tous autant que nous sommes, et là où le S.A.C est vraiment terrifiant c’est que nous acceptons tous des comportements qui nous semblent normaux alors qu’au fond ils ne sont le reflet que d’une morale à laquelle l’on n’adhère pas nécessairement. En voici quelques exemples : des siècles durant la Famille était élevée au rang de cellule vitale et indispensable, et en l’espace d’à peine trente ans nous l’avons rendue obsolète et même inutile. Nous ne sommes plus choqués par les familles recomposées, les familles mono parentales, les situations étranges où l’on ignore même qui est le père ou la mère des enfants, et au surplus on regarde comme une bizarrerie le mariage, comme si c’était une résurgence passéiste et démodée.
Quand diable ces idées ont-elles commencées ? Qui le premier ou la première a énoncé que nous devions nous débarrasser de ces carcans ? Nul ne saura répondre à une telle question, ce qu’on sait en revanche c’est que ces nouveaux principes se sont répandus à une vitesse phénoménale et qu’un sociologue aujourd’hui souffre de ne pas forcément tout saisir d’une société en perpétuel mouvement. Référence hier, aujourd’hui périmé, et demain décrié, chaque jour on fait varier nos opinions avec une propension à la déformation choisie. Revendiquant le respect de certains principes, je passe aujourd’hui pour un rétrograde en mal de contrôle masculin, alors qu’il s’agit juste d’avoir un environnement sain pour vivre et y faire grandir des enfants.
La surprise provient donc qu’on copie des idées sur la famille à partir de modèles qui n’existent pas. Les stars comme meneurs ? Bien souvent on leur reproche des vies dissolues où les enfants pâtissent des frasques de leurs parents, alors que nous ne valons guère mieux qu’eux. La télévision ? Elle n’est qu’un reflet de notre quotidien, avec le soupçon de rêve que chacun peut y coller. La littérature alors ? L’écrivain aussi génial soit-il crée-t-il de toute pièce des règles auxquelles on s’adonne ou bien représentent-elles juste une belle peinture du réel ? Nous sommes donc face à une incongruité, c'est-à-dire que nous avons des modèles de vie basés sur des schémas… qui n’existent pas ! Chacun perpétue alors sa marque, modifiant ainsi d’un rien indispensable le cycle du S.A.C général.

Premières conclusions.
Pour faire une conclusion rapide (je m’épancherai peut-être un jour sur le Stand Alone Complex dans un livre, qui sait…) je pense que notre monde de communication et d’intelligence a permis l’apparition du clonage d’idées à partir de rien, si ce n’est des illusions montées de toutes pièces, puis ensuite véhiculées par chacun d’entre nous sans même nous en rendre compte. De plus, fonctionnant en société et propageant nos idées les uns aux autres, nous sommes chacun la fourmi ouvrière d’une foule bigarrée et pourtant homogène où les changements s’opèrent de manière imperceptible jusqu’au point d’être indétectables, puis de constater que les changements sont alors devenus normalité. A l’instar de la peau du caméléon, nous changeons de couleur d’opinion sans pour autant que la transition soit un choc, et surtout sans savoir vraiment pourquoi nous réorientons nos vues…

Stand alone…

2 commentaires:

Unknown a dit…

Je dois dire que votre article m'a énormément fait sourire. Il y a de nombreuses années, j'ai regardé avidement la série/les films de Ghost in The Shell sans jamais m'intéresser au fond philosophique qui s'en dégageait.

Après des études de philosophie, je me suis replongé dans cet univers pour analyser plus en détail les idées soutenues au dedans. Et force est de constater que l'idée de Stand Alone complexe ou complexe de solitude m'a tapé dans l'oeil.

Transposé aux réalités actuelles, j'en suis venu aux mêmes conclusions que vous et c'est pourquoi à l'aide d'une simple recherche sur le lien entre le SAC et al quaeda, je suis tombé sur votre article.

J'ai à coeur d'approfondir cette idée qui me semble être fondamentale dans la compréhension de notre société actuelle et des ressorts qui en découle.

Tout ça pour dire que votre travail (même si votre article remonte à plusieurs années) m'intéresse au plus au point, notamment la possible écriture d'un livre là dessus.

Cordialement.

JeFaisPeurALaFoule a dit…

Bonjour et merci pour ce commentaire.

Personnellement, ce chantier est à mon sens la construction de la tour de Babel, au titre que le S.A.C est finalement la base même des médias, à savoir colporter des idées, des opinions, et que toute la structure même de notre monde tourne aujourd'hui autour de l'information.

Nous sommes totalement dépendants des réseaux, de l'informatique, des médias, et de fait nous acceptons plus ou moins d'être modelés par ces données qui affluent en vrac. De fait, certains les ignorent, d'autres les acceptent ou les refusent, et les derniers se les approprient. C'est en ça qu'il me semblait essentiel de parler de l'application du S.A.C sur notre monde. Reste à voir jusqu'où l'on poussera le vice.

Et merci encore d'être passé par ici!