France, quand tu récupères le drame pour te l'approprier
Je ne saurais dire ce que je trouve le plus dur: le carnage de Charlie, ou bien devoir tolérer la masse bêlante de gens qui va instrumentaliser cette horreur pour en faire un étendard. Je ne parle évidemment pas de ceux qui sont moralement proches des victimes, qui vont tout à fait honnêtement soutenir la liberté d'expression, ou ceux qui participeront aux différentes manifestations prévues à travers le pays. Non: je parle bien de celles et ceux qui, tout à coup, se découvrent une conscience morale/politique, et qui vont aller faire la démarche d'acheter le Charlie hebdo qui sera tiré à un million d'exemplaires, parce "qu'il faut être dans le mouvement", ou bien s'afficher dans le métro avec l'exemplaire épitaphe.
Qu'est-ce qui me révolte? C'est que Charlie tirait à 60.000 exemplaires, et que là le million sera probablement épuisé, tout cela pour une question de mode, de "soutien", en bref parce que le symbole papier sera repris par la masse. Dans le lot, qui sera honnête? Qui pourra revendiquer avoir déjà lu le journal en question, qui pourra dire "j'en connais le contenu, je les soutiendrai"? C'est une démarche qui me pose problème, car il n'y a pas de bonne posture. Me concernant, je n'achèterai pas le journal, parce que je n'appréciais pas son contenu, il ne me correspondait pas. Je ne l'achèterai pas plus pour marquer mon soutien aux victimes, parce que le seul soutien que je leur donne est éthique et moral. Maintenant, trier la foule pour trouver qui est sincère et qui n'agit que par pur besoin d'identité, cela sera pour ainsi dire impossible. Un message de sympathie est, pour moi-même, la seule chose que je puisse faire.
Nota important: un tirage ne représente pas du tout la quantité réellement vendue. En presse, le tirage correspond uniquement à la quantité éditée, et non celle qui finit réellement entre les mains des lecteurs. Concrètement: un journal peut tirer à 100.000 et voir en fin de période de vente devoir détruire, à ses frais, les invendus! Donc, quand on parle d'un tirage de 60.000 pour Charlie, j'ignore la part d'invendus, même si je l'espère ridicule en volume…
On va me dire "tu es dégueulasse, il faut que Charlie survive comme symbole". Pardon?! Non: la question n'existe pas le moins du monde. Un journal vit ou disparaît au gré de ses lecteurs, et non parce qu'on le met en avant pour des questions symboliques ou politiques. Il est terrible de se dire que le journal risque probablement de dépérir après ce massacre, mais ce n'est pas pour autant qu'on doit le faire perdurer n'importe comment. Si un journal doit perdurer, c'est parce qu'il aura trouvé un lectorat, pas parce qu'on l'aura mis sous perfusion "parce que le nom de Charlie est important". Charlie, c'est une rédaction, des dessinateurs, pas un bout de papier, un ton, une ligne éditoriale. Ce qu'il faut mettre en avant, ce sont les noms des victimes, les gens, leurs idées. On regroupe cela sous l'étiquette "Je suis Charlie"? Pourquoi pas, mais cela n'impose aucunement l'acte moral d'acheter le journal. Ca ne met pas en doute une bonne volonté que de voir le titre continuer après l'atroce massacre de son cœur de fonctionnement, mais certainement pas au nom d'un principe qui me semble hors de propos. Vous voulez un Charlie ayant perdu son essence pour que son nom perdure dans les rayonnages des kiosques? Non? D'ailleurs, la question est-elle seulement compréhensible pour les millions de citoyens qui connaissent à peine ledit journal? Interrogez-vous un peu de ce que vous voulez comme destin pour ce journal satirique.
Je vais me faire des ennemis en affirmant cela. Je le sais, je l'assume, mais je le revendique bien haut. Mon obligation morale est fondamentale: on ne doit jamais bâillonner la presse. On ne doit jamais céder face aux menaces à la liberté d'expression. On ne doit jamais accepter un massacre. Pour autant, cela n'imposera jamais à quiconque d'être d'accord avec des thèmes, des écrits… Donc dans le fond à cautionner le contenu d'un journal. J'estime que la liberté d'expression est sacrée, ce qui sous-entend donc "je pense ce que je veux, c'est mon droit le plus strict" et non "Parce que tu es une victime de l'intolérance, je dois me mettre à penser comme toi". C'est tout aussi valide concernant Charlie hebdo (le journal), que pour les victimes d'antisémitisme par exemple. Je m'explique: je suis outré qu'on puisse agresser quiconque pour sa foi, mais cela ne m'imposera jamais de soutenir des thèses liées à la foi en question. Suis-je un salopard si je dis "Non aux agressions contre les juifs parce qu'ils sont juifs", tout en disant dans la foulée "non à la construction de colonies en Palestine"?
