20 novembre 2013

Folie

On se demande souvent ce qui peut pousser au meurtre certaines personnes, notamment quand l'affaire est médiatisée. Entre la mère tuant ses enfants, celui qui va faire un massacre sur une île, ou encore un type solitaire se trimballant en ce moment même dans Paris avec un fusil, il y a de quoi s'interroger. Pourtant, peu se disent "Et s'il n'y avait tout simplement pas de réponse simple?". Nous voulons, bien entendu, avoir des solutions et une meilleure compréhension des folies quotidiennes, de saisir les motivation du "tueur ordinaire", ou encore de pouvoir mettre des mots sur un comportement étrange et potentiellement à risque. Mais est-ce légitime, et même seulement faisable?

Nous mettons à profit, et ce chaque jour, notre intelligence, que ce soit à nos dépends ou pour notre bien. Forts de cette capacité à raisonner, nous estimons donc qu'il existe une forme de normalité, une sorte de niveau intellectuel et psychologique nous permettant de prétendre à une intégration plus ou moins complète dans la société. Or, force est de constater qu'au détail chacun a sa manière de comprendre, ses convictions, ainsi que ses tares intellectuelles. Du point de vue du quidam, on aura alors le têtu, le faible, le borné, le courageux, le vindicatif, l'agressif... et au-delà de toute mesure -jaugée sur l'état de la société- le "fou", celui qu'on se doit de sortir du système, afin qu'il ne devienne pas un danger pour lui-même ou pour autrui. Les gens ont besoin de connaître la différence entre un sain d'esprit et un fou, ils ont ce besoin maladif de pouvoir se classer, et donc de dire "je suis normal".

C'est sur cette erreur fondamentale que s'adosse la société. Qu'est-ce qu'un fou? Un assassin? Une personne ne respectant pas les règles dictées par son monde? Quelqu'un qui a des hallucinations? Votre voisin qui voue un culte quasi religieux à une star quelconque? Votre tante qui radote en parlant de son passé? C'est quoi un fou? Cette seule question est une difficulté majeure pour tout le monde, pour ne pas simplement dire une question sans réponse. La folie se juge à l'aune de la société, de son état, de ses marques, et de ses règles, qu'elles soient ou pas. Croire qu'on peut interner toute personne ne correspondant pas à certains critères sociaux, c'est légitimer un tri sur la "moralité" et sur "l'état mental" des gens. Or, c'est un outil despotique, et donc particulièrement dangereux. En poussant jusqu'au bout le raisonnement, sachant que chaque être humain a ses défauts intellectuels, qui est en droit de poser un jugement péremptoire concernant autrui? Un type ayant fait des études? Pourquoi serait-il moins fou que vous et moi?

On détermine souvent la violence comme la marque la plus aigue de folie: assassin en masse, tueur aveugle, violeur, perte de contrôle, attitudes asociales, bref on a pour principe fondateur que toute personne ne respectant pas la vie n'est pas sain d'esprit. C'est en soi une énorme erreur selon moi, car c'est encore une fois une question de moralité. On exécutait sans hésiter les esclaves quand ils n'étaient plus "bons pour le travail". Le bourreau était-il fou, ou alors la société lui disait que les gens qu'il tuait n'étaient pas des "égaux" pour lui? Le viol est aujourd'hui -et heureusement-lourdement sanctionné, mais fut une époque, cette horreur n'était même pas pénalement punissable! Et que dire de la pédophilie, ou de l'homosexualité? La première est une déviance qui ne choquait pas les vieilles civilisations, et la pratique de la seconde était condamnée de mort tant par les églises que par les états. Où est donc le "fou" alors? Où est l'assassin réellement fou, dangereux, le "psychopathe" qu'affectionnent les séries policières modernes?

