13 mai 2014

Tellement vrai

On me reproche souvent de cracher dans la soupe quand il s'agit de parler de la toile. Pour ma part, je confirme aisément le fait que je m'échine à ne jamais la prendre pour autre chose que ce qu'elle est, à savoir un vecteur de l'information, et certainement pas un outil permettant de la bonifier. Trop de gens mélangent outils et résultats, et le net n'est en rien un fût ayant pour qualité d'améliorer les propriétés des choses qu'il contient. Typiquement, le net est à mes yeux le plus impressionnant moyen de distribuer à parts égales de la merde et de l'or. Alors oui, on va me tanner la couenne en disant "mais il y a tant de belles choses dessus!"... Ah, parce que la galaxie de sites incongrus, inutiles, non informatifs, voire même malsains n'existent pas? Parce qu'il n'y a que pureté dans les eaux internationales du Web? A l'instar des mers du globe, naviguer dans celles de l'internet peut mener tant à des plages magnifiques, qu'aux quarantièmes rugissants de sinistre mémoire.

Alors, qu'est-ce qui est tellement vrai? Une citation me semble parfaitement résumer ce qu'est Internet:

Come to think to it, there are already a million monkeys on a million typewriters, and Usenet is NOTHING like Shakespeare.

[ J’y pense, il y a déjà des millions de singes sur des millions de machines à écrire, et Usenet n’a RIEN de Shakespeare. ]


Cette citation provient du "paradoxe du singe savant".
Le paradoxe du singe savant
Il en existe plusieurs versions, mais l'idée globale est qu'en faisant écrire indéfiniment une infinité de singes sur des machines à écrire, tôt ou tard l'un d'eux finira par taper un Shakspeare... Or, comme la quantité de singes (nous, en l'occurrence) est finie, cela sous-tend qu'on n'obtiendra théoriquement jamais ce résultat. Si l'on extrapole: ce n'est parce qu'on est des milliards à utiliser la toile, que pour autant cela fera de l'un de nous un génie, loin s'en faut. Une autre interprétation serait tout aussi valable: ce n'est pas parce qu'on augmente la quantité d'informations, que pour autant sa qualité s'améliorera.

A mes yeux, le contenu du net est à regarder au cas par cas, et non avec un recul qui n'a aucun sens. Quel recul d'ailleurs? Ce même recul incite l'immense majorité des gens (moi y compris) à utiliser les produits les plus centrés, les plus contrôlés, donc de fait les plus propices à attirer le tout-venant, ainsi qu'à subir très facilement une censure et un contrôle étatique. En l'espèce, quand on se croit pourvu d'un "cerveau", c'est à mes yeux particulièrement prétentieux. La seule et unique Vérité, est que chacun détient la sienne, qu'elle convienne ou non aux autres. De plus, avoir le savoir technologique ne rend pas nécessairement plus intelligent, pas plus que compétent qu'un autre sur énormément de sujets. En revanche, cela semble rendre particulièrement arrogant sur ses propres capacités, et naïf sur le fonctionnement réel du monde qui nous entoure.

Comme n'importe quelle bibliothèque, comme n'importe quel kiosque dans la rue, la toile fournit une énorme quantité d'informations. Au surplus, la toile rend le tout interactif, donc nécessairement plus attractif et plus digeste que des textes bruts. Pourtant, est-ce que la belle présentation rend forcément les choses meilleures? J'ignorais que l'emballage primait sur le contenu... Cela me fait songer au syndrome de la boite de conserves: lorsqu'on colle une étiquette explicite sur une bête boite en aluminium, on en identifie immédiatement le contenu, et l'on va même aller jusqu'à "croire" ce que ladite étiquette revendique. Par exemple, un produit estampillé "BIO" aura les faveurs de certaines personnes, tandis que la conserve juste à côté, sans rien de mentionné en ce sens, sera rejetée... Faute d'attrait. Pourtant, rien ne prouvera au consommateur que les haricots contenus dedans ne sont pas issus de la même ligne de production, les premiers étant vendus juste plus chers pour des questions de marketing. Sur la toile, il en va de même: plus un site est visé comme étant "intéressant" par une communauté, plus il y a de chances que les opinions présentées dessus seront colportées, et ceci que ces idées soient acceptables ou non. L'analogie est d'autant plus proche de la réalité que nombre de sites "en vue" se font les échos de marques, parce que celles-ci s'avèrent plus que généreuses... Mais ceci sans que le lecteur final non averti soit réellement au courant de ce mode de financement pour le moins trouble.

