23 novembre 2012

Quand les mots ont une vraie valeur

Juste une précaution préalable: cette histoire est parfaitement authentique, ce qui ajoute, pour moi, énormément d'émotion en y songeant. Je tiens donc à la restituer avec toute la force que je la ressens, et surtout avec toute la charge qu'elle peut avoir sur mes réflexions personnelles.

C'était un de ces soirs où il ne faisait pas bon traîner dehors. Humidité, fraîcheur, une petite bise désagréable avait le don de m'agacer en me soufflant allègrement sur ma nuque non protégée. J'attendais là, comme d'autres, le bus qui tardait à venir pour nous ramener dans nos pénates. Etant consommateur (trop assidu me dira ma chère violette) de tabac, je me suis alors enquis d'une tige à cancer dans ma poche, et l'ai allumé sans vraiment prêter attention à mon entourage. Je me laissais en effet porter par de la musique lue dans mon casque, et j'espérais simplement que l'arrivée de ce satané bus ne soit pas trop tardive. Il faisait noir, froid, humide, mais un foyer m'attendait, un repas chaud viendrait alors redonner un peu de vigueur à ma carcasse saisie de frissons.

C'est alors que je l'ai vu s'approcher et, de deux doigts portés à sa bouche, il me fit le signe classique d'interrogation sur ma volonté de lui tendre une cigarette. Dès le premier regard posé sur lui, j'ai pu immédiatement, et ce sans le moindre doute, constater que l'homme n'avait ni logis ni lieu qui l'attendait comme moi. Il semblait vieilli, usé par l'existence, et son sac en toile trop lourd pour lui contenait probablement toute son existence. En haut de la pile étrange d'objets épars trônait un échiquier soigneusement rangé dans une vieille boîte passablement abîmée. Ses vêtements, eux, ne devaient leur aspect qu'à une usure plus que prononcée, et non à de la saleté accumulée. Il était propre, n'avait pas cette odeur supposée de crasse ou d'ivresse. Ses vêtements étaient comme lui, élimés, dégradés par le temps, le froid, le manque de sommeil dans un vrai lit, et ils reflétaient toute la misère que notre monde peut engendrer malgré ses néons et l'éclat prétentieux de sa science.

N'étant pas spécialement pingre, je lui ai alors tendu une cigarette, et lui en échange m'a tendu un Euro. Un Euro? C'est une somme, surtout qu'une boîte de vingt en coûte six. Poliment, je lui ai alors dit que je lui offrais, avec le plaisir de sentir le respect réciproque qui s'est immédiatement instauré par mon refus poli et ferme à la fois. Je lui ai souri, il m'a souri en retour, et il a insisté pour que je me saisisse de cette menue monnaie. Un Euro, qu'est-ce donc pour celui qui a un emploi et un logis? Un café? Même pas. Une pâtisserie en boulangerie? Un petit luxe sans remord ni lendemain; mais pour lui, cet Euro, c'est parfois la somme ridicule qui manque pour la chambre d'hôtel, c'est la monnaie qui interdit l'achat d'une baguette de pain, ou encore d'un paquet entier de cigarette. Il m'a remercié, empoché sa monnaie et m'a juste dit "Merci, vous savez, je n'aime pas profiter".

Profiter? Quel profit? Celui d'être traité en animal, en pestiféré par celles et ceux qui ont le confort et la quiétude? D'être invisible aux yeux de ceux qui ne veulent surtout pas voir la réalité de la rue? Il avait ce sourire digne, droit, et surtout honnête que j'aimerais voir plus souvent dans cette foule ingrate et égoïste. Il avait cette prestance et cette tenue que bien des prétentieux ne devraient pas avoir le droit de présenter. Il était juste humain, fier de lui-même, car non, il ne faisait pas la manche, il voulait m'acheter cette cigarette, et au prix fort qui plus est. Il voulait s'offrir son moment de réconfort, et pas la mendier comme d'autres le font parfois par désespoir. Ne croyez pas que tendre la main soit simple au départ, et sachez qu'il est ensuite que trop facile de couler et d'attendre des autres de l'assistance. Il voulait rester fier, sans réclamer, sans exiger du monde quoi que ce soit. Il s'assumait, quand tant d'autres prétendument insérés dans la société sont totalement tributaires de celle-ci.

Je ne sais pas trop pourquoi, si ce n'est peut-être un réflexe en voyant son visage émacié, mais je lui ai demandé "Vous avez mangé ce soir?". Il m'a souri, et n'a rien répondu. Je lui ai dit alors "Vous avez besoin de quelque-chose pour casser la croûte?". Il a souri de plus belle, et m'a répondu fièrement "Pas besoin, je n'aime pas demander et on a sa dignité". Et moi, en retour, je lui ai simplement rétorqué gentiment "Si je peux aider, je ne demande rien en retour". Il m'a alors encore remercié pour la cigarette, m'a dit qu'il aimerait qu'on se fasse un jour une partie d'échecs en me montrant la boîte dans son sac, puis il s'en est allé, sans attendre que j'aie l'occasion de lui donner un quelque-chose pour manger.

