10 mars 2013

Camarade

On ne peut pas savoir si une affiche électorale est une menace ou juste un faciès de plus qui sera oublié dans vingt ans. On ne peut pas non plus deviner si, demain, on ne sera pas tenu, nous aussi, de prendre les armes et de rejoindre le maquis pour défendre une certaine idée de la liberté. On ne peut pas deviner si, demain, des grands pays vont se déclarer la guerre et jeter des millions de civils dans l’horreur des combats et de la survie sous les bombes.

Rien de tout cela, nous ne pouvons le deviner ni l’anticiper. Nous sommes tous des fantômes, des ombres qui ne font qu’un pas devant l’autre en espérant juste que la situation n’empire pas. Nous sommes lâches, nous n’avons le courage de nos opinions que bien trop tard, uniquement quand le destin nous presse à réagir et à sortir de notre réserve. Alors, finalement, nous mettons à notre bras un brassard, un symbole épinglé sur une casquette, ou encore nous collons des affiches en signe de révolte. Mais dites moi, expliquez moi, qu’est-ce qu’il nous reste quand nous devons affronter la réalité, la dure réalité de se sentir prisonniers, impuissants, que le froid et la faim nous tenaillent, ou quand l’oppresseur est à deux pas, sûr de sa victoire sur notre maigre résistance ?

« Mon camarade. »

Ce qu’il nous reste, c’est cette silhouette, ce frère, cette sœur de lutte qui nous suit depuis le début, qui a partagé sa ration avec vous alors que sa propre faim lui brûlait les tripes. C’est ce camarade, ce résistant, ce héros qui se dit ridicule face à nous, alors que sa propre humilité fait toute sa grandeur, c’est lui ou elle qui nous fait marcher malgré nos pieds ensanglanté et notre corps décharné. C’est dans l’adversité que se révèle l’âme humaine, au moment où l’on puise les dernières forces qui nous constituent, quand la mort n’est plus qu’une vague perspective. Nous avons alors quelqu’un près de nous, physiquement ou moralement, le camarade, celui qui nous fait dire « Si je meurs, ce ne sera pas en vain ». C’est avec ce camarade qu’on est alors prêt à traverser l’enfer, à repartir à l’assaut, arme à la main, avec fierté et audace, et ce peu importe pourquoi on est au combat.

« Le premier jour, on m’a dit de me battre pour un idéal. Le deuxième jour, j’ai eu peur de mourir pour cette idée qui n’était pas la mienne. Au cinquième jour, je ne me battais plus que pour mes frères d’arme. »

Et qu’importe la cause, qu’importe si l’on sait qu’on a tort, ce n’est plus pour soi qu’on lutte, ce n’est plus pour ces discours qu’on braillaient parfois pour se convaincre qu’on avait raison. Non. On lutte, uniquement parce que l’autre est à côté de soi, parce que le camarade, comme soi, a peur du noir, du bruit des balles, de la lueur des explosions, de la morsure du froid ou du soleil du désert. On devient un loup, parce que la meute se doit de faire front. On devient un prédateur, parce qu’il faut protéger la meute. On devient un assassin, pour que celui qui meurt ne soit pas dans son camp. C’est ainsi, les idées et les rêves meurent quand les idées deviennent que des prétextes. Mais les rêves qui naissent alors sont encore plus merveilleux, parce qu’ils sont simples, élémentaires, humains. On ne rêve plus d’un défilé de fierté, on rêve juste de pouvoir parler du passé autour d’un verre. On rêve de ne pas avoir à dire à une femme qu’elle est veuve, on rêve qu’une sœur de lutte pourra avoir des enfants après « tout ça ». Et c’est ainsi, on rêve, juste des rêves enfantins, presque ridicules tant ils semblent alors ordinaires pour celles et ceux qui n’ont pas connu la peur, la seule, la vraie, celle qui vous dévore au quotidien, et avec qui on dort comme on dormirait avec une mauvaise maîtresse.

Camarade, tu es là, tu es l’Ami, le vrai, celui qui se révèle quand les balles pleuvent, quand la douleur d’être démuni est infernale, quand le simple fait de marcher est devenu un supplice. L’humanité se transcende par l’amitié, et l’amitié n’est que plus belle quand elle se montre plus forte que tout, plus forte que le geôlier préparant la potence, plus forte que le peloton, plus forte que les gardes du camp de concentration. Camarade, tu es celui qui va chanter un hymne à la liberté au pied de l’échafaud, tu es celle qui va brandir le poing avant d’être passée par les armes. Camarades, vous êtes ceux qui ne se rendront pas. Vous êtes ceux qui auront lutté jusqu’à la dernière cartouche à Camerone, vous êtes ces soldats de la nuit, ces battants pour qui il n’y a ni mausolée ni monument. Vous êtes les anonymes, les types qui ont griffonné dans les cellules des camps de prisonnier « Je suis libre, parce qu’ils ne pourront pas enfermer mon cœur ».

A tous les camarades, d’hier, d’aujourd’hui de demain. A ces frères, ces sœurs, je vous dédie ces quelques paragraphes, parce que vous êtes ceux qui illuminent la Vie, vous l’illuminez par un courage qui devrait être ordinaire, parce que vous donnez le meilleur de vous pour les autres. Un hommage ? Plutôt une honte de ne pouvoir qu’écrire pour vous donner mes sentiments vous concernant.

Camarade. Ne sois jamais honteux de ce que tu as fait. Sois digne, et regarde ceux qui t’entourent. Ils sont tes camarades, et eux ne t’oublieront jamais, tout comme tu ne les oublieras jamais.

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