Le net n'a pas d'intelligence au sens humain du terme. Il n'a pas pour but d'instruire, comme je le lis déjà bien trop souvent. L'instruction est une transmission de savoir, mais avec un encadrement adéquat. On ne donne pas, que je sache, une encyclopédie aux gamins en leur disant "démerde toi". Non: on a un encadrement scolaire, avec une pédagogie, et le net est très loin d'avoir une quelconque capacité en ce sens. On a reproché à nos parents d'avoir demandé à la télévision de nous éduquer... Nos gosses ne vont-ils pas nous faire le même reproche, et ce de manière parfaitement légitime? Une technologie, si interactive qu'elle soit, n'a pas la moindre conscience, ni la moindre réflexion. La toile répond, elle donne ce qu'on lui demande et pas plus. Si on lui demande n'importe quoi, si l'on prend les résultats d'une recherche quelconque, il y aura systématiquement, tôt ou tard, des avis contradictoires, voire même une volonté manifeste de déformer ce qu'on pourrait estimer comme étant "vrai".
Les exemples sont plus que nombreux, dont certains particulièrement cocasses: la notion de "google bomb" a été, pendant un moment, une des plus belle démonstration de cet état de fait. Comment? L'idée de base est la suivante: comme Google référence les contenus par leur pertinence, distribuez aussi largement que possible une fausse information, et celle-ci finira immanquablement en tête de liste, donc forcément parmi les liens les plus lus. En conséquence? Lisez donc la description Wikipedia pour bien saisir l'effet obtenu...
Qu'est-ce qu'un bombardement Google

Il n'y a guère besoin d'être un devin pour saisir ce que la toile nous réserve, au titre que celle-ci me semble se comporter comme l'économie réelle des USA, à savoir des phases distinctes, claires, et qui, dans le fond, ne seront jamais profitables pour les clients finaux, c'est-à-dire chacun de nous. Prenons un exemple très élémentaire, à savoir celui de l'économie du pétrole.
- Quand les premiers puits furent exploités, le prix du pétrole était si bas, faute d'usage, que celui-ci coûtait moins que l'eau... Donc, nécessairement, ce produit était considéré comme "bas de gamme". Là, c'est la première étape de la toile, à savoir une économie en devenir, avec plein de petits acteurs sans véritable influence.
- Tout à coup, on se rend compte (les gros industriels) que le produit peut avoir des usages divers et variés... Alors, on rachète tout ce qui bouge, on investit, et on se déclare une guerre sans merci pour obtenir le leadership. La Standard Oil a pratiqué le chantage, les menaces, voire même des méthodes comme provoquer des grèves meurtrières pour faire mourir les concurrents. Conséquence? Concentration des entreprises, regroupement de gré ou de force, pour amener à des monopoles. Côté Web et technologies? Microsoft avec ses rachats massifs, Google avec sa progression dans le domaine du moteur de recherche, Facebook avec son poids financier colossal et ses rachats délirants...
- Troisième étape: les trusts finissent par devenir trop envahissants, pesants, à tel point que les états finissent par s'en plaindre. Le premier procès retentissant contre les trusts a fait exploser la Standard Oil afin de réduire "à néant" ce pouvoir colossal. Le pouvoir de Rockfeller (fondateur de la société) était tel qu'il avait (dit-on) refusé de se présenter aux élections présidentielles aux USA "parce que j'ai plus de pouvoir en dirigeant la compagnie, qu'en étant le président". Démantèlement?
La Standard Oil sur Wikipedia
Regardez la liste des sociétés concernées par l'éclatement, et dites vous bien qu'elles travaillent toujours "en bon entente"... Cette étape est en cours côté réseau et informatique: Microsoft a frôlé le démantèlement de par sa situation de quasi monopole, l'entreprise a pris des amendes à ce propos (on parle en centaines de millions d'Euros, excusez du peu), et Google est actuellement dans la ligne de mire de nombreux pays. A mon sens, cette régulation sera purement orientée états (et non clients), au titre que les pays refusent que des sociétés privées puissent leur dicter leur loi.

