Rabibochés
Si les évènements actuels prêtent à pleurer, il est clair qu'il faut les regarder d'un œil critique pour y apercevoir une autre mutation intéressante en termes de communication. Autant les gens se préoccupent avant tout de ne plus avoir aussi peur grâce à la présence des forces de l'ordre, autant celles-ci bénéficient d'une action de communication aussi intéressante que bien construite. On pourrait me taxer de cynique, mais le fait est là, l'armée, tout comme la police communique désormais bien plus correctement sur tous les médias, et ce à plusieurs niveaux distincts.
Jusqu'à récemment, le kaki était une couleur considérée comme débilitante, et plus encore comme le concentré de tout ce qui peut être détestable dans un état: force potentiellement dictatoriale, recyclage de volontaires peu éduqués ou dépourvus d'intelligence, bref l'uniforme faisait dire "encore un crétin en kaki". Or, après les avoir conspués et même haïs, les citoyens retrouvent un peu de clémence pour les femmes et les hommes qui les protègent au quotidien. De ce point de vue, je me félicite, parce que cela rappelle à tout citoyen qu'un monde idéal serait un monde sans armée, et que notre monde est tout sauf idéal. Cet électrochoc n'est pas anodin, notamment dans la jeunesse qui afflue à nouveau pour s'engager, avec l'espoir louable d'agir pour la nation. Patriotisme? On peut voir cela de cette manière. Je vois ce nouvel engagement plus comme la renaissance d'une confiance envers l'armée, et les retrouvailles entre un peuple et des troupes présentes avant tout pour en défendre la sécurité et les intérêts. De fait, cela change notoirement le comportement des civils face à ceux en uniforme, surtout dans les lieux où leur présence est dorénavant non seulement utile, mais plus encore désirée par la foule qui se sent menacée.
Cependant, allons plus loin. Derrière l'imagerie protectrice de nos soldats se révèle aussi deux pôles fondamentaux de la communication: la puissance militaire et l'aspect commercial. Dans un premier temps, faire se mouvoir des milliers de soldats en tenues de combat, mais également arborer un porte-avions en combat, c'est une manière très efficace de faire passer le message "l'armée n'est pas morte, elle est équipée, entraînée, efficace, et elle se fera fort de le montrer sur le terrain". Dans les faits, la population va donc avoir sous les yeux des soldats "idéaux", fiers d'arborer le drapeau, avec en perspective le civil qui sentira cette puissance armée à proximité. On décriait énormément la présence de soldats dans les rues et les lieux publics, aujourd'hui celle-ci n'est pas qu'ordinaire, elle est dorénavant exigée par une population terrifiée à l'idée d'être la cible du terrorisme. Dans ces conditions, cela ne peut que redorer un blason terni par des décennies de désamour et de moqueries illégitimes.
Au-delà de ce premier volet, le second est encore plus flagrant. Quoi de mieux qu'une véritable opération militaire pour rappeler au monde la force de notre nation, mais aussi de représenter à qui cela intéresse la gamme de nous outils guerriers? Si les médias affichent ostensiblement les modèles d'avions utilisés, c'est tant pour dire aux contribuables que nos Rafale sont en action et pas uniquement en démonstration, mais aussi aux acheteurs potentiels de faire la preuve que nos bombes, nos roquettes et nos machines de guerre fonctionnent hors d'un bureau d'études. On peut se dire que j'exagère, mais lisez bien les images, analysez les par le filtre du commerce et non celui de la propagande guerrière, et vous verrez le discours sous-jacent. Quand on filme une bombe percuter une cible au sol, nous voyons un ennemi prendre des représailles. Le militaire, lui, va pouvoir analyser la force d'impact, la précision réelle, le degré de destruction supposé, ainsi que la capacité, ou non, à voir l'ogive être interceptée par l'adversaire. Dans le cas des bombes guidées au laser, on a donc une grande mise en exergue de la redoutable efficacité opérationnelle, la capacité d'emport des bombardiers, et au final des images choisies donnant des précisions "indirectes" sur la possibilité d'utiliser ces armes dans des conditions de sécurité relative pour les pilotes.
