Se poser la bonne question
Je sais que certains de mes lecteurs me soupçonnent d'être un militariste convaincu, voire même un amateur assidu de la chose militaire. Je dois leur concéder le fait que je me suis énormément intéressé à l'armée, à son rôle et à ses actions, et ceci à travers l'histoire de l'humanité. Cependant, j'ai la conviction que nous devrions devoir nous passer des armes, des soldats, et ainsi ne plus compter nos morts et encore moins les pleurer. Que ce soit sur notre propre territoire, ou à l'étranger à des milliers de kilomètres, je serai libéré du poids de la culpabilité d'être un civil le jour où nous n'aurons plus un coup de feu, plus une victime à déplorer à cause d'un conflit.
Seulement l'Homme est honteusement borné, incapable de discerner le bien du mal, et qui plus est capable de se lancer dans des affrontements sanglants pour des idéaux qui meurent plus vite encore que grandissent les enfants. Nous sommes des bouchers, des barbares qui refusent de voir la vérité en face, celle terriblement évidente qui est qu'il faut malheureusement être armé contre ceux qui s'arment. Je ne parle pas d'armer chaque citoyen, et encore moins d'une course à l'armement délirante comme ce fut le cas durant la guerre froide. Non, je parle de la nécessité absolue, dramatique, inévitable d'avoir une armée pour se défendre, voire même pour attaquer. Si triste que ce soit ce constat, il n'en demeure pas moins une évidence.
Alors, que faire? Laisser aux autres le soin de porter les armes? Aux autres de prendre le risque d'être au front, pour nous protéger, pour défendre une certaine idée de la liberté? Pourquoi vomir la bile pacifiste sur les soldats, quand il faudrait que les dits pacifistes comprennent, au contraire, que ces pauvres gars vivent l'enfer pour leur donner le droit de se prétendre pacifistes? N'est-ce pas paradoxal, dramatique? N'est-ce pas là toute la véritable horreur de la guerre, celle qui fait que le peuple aille cracher sur des gens qui les défendent et les protègent? J'ai un regard sombre et piteux pour mes semblables quand je les entends salir le courage et l'abnégation de nos soldats. On les entend gueuler "on s'en fout ces pays ne sont pas chez nous". C'est si simple... si facile de dire cela sereinement, de se moquer des civils qui ne sont pas dans nos contrées. "D'autres iront". Qui? Vous autres, qui crachez sur la détermination de nos gens en kaki? Pourquoi? Par quelle souplesse intellectuelle pouvez-vous à la fois exiger la sécurité, et l'absence de corps d'armée?
Ici, là d'où je viens, l'armée est une chose sérieuse, on la respecte pour tout un tas de raisons, on ne se cache pas les horreurs de la guerre, car contrairement à la France, nous avons vécus une guerre civile récente et douloureuse. Des voisins qui s'entretuent. Des gens qui se déchirent pour des questions religieuses, politiques, pour des prétextes... ni plus, ni moins. Ici, on célèbre les anciens combattants, parce qu'ils sont par milliers, parce qu'ils sont présents dans chaque village, dans quasiment toutes les familles, parce que tout le monde a un ami, un cousin, un voisin qui s'est battu, voire qui est mort pour une certaine idée de la liberté. Et quand j'entends les gens me dire que les soldats sont des cons, des abrutis à casque, je suis en colère, triste, accablé par la bêtise humaine, démoralisé par ce discours complètement hors de propos.
Quiconque a vu le regard d'un ancien combattant, quiconque a senti le coeur serré de ces hommes qui ont sacrifié leur âme pour nous autres, civils, ne peut rester indifférent. Comment se sentent-ils, ces types qui ont porté l'uniforme, qui ont tiré pour défendre leur patrie, et avant tout leur vie? Ce sont des gens blessés, mortellement blessés à l'intérieur. Ils revendiquent ce qu'ils sont, ce qu'ils ont été, mais ils souffrent à tout jamais d'avoir donné la mort, d'avoir vu des camarades tomber, d'avoir eux-mêmes saignés pour des gens qui ne leur reconnaissent même pas ce courage. Qui sommes-nous pour les haïr, les maudire de la sorte? Qui êtes-vous, pacifistes, pour leur renier le droit d'être honorés? De quel droit vous vous réclamez pour oser les détester à ce point?
