27 juin 2018

Je suis Fester

Quand je vois l’engouement démesuré pour la coupe du monde, je ne peux m’empêcher d’avoir une sensation de malaise qui s’installe, et ce à tel point que je fais tout pour éviter les médias qui en parlent. Cependant, comment s’épargner les conversations autour de ce sujet, si ce n’est en tentant l’isolement total d’ermite durant la compétition ? Où que vous soyez dans le monde, vous aurez forcément le droit aux résumés, aux chroniques et au passage obligé par les pronostics fumeux. Et c’est à partir de ce constat déprimant qu’on peut compléter qu’il y a, sur ce court laps de temps, une grandiose recrudescence de chauvinisme aviné. Hé oui, les pacifistes, les hippies, les mères de famille, tout le monde devient chauvin jusqu’au ridicule. Alors, on se peinturlure la bobine aux couleurs de SON équipe, on fustige l’adversaire, on vilipende les « vedettes » qui n’ont apparemment rien fait sur un match. C’est magique d’ailleurs : tout le monde devient expert en football quand a lieu une compétition mondiale.

Et pourtant, si cette foule complètement hystérique daignait lever le nez, elle verrait que non seulement la compétition n’est rien de plus qu’un héritage direct des arènes romaines, mais qu’au surplus on y voit les mêmes symboles de la « force », de « l’adresse », et qu’en guise de Spartacus on a désormais des millionnaires nombrilistes et bien trop souvent analphabètes. C’est ainsi, le sport ne pousse pas à la philosophie, pas plus qu’un bon bouquin n’incite à faire son footing quotidien. De là, on peut avoir une forme d’intérêt pour la compétition, tant que cela reste raisonnable Alors, qu’on m’explique le pourquoi de cette transformation du tranquille père de famille en imbécile vociférant sur son canapé ? Comment diable peut-on faire basculer le peu d’intelligence de nos congénères dans le fossé du supporter sans aucune retenue ni décence ? Il y a là un phénomène qu’il serait intéressant de décortiquer, notamment pour les aspects sociologiques que cela implique.

On prétend que l’Homme est capable de vivre en société et de passer outre les « différences ». C’est un fait, nous sommes parfaitement aptes à faire fonctionner nos ruches humaines, nous parvenons à avoir une attitude proche de celle des fourmis qui tendent à fonctionner en harmonie. Pourtant, dès qu’on parle sport, les vieux démons du nationalisme voire même du racisme reviennent à la charge. Qu’on n’aille pas me parler du respect réciproque ou je fais un malheur, parce qu’il y a quand même des idiots qui vont jusqu’au meurtre à cause d’un bout de cuir cousu ! C’est quand même à noter, non ? Pour ma part, je regarde ces gesticulations avec une sorte de commisération teintée d’ironie, surtout parce que je ne saisis pas vraiment les mécaniques qui amènent à la violence pour un sport. Mais, si l’on se penche un peu plus sur le sujet, j’ai dans l’idée que le football représente clairement un besoin communautaire et identitaire. En effet, sous des dehors « sages » de communion autour d’une activité supposément innocente, il y a là tous les ingrédients du communautarisme. Enumérons un peu : il y a l’identité par l’équipe, la représentation ostentatoire de cette identité par les couleurs voire les slogans, la réunion de groupes plus ou moins structurés autour de ce soutien à une seule équipe, et pour finir un vrai culte aux idoles de ces mêmes équipes. N’est-ce pas cela qu’il faut mettre en regarde avec le communautarisme religieux ? Non ? Pourtant, reprenons l’énumération des faits : une identité religieuse, une représentation ostentatoire de cette foi par la tenue, le symbole et même la prière, les réunions dans des lieux de culte, et bien souvent l’idolâtrie d’un prélat, imam ou toute autre personne prêchant pour sa propre paroisse. Est-ce plus clair dit ainsi ? Oui, le sport, côté supporters, n’est rien d’autre qu’une façon détournée d’adhérer à un mouvement de masse, quitte à y perdre son bon sens et son calme.

Quand je regarde les hystériques qui fêtent la victoire de leur équipe, J’ai l’impression de voir des défilés d’un autre temps, et au-delà de ça j’ai la désagréable sensation d’observer les mêmes dérives. Quand une équipe nationale gagne, on a les gens qui arpentent les rues avec des drapeaux, qui hurlent, s’enivrent, s’enlacent, ou bien qui défilent en masse dans un effet « troupeau de bœufs ». Si l’on remplaçait les maillots bariolés par des tenues plus proches de l’uniforme, on aurait là de quoi avoir autrement moins de complaisance pour eux. Prenons un cas tout bête : lors de la victoire de 98, des millions de personnes ont communié le soir de la finale, poussant la fête jusqu’au bout de la nuit. On a salué les gens vêtus de bleu, on a ri avec ceux barbouillés du bleu blanc rouge, on a partagé les boissons alcoolisés pour être dans la fête. Fort bien, esthétiquement c’est impressionnant. Moralement, on aurait pu se dire « chouette, ils sont amoureux de leur patrie », et au final chacun a trouvé cela parfaitement enfantin, innocent et mignon. Maintenant, si un soir d’élection cette même masse de personnes s’était vue déambuler tout de brun vêtue, aurait-on pu avoir le même regard attendri ? M’est avis que non, et qu’on aurait tous pris peur à cause de l’ampleur du phénomène.

Ironiquement, ce qui sauve le monde c’est bel et bien que le sport rend con. Oui, je sais, je vais me faire taper dessus en affirmant cela, mais plus j’y songe plus j’ai la conviction d’être dans le vrai. Le sport, quand on le supporte, rend idiot à pleurer, parce qu’on devient une sorte de nationaliste pour une équipe, parce qu’on perd tout sens commun en braillant à tort et à travers, et qu’on se fait « philosophe de comptoir » en observant les résultats. Quelque part, je vois Monsieur tout le monde devenir brutal et intolérant, critique et cruel, tout cela pour un maillot ou un club…

Et moi là-dedans ? Je suis un membre de la famille Addams, l’oncle Fester qui se marre, qui montre qu’il n’est pas dedans parce que rien ne l’intéresse dans le sujet, et qu’il préfère une mauvaise plaisanterie sinistre, plutôt qu’une communion temporaire de supporters chargés de bière et de haine. Hé oui, j’ai du goût pour l’ironie, l’humour vraiment noir, parce que j’aime autant me moquer de moi-même que des autres. Et là, le supporter ne peut décemment pas se moquer de sa propre équipe, sauf à avoir un rien de lucidité requis pour rester encore un rien sociable. Pour le coup, c’est l’arrivée en masse des femmes dans la passion pour le football qui pourrait bel et bien sauver les gradins. Elles, contrairement aux hommes chargés de testostérone, elles aiment le sport pour le sport, et reconnaissent autrement plus facilement les qualités de l’adversaire, elles savent se pondérer là où l’homme, ivre de haine et de revanche, braillera sa frustration… ou la noiera dans l’alcool et même parfois le sang.

Vivement que la coupe se termine, que je puisse retourner à ma quiétude !

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