Ce show est donc mené avec précision, et il s'adresse donc à trois cibles: les médias pour qu'ils mettent en avant notre puissance de feu (et donc que nos adversaires en voient l'étendue), la population pour qu'elle ait ce sentiment de puissance et de protection tant réclamé, et enfin des nations étrangères qui, finalement, auront une mise à disposition de dépliants publicitaires sans que cela ne coûte un cent de plus que nécessaire. Jusqu'à présent, les fabricants d'armes et l'état se devaient de créer des mises en scène, de faire sauter des cibles, et donc de dépenser en pure perte des sommes pharaoniques pour convaincre. Aujourd'hui, autant que ces explosions soient mises à profit pour frapper de vraies cibles, qu'elles soient dépensées avec un véritable objectif, et ne plus faire de cartons sur des carcasses mille fois mitraillées, pilonnées et trouées par nos soldats.
Cynique? Pas tant que cela. Les réalités politiques, économiques, stratégiques et sociales se mêlent intimement. Le peuple Français a besoin de se rassurer, parce qu'il ne veut pas avoir peur, parce qu'il veut que le kaki retrouve non pas des lettres de noblesse, mais bien un rôle dans la défense du territoire. Avoir une place dans le cœur des citoyens, c'est aussi à cela que servent cette médiatisation. Pendant plus de trois décennies, l'armée française se gardait bien d'afficher au grand jour ses actions, ou tout au plus de mettre quelques images et photos anodines, ceci afin que le citoyen lambda n'ait pas à reprocher à nos troupes "de trop en faire". Les frontières entre apologie militariste, démonstration de force, et propagande malsaine sont souvent difficiles à dessiner tant chaque domaine empiète sur l'autre. Dans le cas présent, l'action militaire se révèle indispensable, et le peuple entend dorénavant plus aisément certaines explications pourtant fondamentales. Pendant les premières heures de l'action de l'armée au Mali, bien des voix se sont élevées contre cette projection de forces dans un pays "dont tout le monde se foutait". Aujourd'hui le drame de l'hôtel de Bamako rappelle à l'ordre ces critiques, en leur expliquant clairement "le Mali a demandé notre aide. Nous avons lutté contre ces terroristes. Aujourd'hui, ils remettent cela et notre présence fait partie des rares garanties de préservation de l'état légitime Malien".
On peut évidemment être critique, estimer que la surmédiatisation ne fait qu'intensifier la haine que nous vouent ces groupes extrémistes. Soit. Le discours se tient, à un seul bémol fondamental près, à savoir l'interrogation première qui est "Doit-on alors se faire tout petit, refuser l'aide militaire réclamée par les républiques légitimes menacées par ces mêmes terroristes?". On ne peut pas dire tout et son contraire, à savoir vouloir un rayonnement diplomatique fort dans le monde, tout en jouant la carte de l'attentisme. A titre d'exemple flagrant, la Chine évitait le sujet au titre du choix de la non-ingérence. Ce discours, logique et pragmatique, était tenu de par la politique très rigide dans le territoire (censure, justice expéditive…), mais également de par la volonté de faire du business avant de faire de la politique. Désormais, la Chine change, parce qu'elle doit réagir face à la mort de ses citoyens, mais également parce que l'état Chinois craint pour une expansion de ces radicalisations sur son propre territoire. On parle de 21 millions de musulmans. A l'échelle de la Chine, c'est "peu", à l'échelle d'une possible diffusion d'idées dangereuses, cela représente beaucoup trop pour que le pays puisse fermer les yeux. C'est la réaction de ce pays qui va être intéressante, que ce soit sur la communication diplomatique, que sur les actions qui seront forcément menées en interne.
Cependant, le fait est que notre armée retrouve enfin un peu de compassion et même d'amour de la part de nos concitoyens. Est-ce une bonne nouvelle? A mon sens, si l'on s'en tient à voir les relations entre le civil et le serviteur en kaki, c'est une excellente chose. En revanche, est-ce pour les bonnes raisons? C'est un autre débat qui n'est pas le but de ce texte.
Enfin, cette guerre raconte aussi une autre vérité moins glorieuse, mais bien plus importante, à savoir celle d'une diplomatie dépassée par les évènements, et qui finit par changer de cap. Tout comme pour Cuba où les Américains se sont enfin décidés à lâcher le mors et laisser l'île se développer, la gestion des nations du golfe, des pays de confession musulmane change enfin d'une relation "dominant dominé, à une relation d'égal à égal. Si le choix de normaliser les relations du monde avec l'Iran a été mis en avant, c'est probablement pour avoir un partenaire stable pour du commerce de pétrole, mais également un allié potentiel contre les groupes guerriers que ce pays affronte depuis pas mal de temps. C'est ainsi: le cynisme et le pragmatisme reprennent leurs droits, et l'ennemi d'hier, diabolisé et mis en avant, se révèle à présent être un partenaire de choix.