Pour comprendre, il faut l'avoir vécu. Ce que j'ai vécu, ce sont les longs silences de mes proches qui ont connu le front. Ce que j'ai vécu et vis encore, ce sont leurs cauchemars quand ils réussissent à s'assoupir. Ce que je vois et que je ressens avec peine, ce sont leurs regards qui vous traversent de part en part quand vous abordez le sujet. Que je décèle dans leurs coeurs serrés, c'est l'infinie douleur de se souvenir de moments qu'ils ne conteront jamais, qu'ils n'exprimeront au mieux que par des larmes. J'ai vu des hommes et des femmes fondre en larmes il y a peu. C'était un jour férié ici, un jour de souvenir et de remerciement pour les défenseurs de la patrie. Nous étions tous réunis sur une terrasse près de la place du village. Des chansons résonnaient, elles naissaient dans les instruments d'un orchestre local. Et là, dans un coin, un écran de projection était tendu. Les gens buvaient, mangeaient, discutaient, bref ils vivaient une fête de village comme une autre. Puis, des images défilèrent sur l'écran, des images d'amateurs, des vidéos de caméscope, des photographies, mais toutes liées entres elles par le souvenir, parce que c'étaient des souvenirs de gens qui y étaient. Et là, doucement, les éclats de voix diminuèrent lentement, comme étouffés par le poids du souvenir.
J'ai regardé ces gens, je les ai observés. Certains s'étaient tus, certains touchaient d'anciennes plaies, des mutilés cherchant un membre inexistant, d'autres serrant les poings de rage ou de tristesse, mais aussi des mains, des couples se tenant par la main, comme pour remercier la providence qu'un fils, un mari, un proche soit revenu vivant. Les visages défilaient, certains riaient, d'autres étaient durs, fermés par les combats et les horreurs que ces yeux avaient perçus. Ils se regardaient dans le miroir aux souvenirs de cette vidéo, dans ce souvenir fixé sur bande magnétique, dans ce souvenir à jamais gravé dans leurs mémoires. Il y a des tombes à fleurir au cimetière, certaines sont tristement ordinaires, d'autres sont ornées de mots et de blasons honorant la mémoire du défunt tombé au combat. Et là, sur la vidéo, ils sont là, bien vivants, bougeant, parlant même à l'objectif, saluant celui ou celle qui daignera les regarder. On les voit, on ne les regarde plus. On se souvient d'eux. Ils sont vivants, bien vivants, l'espace d'une seconde fugace, ils ne sont pas là, à quelques centaines de mètres, à gésir sous une stèle de marbre noir.
Et mon oncle se souvient. Ses yeux pétillent, ils éclatent, il se rappelle avoir été avec eux. Il les connaît tous, ce sont ses amis, ses copains, ses camarades, une seconde famille. Tous sont partis en tant que volontaires. Tous ont choisi la voie du combat pour la liberté, l'indépendance, ils ont tous payés de leur âme d'avoir pris le chemin de la guerre. Osez leur dire qu'ils se sont trompés! Venez leur vomir votre antimilitarisme confortable, venez donc leur expliquer qu'ils se sont trompés... Osez donc, montrez vous courageux pour une fois. Mais juste avant de faire ce pas, posez-vous la seule bonne question, l'unique question que tout être devrait se poser avant de jeter à la gueule des anciens combattants votre opinion prétentieuse: qu'aurais-je fait à sa place? Si vous ne le savez pas, si vous pensez qu'il y a le moindre doute, qu'il existe la moindre hésitation... taisez vous. Et je sais que ce sera le silence qui vous enfermera, parce que vous ne pourrez prétendre à l'absolue vérité avec la conviction que les soldats n'ont aucune utilité. Ainsi est fait ce monde, de gens devant prendre les armes, d'autres protégés par celles-ci. J'espère simplement que nous saurons toujours avoir la décence, la politesse, et le respects nécessaires pour honorer ceux qui font le sacrifice suprême de leur vie pour nous autres, civils sans courage, sans conscience, et bien trop souvent, sans honneur.