Que va-t-il se passer à terme? Ce qu'il se passe aujourd'hui: les grandes entreprises sont encore et toujours de vastes lobbies, dont les méthodes pèsent suffisamment sur les législateurs, de sorte à freiner les plus petits... Et donc bâillonner les éventuels nouveaux concurrents, ou juste faire en sorte de les voir mourir à petit feu. Les "miracles" économiques n'existent pas: Google a su gérer son afflux massif de capitaux, Facebook est en pleine course à l'échalote pour ne pas risquer sa propre existence, l'entrée en bourse de Twitter est un bide absolu, et Yahoo est dans le fond du tour financier. Tout ça pour quoi? Parce que les gros opérateurs se tirent dessus, parce que les petits ne pèsent rien, et que les utilisateurs, vous, moi, vont vers les services les plus fournis, et non ceux susceptibles de les rendre moins dépendants. Qui, parmi vous, a son propre serveur de messagerie? Qui, parmi mes lecteurs, dispose d'un serveur visible H24, le tout hébergé par ses propres soins, et non chez un opérateur quelconque? Redescendons sur terre, et soyons lucides: la toile n'est pas intelligente, son usage très majoritairement dicté non pas par "la liberté", mais clairement par les usages qui conviennent à ceux qui brassent le plus de données.... Donc ces mêmes trusts tant décriés.

Nombre de débats "philosophiques" tournant sur le fonctionnement et le devenir de la toile me font plus que sourire. Il suffit d'observer les différentes méthodes et autres usages qui sont en place pour comprendre qu'il y a de quoi rire, surtout dans les directions des grands trusts du réseau. "Salauds de Google"... Avec dans les commentaires la capacité de cliquer un "+1"; "Pourriture d'annonceurs de publicité", avec dans le même temps un bouton pour "quémander" une assistance pécuniaire; "Facebook vous traque", avec un bouton "like" juste à côté... on n'est plus à un paradoxe près là, non? Les géants du réseau détiennent déjà tout ce qu'il faut pour nous fliquer et nous surveiller, et les états savent très bien s'adresser à eux pour obtenir des informations par devers nous. Qui plus est, nous les aidons de bonne grâce, ceci parce que le service est gratuit. Toutes les tentatives de rendre les mêmes services payants se sont lamentablement effondrés. Le plus flagrant fut les vaines tentatives de créer des services d'annuaires payants pour concurrencer les pages blanches/jaunes. Aujourd'hui, un seul subsiste, parce qu'il a su se rendre sympathique, et que son numéro s'est ancré dans les têtes à travers la publicité. Qui a parlé de mouton déjà...
Abolir les géants, c'est rêver d'une concurrence concrète... Or, celle-ci s'adosse bien souvent à ces mêmes géants (cf les "moteurs de recherche" qui font leur boulot en envoyant des requêtes sur Google et bing), et même si les intentions sont louables, il m'apparaît aujourd'hui comme difficilement concevable de sortir de ces prisons numériques que nous tous, consommateurs plus ou moins avertis, nous nous sommes empressés de bâtir. Il n'y a pas à chercher bien loin pour s'en convaincre: taux de pénétration des systèmes "libres"? Au niveau des particuliers, en dehors de quelques acharnés, je dirais... néant. Usage du libre dans la téléphonie mobile et les tablettes? Tout simplement un néant absolu puisque Androïd n'est pas "libre" au sens strict et pur du terme, même s'il est autrement plus ouvert que les autres systèmes existants. Et ajoutez à cet aspect que TOUT est centralisé dans Androïd... Alors qu'on critiquait Apple avec son Store à ses débuts. Qui avait raison? La firme à la pomme: enchaînez vos clients, ils vous suivront sans broncher. Nous sommes tous enchaînés, plus ou moins efficacement, à ces services centralisés, et quoi qu'on en dise, cela n'est pas fait pour s'améliorer.