Il en va de même avec nos politiques. Quand on parle de marche républicaine, on parle de la nation, et non des partis politiques. Je suis outré qu'on puisse faire des tris, des "eux? Ah non, on ne s'affichera pas avec ces gens-là". Un seul mot? Abrutis. La république est constituée de divers courants de pensée, et faire de l'exclusion, c'est cautionner ce que veulent justement faire les terroristes que l'on traque, à savoir créer de la différence, distinguer les "qui pense comme nous", des "connards qu'on doit descendre parce qu'ils ont des idées différentes". Le FN dérange, il me déplaît, je n'apprécie pas son fonds de commerce, mais je ne demande pas, j'exige qu'on mette de côté les divergences politiques pour qu'on regarde les manifestations de l'œil du citoyen, pas du militant. Si l'on doit manifester, c'est à titre personnel, moral, et non politique.
Si je continue dans la même démarche, on critique actuellement Apple sur la toile, parce que le site officiel de la marque annonce "Je suis Charlie". Le fond de la critique provient des censures qu'opère régulièrement la firme sur ses sites de diffusion de contenu (livres, films, musique…). Dites, rappelez-vous un fondamental: Apple est une énorme société qui diffuse du contenu, et qu'elle est tenue par la loi de censurer ce qui peut être mis en défaut d'un point de vue légal. Au-delà de ça, si Apple s'affiche avec le "Je suis Charlie", on les critique comme étant des pourris récupérant le malheur des autres, si la société ne met rien on l'aurait critiquée en la taxant de "firme de salopards insensibles à l'horreur", ou encore "de boite qui se fout de la liberté d'expression". Quel bon choix? Pourquoi les salariés d'Apple n'auraient pas le droit d'être affectés comme le quidam moyen? A ceux qui critiquent le "Je suis Charlie" des sociétés: vous n'avez en rien le monopole de la tristesse et de la colère contre le terrorisme.
Je suis furieux. Furieux qu'on instrumentalise un drame pour s'en servir pour régler des comptes; furieux qu'on s'approprie une douleur en décrétant que les autres n'ont pas le droit de partager cette peine; furieux enfin contre cette attitude méprisante des bien-pensants qui se supposent au-dessus des autres parce que "je suis mieux que vous, j'ai le droit d'être triste et pas vous". Ma tristesse va pour des gens qui se battaient pour le droit de s'exprimer, quitte à être outrancier, quitte à aller trop loin dans le discours. Charlie hebdo n'a pas payé le prix du sang pour ses opinions, mais uniquement parce que le journal refusait de "fermer sa gueule". C'est une différence fondamentale à laquelle je tiens tout particulièrement. Je veux que les voix discordantes aient le droit de s'exprimer, que les caricaturistes outranciers ne soient pas menacés parce qu'ils provoquent, et ce même si je suis complètement à l'opposé de leurs opinions.
Je complète le propos suite à une discussion: j'ai eu le droit à un son de cloche qui dit "les politiques n'ont pas à se présenter aussi tôt sur les lieux d'un drame comme les prises d'otages". Je soutiens l'idée sur le fond, car nombre desdits politiques sont venus pour se montrer, pour être filmés et donc apparaître "au plus près de l'actualité". Par contre, je ne suis pas d'accord sur le principe, car d'une manière ou d'une autre, il est du devoir de nos politiques d'être présents, et non de déléguer à outrance, surtout dans de telles situations. S'ils viennent, on dit "ils se pavanent", et s'ils ne viennent pas "ils nous laissent seuls dans notre merde". Quel est le bon choix? Un délai? Une déclaration par les médias? STOP: nous demandons à nos politiques d'être responsables, soyons-le aussi, nous ne pouvons pas dire que nous les voulons actifs et au plus près des affaires (surtout quand on parle de terrorisme) tout en disant qu'ils n'ont rien à faire sur place.
