31 mai 2018

Battage médiatique

N’attendez pas ici le spectacle sensationnaliste dédié à celles et ceux qui aiment se rincer la rétine à coups de faits divers. Non, là c’est juste une petite réflexion sur le traitement de l’information, et par conséquent sur l’art qu’on les gens de mettre de l’huile sur le feu, à tort ou à raison. Ces derniers jours se sont d’ailleurs révélés édifiants à propos du « Et on met comment en avant une info somme toute ordinaire » pour en faire « c’est le scoop de l’année les mecs, y a de la vue/clics/like à faire sur la toile ! ». Songez donc : un clandestin qui sauve un mouflet sous les regards médusés de la foule inactive ! Alors, le gentil migrant vient donc sauver les femmes et les enfants de France mes amis, soyez en assurés, les migrants ne sont pas les barbares violeurs parasites voleurs décrits par les xénophobes !

Dites, ça ne fait pas un peu trop gros comme pilule à avaler là ? Non que je sois cynique et présuppose que ce battage médiatique commence plus à tenir de la propagande que de l’événement pris sur le vif, mais il me semble qu’il y a tout de même quelques soucis à prendre en compte dans ce qui fait suite à ce sauvetage. Alors, je vois déjà les « humanistes » (ou plutôt les crétins qui se proclament comme tels sans se préoccuper des conséquences de leurs choix) me bassiner en me lançant que je suis raciste, trop suspicieux voire paranoïaque, et qu’en plus c’est méchant de se méfier de la sorte. Non mesdames et messieurs, ce qui va suivre n’est en rien lié à du racisme ou à une quelconque méfiance vis-à-vis de la différence ou de l’étranger. Non, ce qui m’interpelle et me fait me gratter la tempe avec circonspection, c’est bien les décisions politiques et le flux incessant d’informations dédiées à ce fait divers.

Commençons simple. Est-on tellement en manque de courage et d’héroïsme pour aller saturer les écrans et les ondes concernant ce sauvetage ? A-t-on besoin de marteler en permanence qu’un clandestin (donc situation précaire et risquée) a mis sa propre vie en péril pour sauver un gosse pendu à un balcon ? Je rappelle que de tels incidents ne sont pas aussi rares qu’on veut le penser, et que les pompiers, par exemple, font des milliers d’interventions par an, et que personne ne leur donne une seconde ou même un reportage. Curieuse démarche… à moins de considérer que la nationalité/origine ethnique est un critère pour mériter, ou non, un focus médiatique de cette importance. Alors quoi ? L’héroïsme ordinaire du flic qui sauve une femme battue, le courage ordinaire du pompier qui va sauver un gosse dans les flammes, ça n’est pas assez photogénique ? Reconnaissez tout de même qu’il y a un vrai problème à régler là… A moins que la démarche soit intéressée, et que le but est donc de faire admettre à la foule méfiante des citoyens qu’un migrant n’est pas un ogre de foire, que sa couleur de peau et/ou sa religion ne font pas de lui une menace mais plutôt une richesse. Déjà, rien qu’en s’interrogeant sur ce constat, on est bien dans une phase de propagande, bien au-delà d’une simple couverture de fait divers, non ?

Et là, le martèlement se poursuit. Le gosse est en sécurité, et on relance régulièrement le spectateur en annonçant pourquoi cela s’est produit, que le père est un monstre indigne placé en garde à vue pour son attitude irresponsable. Jusqu’ici, allez admettons, il faut bien nourrir un peu la polémique et stimuler la curiosité. C’est ensuite que ça s’emballe. Qu’est-ce qui a pris le président Macron d’inviter ce jeune homme ? Pourquoi un président aurait à faire venir ainsi une personne héroïque, si ce n’est pour récupérer l’aura ponctuelle du plus tout à fait anonyme ? Il y a comme un souci… Et puis, quid des précédents, comme pour le président Hollande avec Léonarda ? ça ne vous rappelle pas ? L’humiliation du chantage de la jeune fille, la médiatisation à outrance de l’évènement, tout ceci pour rien ou presque ? Sérieusement, monsieur le président, vous auriez été avisé de vous contenter d’une lettre quelconque, ou bien éventuellement de l’intervention d’un chargé de communication, mais certainement pas de pousser le cirque médiatique jusqu’à ce point ! Tels les empereurs romains qui entraient dans l’arène pour rappeler au peuple qu’ils étaient « les maîtres », on a donc un président qui se fait fort d’être « au plus près des courageux du quotidien ». Si ça, ce n’est pas maltraiter les autres héros comme celles et ceux qui s’engagent quotidiennement pour nous protéger, nous soigner et finalement nous sauver de nous-mêmes.

Le troisième acte, pas moins nauséeux, a été l’intervention de la mairesse de Paris par un « J’appuierai la régularisation du jeune homme ». Là, je dis clairement non. Non que je sois contre sa régularisation en guise de récompense pour son acte de courage, mais un non catégorique sans un traitement équitable de sa situation. Je ne vois pas de raison d’appliquer un régime de faveur, sous peine de traiter les autres demandeurs d’asile de manière parfaitement inéquitable. Est-ce qu’on a une idée des antécédents du bonhomme ? A-t-il eu des problèmes avec la loi en France ? Ce sont des questions vitales qu’il ne faut absolument pas exclure de la question. Alors, oui pourquoi ne pas lui accorder l’asile à la seule condition qu’il ne soit pas un criminel ! Je ne dis naturellement pas qu’il l’a été de quelque manière que ce soit. Je dis uniquement qu’il ne faut pas créer une situation de passe-droit dangereuse et forcément incomprise… voire instrumentalisé conte le demandeur. C’est contre-productif que de jouer l’exception face à la norme.

Tout comme au théâtre, nous avons un quatrième acte, à savoir l’interrogation face à l’événement. On a là toutes les théories possibles : une mise en scène sordide, un rebond médiatique démesuré et hors de propos, des critiques acerbes vis-à-vis des migrants, le racisme qui est remis au goût du jour pour critiquer le fait (je cite ne me pinçant le nez tant le propos sent mauvais) « Un noir immigré clandestin musulman fuyant un pays pas en guerre, y a quoi de héroïque ? Qu’il fasse le héros funambule au Mali, pas en France ». Hé oui, et tenter de faire taire ces voix dissonantes c’est donner une tribune idéale pour stimuler l’idée d’une censure des idées en contradiction avec la ligne politique de l’état. Pour ma part, je ne remets ni l’acte ni même le courage du personnage, mais je doute qu’on ait été judicieux d’en faire autant autour.

Et là, le dernier acte, le pire, le plus désagréable, pour ne pas dire le plus scandaleux se produit en ce moment même. Le bonhomme va entrer chez les pompiers… Pardon ? Bien que je sois certain qu’il puisse être un excellent membre de cette magnifique profession, j’ai quand même les dents qui grincent à l’idée même qu’on puisse lui redonner un ticket coupe-file face aux candidats qui, eux, vont devoir faire leurs preuves par des tests impitoyables. Tout comme pour son droit d’asile, j’exige qu’il passe les sélections et qu’il soit validé par une hiérarchie non politisée et encore moins partisane. Le « C’est magnifique » lancé sans ironie c’est pour ma part tout aussi scandaleux que la critique « C’est magnifique » jetée avec une pleine caisse d’ironie. Il y a un vrai problème de communication pour l’Elysée, et plus encore pour les médias qui font leurs choux gras sur cet événement.

Non, cet homme n’est pas représentatif de toute l’immigration, pas plus que je suis un exemple représentatif de quelque population que ce soit. Il faut bien garder à l’esprit qu’afficher ainsi un personnage exemplaire en fait une cible facile, et que dans l’esprit des gens il ne sera pas un étendard pour l’intégration, mais plutôt une provocation en disant « tiens lui, on va le mettre en avant, lui faciliter la tâche, là où nous on va avoir des galères sans nom… c’est bien les médias hein ». Le souci de l’exception est qu’elle ne confirme pas la règle, et qu’en l’espèce il n’y a pas de règle. La problématique migratoire ne doit pas être subornée à une telle propagande, sous peine de décrédibiliser toutes les actions tant de l’état que des associations. Omettre tous les problèmes d’intégration, c’est continuer à maintenir des crises sociales (religion, assimilation, scolarité défaillante…), tout comme légitimer les discours radicaux de l’extrême-droite. Dans ces conditions, messieurs les politiques, n’agitez pas un exemple, là où votre politique n’arrive pas à traiter le plus grand nombre. Quid des gens en grande précarité en France ? Quid du mal-logement devenant la norme pour les plus petits salaires ? Quid du racket des marchands de sommeil ? Quid des écoles débordées par des populations ne parlant très peu voire pas du tout la langue ? Il s’agit là d’un débat autrement plus vital pour l’avenir du pays que d’afficher X ou Y comme représentant significatif d’une migration économique (et non politique pour le coup).

N’allez pas me dire que je place la chose de manière raciste. Ca n’est réellement pas la question. La question économique n’est pas innocente, parce que c’est elle qui sert de déterminant pour fuir ou non une nation. On a parlé des migrations syriennes suite à la guerre. J’entends bien… mais parmi eux, combien de réfugiés économiques ? Combien se disent syriens pour avoir un peu de compassion de la part des citoyens ? Ceux qui fuient la misère ne le font pas de gaité de cœur. Ce qui me dérange, c’est que les nations « riches » n’agissent pas de tout leur poids pour pousser au développement les pays pauvres, mais au contraire agissent quotidiennement en seigneur face à des vassaux ! Regardons-nous en face : nous créons l’immigration économique, parce que nous sommes gras, que nous affichons notre tyrannie culturelle, puis ensuite nous piétinons les plus faibles en leur imposant des salaires ridicules et des conditions de travail inhumaines… tout ça pour finalement repousser le migrant en lui disant « non on ne partage pas le gâteau ». Qui est le parasite ? Celui qui se fringue à vil prix sur le dos des esclaves modernes, ou celui qui fuit ce système pour tomber sur un autre pas moins sale finalement ?

De fait, monsieur Macron, maîtrisez votre communication. N’allez pas au-devant des ennuis en vous affichant de la sorte ! C’est une faute lourde de sens où vous vous êtes présente, involontairement j’espère, en roi adoubant un serf, comme si vous lui donniez une sorte de récompense selon votre gré de grand seigneur généreux et bienveillant.

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