A mes yeux, ce type, cet inconnu, brisé, usé, c'est un Homme. Il est l'Homme au sens noble du terme, l'Homme méritant réellement le respect que tout Homme mérite. Minuscule, pauvre, sûrement solitaire, prisonnier d'une situation difficile et épuisante, il n'en garde pas moins la stature de l'Homme, marchant droit, ne réclamant pas, assumant pleinement son coeur et son âme comme peu le font. C'est ce genre de Monsieur qui donne des leçons de vie, car, contrairement à nous autres qui nous lamentons pour bien peu, lui ne se lamente pas pour bien pire.

Monsieur l'inconnu, le joueur d'échecs au sourire si franc et fier, ne changez pas d'âme. Si vous avez l'opportunité de sortir de la rue, de la spirale de la misère, faites le. Mais jamais ne vendez votre fierté, car c'est la chose la plus difficile à préserver. La vôtre est intacte, brillante, elle m'a ébloui tant par sa grandeur que par sa pureté sans tache. La rue est sale et immonde, cruelle et brutale, vous marchez sans être vouté ni aigri. Montrez ainsi l'exemple, et qu'on vous tende la main sans arrière-pensée, car vous le méritez vraiment.

La saison hivernale se prépare, elle n'est plus très loin. Il va sûrement faire froid, humide, et même neiger. Si vous avez la possibilité de donner un peu de réconfort, sans autre chose à l'esprit que de la solidarité, faites le. Ne vous croyez jamais à l'abri, la rue est un monstre qui peut happer affreusement vite, et rares sont ceux qu'elle recrache sans en avoir brisé le corps et le coeur. Marchons droit, soyons humains pour une fois, soyons des Hommes, pas des monstres d'égoïsme et d'ingratitude.

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Un texte poignant et vraiment juste. Je partage votre manière de penser et admire ces qualités qui font d'une personne un Homme et constate avec cynisme l’évolution de la societé qui a infantilisé l'homme et qui est en train de tacler au fur à et à mesure les valeurs fondamentales

JeFaisPeurALaFoule a dit…

Merci pour ce commentaire, cela me fait plaisir de voir que je ne suis pas le seul à penser ainsi

SpunK a dit…

Salut, si l'histoire est intéressante, elle devrait t'interroger sur toi.
La générosité c'est de donner 1€ ou de se priver d'1€ ?

Ça sent la bien pensance cette histoire... :(
Qui es-tu pour juger que son choix (éventuellement) de vie est une spirale, une misère ?
Comment sais-tu qu'il n'est pas plus heureux que toi, à n'avoi pas besoin de travailler pour se payer une futile connexion internet pour alimenter un blog pour se rassurer sur le sens de l'existence ?
As-tu déjà réfléchi au fait que justement, il n'use pas la fierté qui a l'air si précieuse pour toi, et qui au fond, si on y réflchit bien est la première cause de vice ? La fierté, qui fait des cocus des ciolents, des tueurs. La fierté, qui fait des supporters des casseurs. La fierté qui fait des hommes des boules d'égocentrisme ?

Non vraiment non, cette histoire, réduite à quelques paragraphes ne parlent que de vous, clochard de la vraie vie.

Désolé si je semble un peu rude, mais sérieusement, malgré la petite part de vérité et de bonheur qu'il y a dans votre billet, le fond est lamentable car enfermé en ce que vous êtes de plus humain, de plus égoïste. Et c'est triste.

Bon, même si ça ne sera jamais publié, et qu'il y a peu de chance que je revienne voir une éventuelle réponse, je vous laisse à vos réflexions. Je pense qu'il vous ait arrivé quelque chose de notable récemment, pour oser écrire des anneries pareilles.

Bien à vous, et votre condescendance envers ce "clochard".
Notez bien que ce n'est pas une attaque personnelle, cette fenêtre fermée, vous n'existerez plus pour moi, comme ce clochard.

Cédric a dit…

Bcp d'humanisme..ça fait plaisir !!

JeromeJ a dit…

Oh bratja de FMA :) C'est vraiment une chanson magnifique (et un chouette manga aussi).

Pour ce qu'il en est de l'article, la seule chose que je trouve triste et ça n'a rien de personnel avec vous, c'est que la majorité d'entre nous n'agissent pas *réellement* s'il en ont les moyens et on se tue donc à comparer ceux qui osent offrir ce petit geste d'humanité là où beaucoup fuient le problème (comme vous l'avez si bien décris).

C'est n'est pas un reproche ou un blame. Je pense juste que, si on veut vraiment aider, ce n'est malheureusement pas ça qui changera les choses (même si ces gestes humains sont extrêmement bienvenu selon moi). Fatalisme ? Défaitisme ? Non, positivement optimiste, car je sais qu'on peut faire beaucoup mieux et très facilement. Encore suffit-il de le vouloir et de trouver ces solutions faciles (car elles existent ! mais ne sont pas toujours évidentes et faciles à trouver). Cordialement. Avec beaucoup d'amour.