A vous tous, soldats, je dis merci. Je vous remercie d'être les garants de notre sécurité, d'être au-dessus de ces débats stériles. Merci d'être nos protecteurs, notre bras armé, d'être courageux, volontaires, francs. Merci. Tout simplement.
Seulement l'Homme est honteusement borné, incapable de discerner le bien du mal, et qui plus est capable de se lancer dans des affrontements sanglants pour des idéaux qui meurent plus vite encore que grandissent les enfants. Nous sommes des bouchers, des barbares qui refusent de voir la vérité en face, celle terriblement évidente qui est qu'il faut malheureusement être armé contre ceux qui s'arment. Je ne parle pas d'armer chaque citoyen, et encore moins d'une course à l'armement délirante comme ce fut le cas durant la guerre froide. Non, je parle de la nécessité absolue, dramatique, inévitable d'avoir une armée pour se défendre, voire même pour attaquer. Si triste que ce soit ce constat, il n'en demeure pas moins une évidence.
Alors, que faire? Laisser aux autres le soin de porter les armes? Aux autres de prendre le risque d'être au front, pour nous protéger, pour défendre une certaine idée de la liberté? Pourquoi vomir la bile pacifiste sur les soldats, quand il faudrait que les dits pacifistes comprennent, au contraire, que ces pauvres gars vivent l'enfer pour leur donner le droit de se prétendre pacifistes? N'est-ce pas paradoxal, dramatique? N'est-ce pas là toute la véritable horreur de la guerre, celle qui fait que le peuple aille cracher sur des gens qui les défendent et les protègent? J'ai un regard sombre et piteux pour mes semblables quand je les entends salir le courage et l'abnégation de nos soldats. On les entend gueuler "on s'en fout ces pays ne sont pas chez nous". C'est si simple... si facile de dire cela sereinement, de se moquer des civils qui ne sont pas dans nos contrées. "D'autres iront". Qui? Vous autres, qui crachez sur la détermination de nos gens en kaki? Pourquoi? Par quelle souplesse intellectuelle pouvez-vous à la fois exiger la sécurité, et l'absence de corps d'armée?
Ici, là d'où je viens, l'armée est une chose sérieuse, on la respecte pour tout un tas de raisons, on ne se cache pas les horreurs de la guerre, car contrairement à la France, nous avons vécus une guerre civile récente et douloureuse. Des voisins qui s'entretuent. Des gens qui se déchirent pour des questions religieuses, politiques, pour des prétextes... ni plus, ni moins. Ici, on célèbre les anciens combattants, parce qu'ils sont par milliers, parce qu'ils sont présents dans chaque village, dans quasiment toutes les familles, parce que tout le monde a un ami, un cousin, un voisin qui s'est battu, voire qui est mort pour une certaine idée de la liberté. Et quand j'entends les gens me dire que les soldats sont des cons, des abrutis à casque, je suis en colère, triste, accablé par la bêtise humaine, démoralisé par ce discours complètement hors de propos.
Quiconque a vu le regard d'un ancien combattant, quiconque a senti le coeur serré de ces hommes qui ont sacrifié leur âme pour nous autres, civils, ne peut rester indifférent. Comment se sentent-ils, ces types qui ont porté l'uniforme, qui ont tiré pour défendre leur patrie, et avant tout leur vie? Ce sont des gens blessés, mortellement blessés à l'intérieur. Ils revendiquent ce qu'ils sont, ce qu'ils ont été, mais ils souffrent à tout jamais d'avoir donné la mort, d'avoir vu des camarades tomber, d'avoir eux-mêmes saignés pour des gens qui ne leur reconnaissent même pas ce courage. Qui sommes-nous pour les haïr, les maudire de la sorte? Qui êtes-vous, pacifistes, pour leur renier le droit d'être honorés? De quel droit vous vous réclamez pour oser les détester à ce point?