Comment sortir de ce modèle? Ce n'est pas en fantasmant sur des solutions totalement décentralisées, supposées neutres, que cela va se faire. En effet, même si nombre de belles idées sont présentes, reste encore à les adopter et surtout à les faire adopter aux plus nombreux, à savoir les "non informés". J'entends souvent un discours qui, sur le fond, est plutôt "gentil": "Les prochaines générations seront plus compétentes et averties, elles feront en sorte de tuer les monopoles, et de faire progresser le monde du virtuel". Un seul mot en réponse: connerie. Mais alors LA connerie absolue, la monstrueuse, gigantesque connerie! Ce n'est pas parce qu'on connaît mieux l'outil, que pour autant les gens en feront forcément un meilleur usage. La télévision s'est incrustée dans les foyers depuis 50 ans environ (je parle de consommation de masse en France...). Les gens peuvent zapper, changer de chaîne, choisir parmi des centaines, que dis-je des milliers de programmes... Qui récolte encore la large majorité des audiences? De la télé de fond de poubelle... Ce qui fait de l'audimat n'est certainement pas ce qui va vous instruire. Et s'il en va ainsi sur le petit écran, il en va de même sur la toile. Soyez lucides et prenez conscience d'une chose: voici le top 10 des sites les plus visités en France.
1.Google
2.Facebook
3.YouTube
4.Amazon.fr
5.Google.com
6.leboncoin.fr
7.Orange
8.Windows Live
9.delta-search.com * Celui-là... c'est à cause de l'immense contamination des navigateurs par des virus pendant de nombreux mois... et qui apparaissent encore régulièrement chez les utilisateurs les moins avertis
10.Yahoo!
Et on va me parler de faire mourir les géants, de se passer d'eux? Ah bon? Et comment le numéro 9, qui est issu d'une pollution par un virus, est aussi présent? Parce que les gens ne savent pas utiliser, ni même veulent savoir bricoler leurs machines! Ils veulent s'en servir, point final! Ce sont des consommateurs, et je ne vois absolument pas comment les en dissuader... puisque je leur donne raison!

L'avenir? Il me semble que c'est un problème d'éducation, et non pas de rêveries absurdes. Evangéliser ne sert à rien, il s'agit à mon sens de former les prochaines générations afin que celles-ci soient simplement plus prudentes avec leurs données, qu'elles réfléchissent avant d'agir... Or, il s'agit là d'un acte déjà présent, puisqu'il s'agit d'éduquer nos gosses. Ne fait-on pas cela depuis des siècles, en essayant de leur inculquer de ne pas lire n'importe quel bouquin, d'avoir l'esprit critique? Si? Alors pourquoi le livre d'hier serait plus con que le site internet d'aujourd'hui? Par quelle magie la toile serait-elle meilleure que les classiques d'antan? Je conclue cette diatribe par ces mots:
Même si nous ne sommes des singes tapant à la machine, cela ne nous empêche pas d'apprendre à mieux s'en servir. Cela ne fera pas de nous des Shakespeare, pas plus que la machine aura de capacité à le devenir. Par contre, nous pourrons revendiquer d'avoir voulu transmettre ce que nous pensons, et c'est déjà pas si mal

1 commentaire:

j-c a dit…

Je suis également inquiet de cette vision "internet a toujours raison", y compris quand ça va à l'encontre du bon sens.
Un exemple qui me frappe toujours, c'est de voir à la fois certains dire qu'internet peut être utilisé anonymement par les dissidents aux dictatures (et donc permet d'échapper aux lois de ce pays), et ensuite disent qu'internent ne permet techniquement pas d'échapper aux lois d'un pays (lorsqu'ils réagissent à l'expression "zone de non-droit").
Je ne vais pas jusqu'à dire qu'internet est une zone de non-droit (la réalité est plus subtile), mais il faut lui reconnaitre ses défauts comme ses avantages, et quand qlq'un parle de zone de non-droit, il met bel et bien le doigt sur un élément réel.