Jusqu'à récemment, le kaki était une couleur considérée comme débilitante, et plus encore comme le concentré de tout ce qui peut être détestable dans un état: force potentiellement dictatoriale, recyclage de volontaires peu éduqués ou dépourvus d'intelligence, bref l'uniforme faisait dire "encore un crétin en kaki". Or, après les avoir conspués et même haïs, les citoyens retrouvent un peu de clémence pour les femmes et les hommes qui les protègent au quotidien. De ce point de vue, je me félicite, parce que cela rappelle à tout citoyen qu'un monde idéal serait un monde sans armée, et que notre monde est tout sauf idéal. Cet électrochoc n'est pas anodin, notamment dans la jeunesse qui afflue à nouveau pour s'engager, avec l'espoir louable d'agir pour la nation. Patriotisme? On peut voir cela de cette manière. Je vois ce nouvel engagement plus comme la renaissance d'une confiance envers l'armée, et les retrouvailles entre un peuple et des troupes présentes avant tout pour en défendre la sécurité et les intérêts. De fait, cela change notoirement le comportement des civils face à ceux en uniforme, surtout dans les lieux où leur présence est dorénavant non seulement utile, mais plus encore désirée par la foule qui se sent menacée.
Cependant, allons plus loin. Derrière l'imagerie protectrice de nos soldats se révèle aussi deux pôles fondamentaux de la communication: la puissance militaire et l'aspect commercial. Dans un premier temps, faire se mouvoir des milliers de soldats en tenues de combat, mais également arborer un porte-avions en combat, c'est une manière très efficace de faire passer le message "l'armée n'est pas morte, elle est équipée, entraînée, efficace, et elle se fera fort de le montrer sur le terrain". Dans les faits, la population va donc avoir sous les yeux des soldats "idéaux", fiers d'arborer le drapeau, avec en perspective le civil qui sentira cette puissance armée à proximité. On décriait énormément la présence de soldats dans les rues et les lieux publics, aujourd'hui celle-ci n'est pas qu'ordinaire, elle est dorénavant exigée par une population terrifiée à l'idée d'être la cible du terrorisme. Dans ces conditions, cela ne peut que redorer un blason terni par des décennies de désamour et de moqueries illégitimes.
Au-delà de ce premier volet, le second est encore plus flagrant. Quoi de mieux qu'une véritable opération militaire pour rappeler au monde la force de notre nation, mais aussi de représenter à qui cela intéresse la gamme de nous outils guerriers? Si les médias affichent ostensiblement les modèles d'avions utilisés, c'est tant pour dire aux contribuables que nos Rafale sont en action et pas uniquement en démonstration, mais aussi aux acheteurs potentiels de faire la preuve que nos bombes, nos roquettes et nos machines de guerre fonctionnent hors d'un bureau d'études. On peut se dire que j'exagère, mais lisez bien les images, analysez les par le filtre du commerce et non celui de la propagande guerrière, et vous verrez le discours sous-jacent. Quand on filme une bombe percuter une cible au sol, nous voyons un ennemi prendre des représailles. Le militaire, lui, va pouvoir analyser la force d'impact, la précision réelle, le degré de destruction supposé, ainsi que la capacité, ou non, à voir l'ogive être interceptée par l'adversaire. Dans le cas des bombes guidées au laser, on a donc une grande mise en exergue de la redoutable efficacité opérationnelle, la capacité d'emport des bombardiers, et au final des images choisies donnant des précisions "indirectes" sur la possibilité d'utiliser ces armes dans des conditions de sécurité relative pour les pilotes.
Ce show est donc mené avec précision, et il s'adresse donc à trois cibles: les médias pour qu'ils mettent en avant notre puissance de feu (et donc que nos adversaires en voient l'étendue), la population pour qu'elle ait ce sentiment de puissance et de protection tant réclamé, et enfin des nations étrangères qui, finalement, auront une mise à disposition de dépliants publicitaires sans que cela ne coûte un cent de plus que nécessaire. Jusqu'à présent, les fabricants d'armes et l'état se devaient de créer des mises en scène, de faire sauter des cibles, et donc de dépenser en pure perte des sommes pharaoniques pour convaincre. Aujourd'hui, autant que ces explosions soient mises à profit pour frapper de vraies cibles, qu'elles soient dépensées avec un véritable objectif, et ne plus faire de cartons sur des carcasses mille fois mitraillées, pilonnées et trouées par nos soldats.