La psychiatrie et la psychologie s'efforcent de trouver des critères, ceci à travers le dialogue, des tests plus ou moins empiriques, et les soins apportés tiennent souvent plus de la camisole chimique, que du véritable soin de fond de la "pathologie". Suis-je donc fou si je dis que j'ai des rêves particuliers? Le suis-je moins si je tais que j'ai des hallucinations et que je sais que ce sont des visions, et non la réalité? Est-il réellement simple de traiter la folie, que ce soit par la médication, ou par l'internement? Hier encore, on pratiquait ce qu'on appelle pudiquement "la sismothérapie" qu'on doit honnêtement appeler "électrochocs". Est-ce efficace? Les avis divergent. Est-ce qu'on parvient à contrôler les patients étant réellement dangereux? Difficile à prouver, tant ces institutions sont amenées à faire des choix. La schizophrénie provoque des drames tous les ans, car elle est plus répandue qu'on le pense, tout comme il est plus courant qu'on veut l'admettre que des gens simplement épuisés par la vie finissent entre quatre murs capitonnés. Où est la "folie" alors? Chez le patient, ou chez le praticien?

Quiconque a côtoyé une personne suivie pour des troubles plus ou moins lourds du comportement peut affirmer ceci: le fou n'est pas forcément sur le divan. Le quotidien peut nous mener à la déprime, à la fatigue morale et physique, l'effondrement personnel peut mener à des comportements nihilistes et/ou violents, donc sans analyser en profondeur tant les causes que les conséquences, nous ne pouvons décemment pas dire "untel en cellule d'isolement", et "unetelle est guérie". Une béquille chimique peut énormément aider, mais elle se révèlera souvent bien insuffisante, ne serait-ce que parce que le patient a souvent besoin plus de communiquer, que de se gaver de médicaments. Notre gestion de la "folie" tient donc plus d'une justice expéditive, que d'une véritable politique de soin de fond.

Enormément de personnes sont déprimées, ou tout du moins susceptibles de glisser vers ce qu'on appelle pudiquement la dépression nerveuse. Que se passe-t-il généralement? Manque d'écoute de l'entourage, ou alors honte de reconnaître sa propre faiblesse face aux évènements; ajoutez à cela un environnement qui devient de moins en moins tendre avec ceux qui craquent, et vous obtenez des suicides, des assassins, des alcooliques, de la toxicomanie... Bref diverses destructions plus ou moins volontaires de l'être et de l'âme. Le premier soutien doit avant tout venir de l'entourage, non pas en poussant les gens à se soigner, mais avant tout en communiquant, en parlant, en cherchant à donner tant une main secourable, qu'une claque salvatrice pour secouer celui ou celle qui se laisse aller. Les interactions sociales évitent bien des drames, et ce n'est pas une boite pleine de cachets qui pourra se substituer au dialogue.

Fou? Folle? Pourquoi? Pour avoir entendu des voix? On dresse bien Jeanne d'Arc en symbole féministe et/ou nationaliste; Dingue? Cinglé? Pour avoir voulu voler de ses propres ailes "différemment"? On disait des frères Wright qu'ils étaient dérangés, et pourtant sans eux m'est avis qu'on aurait pris un sacré retard dans le domaine de l'aviation. Malade? Dérangé? Parce qu'il peint des oeuvres qu'on ne peut ou ne veut pas comprendre? Van Gogh est devenu un symbole de cette "folie" qui tient finalement du génie. A enfermer? Halluciné? Alors qu'il a écrit des oeuvres phénoménales? Demandons à Maupassant ce qu'il pensait de la folie!

Comme quoi, ces critères d'état mental sont, à mes yeux, particulièrement difficiles à appréhender, et surtout dangereux pour chacun de nous. Qui sait, un jour je serai peut-être crucifié et interné, pour avoir eu le malheur de dire "je pense que". La folie commence souvent parce qu'on se croit sains d'esprit.

Et pour finir...

Peuple des sains d'esprit, ce que les toqués de l'asile m'ont appris, c'est que vous pourrez manger tout le savon que vous voudrez, cela ne vous lavera pas pour autant l'âme et le coeur (Flo)

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