Au final: nulle personne, que ce soit moi, le quidam moyen ou le politique n'a à s'approprier la douleur d'autrui. Nous devons être solidaires, soutenir les victimes, sans pour autant être tenus d'être d'accord avec elles. De la même manière, arrêtons les leçons de morale faciles, les critiques aisées, élevons le débat à la hauteur des enjeux de notre futur. Liberté d'expression chérie, que ne dit-on pas en ton nom! Triste France où l'on fait des filtres idéologiques, alors qu'il faudrait justement s'en abstenir!
Qu'est-ce qui me révolte? C'est que Charlie tirait à 60.000 exemplaires, et que là le million sera probablement épuisé, tout cela pour une question de mode, de "soutien", en bref parce que le symbole papier sera repris par la masse. Dans le lot, qui sera honnête? Qui pourra revendiquer avoir déjà lu le journal en question, qui pourra dire "j'en connais le contenu, je les soutiendrai"? C'est une démarche qui me pose problème, car il n'y a pas de bonne posture. Me concernant, je n'achèterai pas le journal, parce que je n'appréciais pas son contenu, il ne me correspondait pas. Je ne l'achèterai pas plus pour marquer mon soutien aux victimes, parce que le seul soutien que je leur donne est éthique et moral. Maintenant, trier la foule pour trouver qui est sincère et qui n'agit que par pur besoin d'identité, cela sera pour ainsi dire impossible. Un message de sympathie est, pour moi-même, la seule chose que je puisse faire.
Nota important: un tirage ne représente pas du tout la quantité réellement vendue. En presse, le tirage correspond uniquement à la quantité éditée, et non celle qui finit réellement entre les mains des lecteurs. Concrètement: un journal peut tirer à 100.000 et voir en fin de période de vente devoir détruire, à ses frais, les invendus! Donc, quand on parle d'un tirage de 60.000 pour Charlie, j'ignore la part d'invendus, même si je l'espère ridicule en volume…
On va me dire "tu es dégueulasse, il faut que Charlie survive comme symbole". Pardon?! Non: la question n'existe pas le moins du monde. Un journal vit ou disparaît au gré de ses lecteurs, et non parce qu'on le met en avant pour des questions symboliques ou politiques. Il est terrible de se dire que le journal risque probablement de dépérir après ce massacre, mais ce n'est pas pour autant qu'on doit le faire perdurer n'importe comment. Si un journal doit perdurer, c'est parce qu'il aura trouvé un lectorat, pas parce qu'on l'aura mis sous perfusion "parce que le nom de Charlie est important". Charlie, c'est une rédaction, des dessinateurs, pas un bout de papier, un ton, une ligne éditoriale. Ce qu'il faut mettre en avant, ce sont les noms des victimes, les gens, leurs idées. On regroupe cela sous l'étiquette "Je suis Charlie"? Pourquoi pas, mais cela n'impose aucunement l'acte moral d'acheter le journal. Ca ne met pas en doute une bonne volonté que de voir le titre continuer après l'atroce massacre de son cœur de fonctionnement, mais certainement pas au nom d'un principe qui me semble hors de propos. Vous voulez un Charlie ayant perdu son essence pour que son nom perdure dans les rayonnages des kiosques? Non? D'ailleurs, la question est-elle seulement compréhensible pour les millions de citoyens qui connaissent à peine ledit journal? Interrogez-vous un peu de ce que vous voulez comme destin pour ce journal satirique.
Je vais me faire des ennemis en affirmant cela. Je le sais, je l'assume, mais je le revendique bien haut. Mon obligation morale est fondamentale: on ne doit jamais bâillonner la presse. On ne doit jamais céder face aux menaces à la liberté d'expression. On ne doit jamais accepter un massacre. Pour autant, cela n'imposera jamais à quiconque d'être d'accord avec des thèmes, des écrits… Donc dans le fond à cautionner le contenu d'un journal. J'estime que la liberté d'expression est sacrée, ce qui sous-entend donc "je pense ce que je veux, c'est mon droit le plus strict" et non "Parce que tu es une victime de l'intolérance, je dois me mettre à penser comme toi". C'est tout aussi valide concernant Charlie hebdo (le journal), que pour les victimes d'antisémitisme par exemple. Je m'explique: je suis outré qu'on puisse agresser quiconque pour sa foi, mais cela ne m'imposera jamais de soutenir des thèses liées à la foi en question. Suis-je un salopard si je dis "Non aux agressions contre les juifs parce qu'ils sont juifs", tout en disant dans la foulée "non à la construction de colonies en Palestine"?