Cynique? Pas tant que cela. Les réalités politiques, économiques, stratégiques et sociales se mêlent intimement. Le peuple Français a besoin de se rassurer, parce qu'il ne veut pas avoir peur, parce qu'il veut que le kaki retrouve non pas des lettres de noblesse, mais bien un rôle dans la défense du territoire. Avoir une place dans le cœur des citoyens, c'est aussi à cela que servent cette médiatisation. Pendant plus de trois décennies, l'armée française se gardait bien d'afficher au grand jour ses actions, ou tout au plus de mettre quelques images et photos anodines, ceci afin que le citoyen lambda n'ait pas à reprocher à nos troupes "de trop en faire". Les frontières entre apologie militariste, démonstration de force, et propagande malsaine sont souvent difficiles à dessiner tant chaque domaine empiète sur l'autre. Dans le cas présent, l'action militaire se révèle indispensable, et le peuple entend dorénavant plus aisément certaines explications pourtant fondamentales. Pendant les premières heures de l'action de l'armée au Mali, bien des voix se sont élevées contre cette projection de forces dans un pays "dont tout le monde se foutait". Aujourd'hui le drame de l'hôtel de Bamako rappelle à l'ordre ces critiques, en leur expliquant clairement "le Mali a demandé notre aide. Nous avons lutté contre ces terroristes. Aujourd'hui, ils remettent cela et notre présence fait partie des rares garanties de préservation de l'état légitime Malien".
On peut évidemment être critique, estimer que la surmédiatisation ne fait qu'intensifier la haine que nous vouent ces groupes extrémistes. Soit. Le discours se tient, à un seul bémol fondamental près, à savoir l'interrogation première qui est "Doit-on alors se faire tout petit, refuser l'aide militaire réclamée par les républiques légitimes menacées par ces mêmes terroristes?". On ne peut pas dire tout et son contraire, à savoir vouloir un rayonnement diplomatique fort dans le monde, tout en jouant la carte de l'attentisme. A titre d'exemple flagrant, la Chine évitait le sujet au titre du choix de la non-ingérence. Ce discours, logique et pragmatique, était tenu de par la politique très rigide dans le territoire (censure, justice expéditive…), mais également de par la volonté de faire du business avant de faire de la politique. Désormais, la Chine change, parce qu'elle doit réagir face à la mort de ses citoyens, mais également parce que l'état Chinois craint pour une expansion de ces radicalisations sur son propre territoire. On parle de 21 millions de musulmans. A l'échelle de la Chine, c'est "peu", à l'échelle d'une possible diffusion d'idées dangereuses, cela représente beaucoup trop pour que le pays puisse fermer les yeux. C'est la réaction de ce pays qui va être intéressante, que ce soit sur la communication diplomatique, que sur les actions qui seront forcément menées en interne.
Cependant, le fait est que notre armée retrouve enfin un peu de compassion et même d'amour de la part de nos concitoyens. Est-ce une bonne nouvelle? A mon sens, si l'on s'en tient à voir les relations entre le civil et le serviteur en kaki, c'est une excellente chose. En revanche, est-ce pour les bonnes raisons? C'est un autre débat qui n'est pas le but de ce texte.
Enfin, cette guerre raconte aussi une autre vérité moins glorieuse, mais bien plus importante, à savoir celle d'une diplomatie dépassée par les évènements, et qui finit par changer de cap. Tout comme pour Cuba où les Américains se sont enfin décidés à lâcher le mors et laisser l'île se développer, la gestion des nations du golfe, des pays de confession musulmane change enfin d'une relation "dominant dominé, à une relation d'égal à égal. Si le choix de normaliser les relations du monde avec l'Iran a été mis en avant, c'est probablement pour avoir un partenaire stable pour du commerce de pétrole, mais également un allié potentiel contre les groupes guerriers que ce pays affronte depuis pas mal de temps. C'est ainsi: le cynisme et le pragmatisme reprennent leurs droits, et l'ennemi d'hier, diabolisé et mis en avant, se révèle à présent être un partenaire de choix.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire