03 février 2014

Avis aux amateurs

Attention... texte fleuve!

Je m'interroge encore et encore sur la critique qui est faite sur les idées concernant aussi bien le travail, que la possibilité de financer le non-travail d'une manière ou d'une autre. Cette réflexion, qui, d'un point de vue moral, semble assez légitime, nous apparaît dorénavant plus que complexe à traiter tant la société dans laquelle nous vivons est bâtie sur des paradoxes: économie adossée au travail de l'argent, dévalorisation de la production au profit d'une délocalisation à bas coût, financements divers et variés de l'inactivité souvent associés au concept de "l'oisiveté aux frais de l'état"... De quoi se demander où est la "bonne" solution, si tant est qu'il puisse en exister une.

Déjà, observons un peu le raisonnement tenu aujourd'hui : il est devenu autrement plus rentable de faire travailler l'argent (par le truchement de la spéculation, des investissements à rendements, bref tout produit financier susceptible de générer du bénéfice sans avoir soi-même produit quoi que ce soit), que par la production "pure" de richesses. Qu'est-ce que cela sous-entend? Tout simplement que quiconque ayant des richesses peut se permettre d'investir, et donc potentiellement de s'enrichir, et que tous les autres, dépourvus de ce pouvoir, sont tenus à rester à la marge, à l'exception près de quelques entrepreneurs aventureux qui, finalement, arrivent à prendre une position rejoignant les "riches investisseurs". Doit-on blâmer ceux qui placent de l'argent? Dans l'absolu, en fantasmant une société équitable, on pourrait espérer que cet argent soit injecté dans l'économie globale, qu'il serve à développer des biens et des services... Or, force est de constater qu'il ne fait que pousser à la roue pour celles et ceux qui veulent voir des nombres grossir sur un compte, et pas voir des entreprises croître. Après tout, un trader voit un matricule pour une action, pas ce qu'elle fait ou si peu. Dans ces conditions, difficile de légitimer un tel fonctionnement, au titre qu'il ne peut pas inciter à travailler, puisque cela sera en pure perte en terme de rendement économique.
En allant au-delà, cela implique alors trois choses. En premier lieu, l'entreprenariat, étouffé face au coût qu'engendre un fonctionnement en indépendant, va pousser soit à s'effondrer, soit à travailler sans tout déclarer. En étranglant ceux qui veulent entreprendre, on ne peut qu'y perdre, notamment dans le domaine du service. Au surplus, comment le client final peut-il accepter de voir la note se saler, surtout quand il s'agit de surcoûts liés aux taxes ou au coût du travail? On fait alors appel à la délocalisation, ou carrément à la main-d'œuvre bon marché (cas des ouvriers Polonais en France par exemple). Dans un second temps, quand on s'offre une politique défavorable au travail, on ne peut que pousser certains à "profiter" du système, en récupérant tous les dispositifs supposés aider ceux mis à l'écart par le système, et non pas financer l'inactivité professionnelle. Quand on en arrive à prendre sa calculatrice pour savoir, si oui ou non, il est rentable de travailler, c'est qu'il y a un énorme problème dans les mécanismes de protection sociale. Enfin, le troisième point, et non des moindres, découle directement des deux précédents: pourquoi espérer trouver un emploi, puisque les entreprises vont chercher à réduire les coûts, tant afin de prendre des marchés, que par souci d'augmenter les marges? Clairement, le suicide économique est tout à fait flagrant, car l'équation de la banqueroute est sous notre nez. Taxez plus ceux qui travaillent (au sens large), c'est les inciter à ne plus embaucher (patronat), à ne plus travailler (salariés), et à dénigrer clairement le travail local au profit d'un travail moins cher... Avec pour effet pervers de perdre toute une compétence, avec toutes les conséquence que cela peut avoir.

Alors quoi faire? Déjà, s'interroger avec force sur quelques règles fondamentales: l'aspect social d'une société ne doit en rien venir contredire les aspects économique fondamentaux. On ne peut et surtout on ne doit pas rendre le travail, l'activité professionnelle inutile, ou insuffisamment rentable pour l'employé. De plus, il est notoirement dangereux d'inciter à jouer avec l'argent, au lieu de s'en servir avec bon sens. Je ne comprends toujours pas comment l'on omet de dire qu'il existe bien trop de portes de sorties juridiques pour les "riches", là où les classes moyennes et basses n'ont pour seule issue que de se taire et payer. De plus, je ne vois toujours pas de loi permettant de mettre un terme aux actions aussi irraisonnées qu'intolérables des spéculateurs purs. Comment peut-on considérer comme logique d'essorer des sociétés qui produisent, là où l'on tolère des marges délirantes, sous prétexte que les dites marges ne passent pas par l'économie réelle? Il y a un énorme problème à ce niveau.
Certains abordent cette catastrophe à travers des taxes, comme par exemple celle nommée "Tobin", dont le but fondamental est de taxer les transactions boursières. Admettons. L'idée est plaisante, mais elle reste, selon moi, complètement insuffisante car globalement incitatrice à exiler les capitaux, et non à les faire rester localement. Je crois qu'il y a, avant toute chose, un besoin de réfléchir à des mécanismes encore plus globaux, non pas en imposant des quotas/taxes et autres solutions "communisantes", mais à mon sens sur des stratégies d'incitation à injecter les capitaux dans de l'économie réelle. Certains croient, à tort, qu'il est aisé de créer de l'emploi en réduisant les taxes et les charges. C'est en soi une énorme bévue que d'y croire, car l'embauche se fait non à la vue de taxes réduites (voire effacées, comme cela existe pour certaines embauches spécifiques), mais en regard d'un gain de production nécessaire ou potentiel. Embaucher, c'est un investissement sur une personne, une forme de placement à risque où le rendement doit être trouvé... sous peine de devoir licencier le salarié, faute de gain. Dans ces conditions, j'ai la conviction que la solution première est de rendre l'investissement concret fiscalement plus intéressant que l'investissement boursier. Reste à voir comment articuler des lois de finance en ce sens.
Un autre point critique est à passer, à savoir le fantasme d'une société totalement sociale, équitable. Encore une fois, pour donner à quelqu'un, il faut avoir pris l'argent en question quelque-part, sauf à vouloir s'endetter. A ce jour, la question reste entière: où prendre l'argent, alors que nous sommes déjà dans une situation financière sensible? Peut-on encore croire à un financement massif de l'état? A mon sens, ce n'est pas en créant des niches d'inactivité "maîtrisée" qu'on obtient tant une paix sociale, qu'une vie potable pour celles et ceux rabaissés par les mécaniques actuelles. Le chômage devient une fatalité, voire un mode de vie, quand il n'y a pas l'espoir de "mieux vivre" en travaillant. La stimulation de l'emploi doit, selon moi, partir d'un constat élémentaire: il ne faut pas que l'emploi soit une source de perte de prestations, et encore moins que l'emploi devienne un esclavage. Quand on est confronté au choix du "travailler ou glander, même résultat financier", difficile de blâmer celui qui va choisir de ne pas se lever, puisqu'en fin de mois, les deux seront équivalents ou presque. Comment faire travailler les gens alors? Déjà, il est selon moi indispensable de revoir complètement la politique de taxation du travail, non pas en faisant des mesures radicales, mais en traitant le cas des bas salaires en priorité. Aujourd'hui, ce qui pousse nombre de sociétés à délocaliser, c'est l'idée (souvent ridicule), qu'il n'est plus possible de produire en France, parce que l'emploi des bas salaires reste non compétitif. Charge à la politique fiscale de trouver une façon de rendre à nouveau séduisant l'emploi localisé. Il peut tout à fait y avoir un mécanisme de vase communiquant, entre une réduction drastique des coûts sur les petits revenus (avantages fiscaux, détaxe...), et la taxation compensatoire sur les gains faits en bourse par exemple; Là, on aurait déjà un premier retour vers un équilibre entre travail et capitalisme boursier.

bien au-delà de ces petites idées, j'imagine également que certains rêvent encore de voir une société plus juste, équitable... Comment l'obtenir? Quels sont les moyens qu'on doit se donner pour permettre à chacun d'avoir une vie meilleure? Je considère le travail comme une vertu, comme un enrichissement personnel. Cependant, il est évident que cela ne vaut que parce que j'exerce un emploi qui m'enrichit intellectuellement, et qu'il est difficile de demander une telle appréciation pour celui qui n'a pas un emploi stimulant. C'est là qu'il y a un énorme progrès à faire, mais d'un point de vue moral et éthique. Qu'on cesse de dévaloriser les emplois non qualifiés, qu'on arrête de pousser les enfants vers des études à rallonge. A mon sens, il faudra absolument trouver une méthode de communication rappelant que chacun peut se trouver une place, et que l'ouvrier à la chaîne n'a pas moins de valeur que l'ingénieur qui a conçu la machine sur laquelle le premier travaille. Nous ne pouvons, ni ne devons pas considérer le diplôme comme une finalité, mais comme une référence. Il n'est pas acceptable qu'on aille constamment s'adosser à des discours tels que "trop diplômé", ou "insuffisamment diplômé" lors de l'embauche. Déjà, l'expérience, la détermination doivent entrer en ligne de compte. De plus, traiter chaque salarié à égale valeur ne peut qu'améliorer le climat social. Et pardessus tout, faire se sentir "valorisé" par son employeur ne peut qu'amener à une meilleure considération de sa tâche par l'ouvrier. Comme dirait l'autre "J'aime mon métier parce que je suis respecté pour ce que je fais".