Il en va de même avec nos politiques. Quand on parle de marche républicaine, on parle de la nation, et non des partis politiques. Je suis outré qu'on puisse faire des tris, des "eux? Ah non, on ne s'affichera pas avec ces gens-là". Un seul mot? Abrutis. La république est constituée de divers courants de pensée, et faire de l'exclusion, c'est cautionner ce que veulent justement faire les terroristes que l'on traque, à savoir créer de la différence, distinguer les "qui pense comme nous", des "connards qu'on doit descendre parce qu'ils ont des idées différentes". Le FN dérange, il me déplaît, je n'apprécie pas son fonds de commerce, mais je ne demande pas, j'exige qu'on mette de côté les divergences politiques pour qu'on regarde les manifestations de l'œil du citoyen, pas du militant. Si l'on doit manifester, c'est à titre personnel, moral, et non politique.
Si je continue dans la même démarche, on critique actuellement Apple sur la toile, parce que le site officiel de la marque annonce "Je suis Charlie". Le fond de la critique provient des censures qu'opère régulièrement la firme sur ses sites de diffusion de contenu (livres, films, musique…). Dites, rappelez-vous un fondamental: Apple est une énorme société qui diffuse du contenu, et qu'elle est tenue par la loi de censurer ce qui peut être mis en défaut d'un point de vue légal. Au-delà de ça, si Apple s'affiche avec le "Je suis Charlie", on les critique comme étant des pourris récupérant le malheur des autres, si la société ne met rien on l'aurait critiquée en la taxant de "firme de salopards insensibles à l'horreur", ou encore "de boite qui se fout de la liberté d'expression". Quel bon choix? Pourquoi les salariés d'Apple n'auraient pas le droit d'être affectés comme le quidam moyen? A ceux qui critiquent le "Je suis Charlie" des sociétés: vous n'avez en rien le monopole de la tristesse et de la colère contre le terrorisme.
Je suis furieux. Furieux qu'on instrumentalise un drame pour s'en servir pour régler des comptes; furieux qu'on s'approprie une douleur en décrétant que les autres n'ont pas le droit de partager cette peine; furieux enfin contre cette attitude méprisante des bien-pensants qui se supposent au-dessus des autres parce que "je suis mieux que vous, j'ai le droit d'être triste et pas vous". Ma tristesse va pour des gens qui se battaient pour le droit de s'exprimer, quitte à être outrancier, quitte à aller trop loin dans le discours. Charlie hebdo n'a pas payé le prix du sang pour ses opinions, mais uniquement parce que le journal refusait de "fermer sa gueule". C'est une différence fondamentale à laquelle je tiens tout particulièrement. Je veux que les voix discordantes aient le droit de s'exprimer, que les caricaturistes outranciers ne soient pas menacés parce qu'ils provoquent, et ce même si je suis complètement à l'opposé de leurs opinions.
Je complète le propos suite à une discussion: j'ai eu le droit à un son de cloche qui dit "les politiques n'ont pas à se présenter aussi tôt sur les lieux d'un drame comme les prises d'otages". Je soutiens l'idée sur le fond, car nombre desdits politiques sont venus pour se montrer, pour être filmés et donc apparaître "au plus près de l'actualité". Par contre, je ne suis pas d'accord sur le principe, car d'une manière ou d'une autre, il est du devoir de nos politiques d'être présents, et non de déléguer à outrance, surtout dans de telles situations. S'ils viennent, on dit "ils se pavanent", et s'ils ne viennent pas "ils nous laissent seuls dans notre merde". Quel est le bon choix? Un délai? Une déclaration par les médias? STOP: nous demandons à nos politiques d'être responsables, soyons-le aussi, nous ne pouvons pas dire que nous les voulons actifs et au plus près des affaires (surtout quand on parle de terrorisme) tout en disant qu'ils n'ont rien à faire sur place.
Au final: nulle personne, que ce soit moi, le quidam moyen ou le politique n'a à s'approprier la douleur d'autrui. Nous devons être solidaires, soutenir les victimes, sans pour autant être tenus d'être d'accord avec elles. De la même manière, arrêtons les leçons de morale faciles, les critiques aisées, élevons le débat à la hauteur des enjeux de notre futur. Liberté d'expression chérie, que ne dit-on pas en ton nom! Triste France où l'on fait des filtres idéologiques, alors qu'il faudrait justement s'en abstenir!
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