Pour comprendre, il faut l'avoir vécu. Ce que j'ai vécu, ce sont les longs silences de mes proches qui ont connu le front. Ce que j'ai vécu et vis encore, ce sont leurs cauchemars quand ils réussissent à s'assoupir. Ce que je vois et que je ressens avec peine, ce sont leurs regards qui vous traversent de part en part quand vous abordez le sujet. Que je décèle dans leurs coeurs serrés, c'est l'infinie douleur de se souvenir de moments qu'ils ne conteront jamais, qu'ils n'exprimeront au mieux que par des larmes. J'ai vu des hommes et des femmes fondre en larmes il y a peu. C'était un jour férié ici, un jour de souvenir et de remerciement pour les défenseurs de la patrie. Nous étions tous réunis sur une terrasse près de la place du village. Des chansons résonnaient, elles naissaient dans les instruments d'un orchestre local. Et là, dans un coin, un écran de projection était tendu. Les gens buvaient, mangeaient, discutaient, bref ils vivaient une fête de village comme une autre. Puis, des images défilèrent sur l'écran, des images d'amateurs, des vidéos de caméscope, des photographies, mais toutes liées entres elles par le souvenir, parce que c'étaient des souvenirs de gens qui y étaient. Et là, doucement, les éclats de voix diminuèrent lentement, comme étouffés par le poids du souvenir.
J'ai regardé ces gens, je les ai observés. Certains s'étaient tus, certains touchaient d'anciennes plaies, des mutilés cherchant un membre inexistant, d'autres serrant les poings de rage ou de tristesse, mais aussi des mains, des couples se tenant par la main, comme pour remercier la providence qu'un fils, un mari, un proche soit revenu vivant. Les visages défilaient, certains riaient, d'autres étaient durs, fermés par les combats et les horreurs que ces yeux avaient perçus. Ils se regardaient dans le miroir aux souvenirs de cette vidéo, dans ce souvenir fixé sur bande magnétique, dans ce souvenir à jamais gravé dans leurs mémoires. Il y a des tombes à fleurir au cimetière, certaines sont tristement ordinaires, d'autres sont ornées de mots et de blasons honorant la mémoire du défunt tombé au combat. Et là, sur la vidéo, ils sont là, bien vivants, bougeant, parlant même à l'objectif, saluant celui ou celle qui daignera les regarder. On les voit, on ne les regarde plus. On se souvient d'eux. Ils sont vivants, bien vivants, l'espace d'une seconde fugace, ils ne sont pas là, à quelques centaines de mètres, à gésir sous une stèle de marbre noir.
Et mon oncle se souvient. Ses yeux pétillent, ils éclatent, il se rappelle avoir été avec eux. Il les connaît tous, ce sont ses amis, ses copains, ses camarades, une seconde famille. Tous sont partis en tant que volontaires. Tous ont choisi la voie du combat pour la liberté, l'indépendance, ils ont tous payés de leur âme d'avoir pris le chemin de la guerre. Osez leur dire qu'ils se sont trompés! Venez leur vomir votre antimilitarisme confortable, venez donc leur expliquer qu'ils se sont trompés... Osez donc, montrez vous courageux pour une fois. Mais juste avant de faire ce pas, posez-vous la seule bonne question, l'unique question que tout être devrait se poser avant de jeter à la gueule des anciens combattants votre opinion prétentieuse: qu'aurais-je fait à sa place? Si vous ne le savez pas, si vous pensez qu'il y a le moindre doute, qu'il existe la moindre hésitation... taisez vous. Et je sais que ce sera le silence qui vous enfermera, parce que vous ne pourrez prétendre à l'absolue vérité avec la conviction que les soldats n'ont aucune utilité. Ainsi est fait ce monde, de gens devant prendre les armes, d'autres protégés par celles-ci. J'espère simplement que nous saurons toujours avoir la décence, la politesse, et le respects nécessaires pour honorer ceux qui font le sacrifice suprême de leur vie pour nous autres, civils sans courage, sans conscience, et bien trop souvent, sans honneur.
A vous tous, soldats, je dis merci. Je vous remercie d'être les garants de notre sécurité, d'être au-dessus de ces débats stériles. Merci d'être nos protecteurs, notre bras armé, d'être courageux, volontaires, francs. Merci. Tout simplement.
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