Comment faire changer les choses? En créant des "revenus minimum d'aide" comme le RSA? L'étendre à ces classes d'âges actuellement non prises en compte (18-26 ans par exemple)? En traitant le problème par l'assistanat, ou en pratiquant des politiques incitatives? Les ajustement fiscaux ne sont que des manipulations de chiffres, alors qu'une bonne pratique est, avant tout, de pousser à consommer ce que nous produisons, et en consommant les produits des autres. Il ne s'agit pas seulement de protéger ce qui peut l'être, mais aussi et avant tout de faire revenir un savoir-faire dilapidé au gré des délocalisations, de la perte de rentabilité de certaines activités, ou encore plus cruellement par la destruction d'un patrimoine industriel, détruit par des choix stratégiques honteux (entreprises en faillite non par manque de compétitivité, mais à cause d'investissements hasardeux), ou pillé (vendu à l'étranger, puis démantelé, cela pour satisfaire l'actionnaire et pas la production). On m'a déjà argumenté que les entreprises meurent aussi faute de clients. Cela existe. Mais quand une entreprise meurt, alors que son portefeuille client est encore tout à fait crédible, c'est que les dits clients vont forcément se reporter sur un autre fournisseur. Dans ces conditions, soit nous laissons mourir les concurrents pour privilégier des ploutocraties (voir la situation monolithique vécue dans l'informatique avec Google/Microsoft, ou dans l'industrier avec Mittal), soit nous sauvons l'emploi, ceci à travers une vraie politique économique et industrielle. Il n'est plus temps de se gargariser avec le TGV et le Concorde, il est plus que temps d'espérer revoir de tels projets émerger au milieu du marasme actuel.

J'entends plein de gens me parler de surconsommation, d'orgie, de gâchis. Nous ne surconsommons pas selon moi. Nous consommons n'importe comment, sans raison ni besoin. Il est tout à fait envisageable de revoir nos modèles de consommation, ceci afin que l'argent dépensé le soit intelligemment. Il y a tant à faire: économies d'énergie, politique écologique dans les domiciles, renouvellement des véhicules pour tendre vers des villes plus propres, réflexions sur nos équipements électroniques et électriques afin de moins consommer, modernisation des réseaux de l'information et du maillage hors des grandes villes... Nous pouvons fort bien mettre un terme à la spirale du chômage, car nous avons des possibilités de progrès, de la main-d'oeuvre qui sera aisée à motiver à travers de vrais gains, et qui plus est de pouvoir recréer une situation de crédibilité industrielle à l'international. Admettons une chose fort simple, et pourtant prise en défaut voire même tournée en ridicule, à savoir la modernisation de nos équipements électriques. La majorité consomment énormément, sont peu recyclables en bout de chaîne, et entre les deux surconsommés car sans cesse rendus obsolètes par les industriels (plus de maintenance, voire impossible à maintenir= déchet quasi systématique). Cela me paraît parfaitement crédible d'imposer des systèmes modulaires de taxes comme "produit vert produit localement=TVA réduite" par exemple. Il y a énormément d'axes de réflexions, de solutions, alors ne laissons pas les choses sombres dicter notre attitude.

Enfin, pour moi, travailler n'a rien de honteux ni de dégradant. Ce qui l'est, c'est de résumer le travail à une corvée, et non à une fonction sociale majeure. Travailler, ce n'est pas s'avilir à une machine, c'est en prendre le contrôle. La juste répartition des gains ne peut se faire qu'en rendant à nouveau le travail attrayant, tant socialement que financièrement. Tant que les exemples de réussite seront ceux issus de gens manipulant l'argent, au lieu de manipuler des entreprises, force est de constater que notre modèle social sera bancal... Si bancal qu'il pourrait, à terme, inciter des mouvements anticapitalistes à se radicaliser, ou tout du moins obtenir une oreille de plus en plus attentive de la population. Et pourtant, ce n'est pas tant le capitalisme qui ne fonctionne pas, c'est l'idée même que le capitalisme se résume à manipuler des capitaux... Alors que les dits capitaux devraient être générés non pas par de l'artificiel, mais du concret. Quand on voit que la première source de revenus de certaines structures se révèlent être la publicité, ou les feintes fiscales, j'ai dans l'idée que nous faisons gravement fausse route. Quand on spécule, à terme, on ne peut qu'aller à la banqueroute, car augmenter artificiellement la valeur de quoi que ce soit pousse, tôt ou tard, à rendre le prix du produit complètement hors de proportion. Un exemple: admettons un bien immobilier d'un prix X. On voit son prix augmenter jour après jour au moment de la vente par le jeu de l'offre et de la demande.... jusqu'au jour où le dit prix ne correspond plus à sa valeur, et les ventes s'effondrent. En bourse? Même combat... et 1929 en ligne de mire. A quoi bon mener à sa propre perte alors? Faisons en sorte de rendre le marché logique, sain, car indexé sur la capacité de chacun à profiter du système, et non d'en être complètement tributaire. Croyons en nous, et non en les chiffres. Croyons en notre capacité à partager, produire, améliorer le quotidien, au lieu de se contenter de suivre des courbes absurdes, des statistiques aussi vaines que muettes sur les réalités.

Pour le progrès, pour l'avenir; pour chacun de nous un potentiel de vivre mieux, plus équitablement.

1 commentaire:

Thoraval a dit…

Quel que soit le sujet, une société n'est qu'un jeu d'équilibres précaires. Bousculer ces équilibres est prendre le risque que tout s'effondre et de provoquer des révolutions incontrôlées et incontrôlables.

Et, tu le soulignes fort bien, c'est tellement bancal en ce moment...