23 septembre 2011

Lumières

Généralement, les adultes font la leçon aux enfants en leur expliquant tout un tas de choses qu’eux-mêmes ne mettent que trop rarement en application : sois poli, sois propre, respecte ton prochain, tends la main à l’autre avant d’attendre qu’autrui le fasse vers toi… Et ainsi, nous tentons de leur inculquer des évidences, de leur enseigner ce qu’est supposé être un homme, dans sa fragile et insoutenable beauté, alors que l’adulte, lui, sait au fond de son âme que ce ne sont que des rêves, des vœux pour un avenir si possible meilleur pour sa descendance. Mais n’est-ce pas là un mensonge ? N’est-ce pas une hypocrisie que de vouloir préserver de la cruauté, à tel point que cela peut devenir une forme de cruauté indirecte ? Nous espérons, nous soutenons même vouloir un avenir plus radieux, plus harmonieux, alors que nous ne faisons pas grand chose dans cette optique. On pollue, on détruit, on triche, on tue, on se donne bonne conscience en faisant parfois un don quelconque, alors qu’on affame sans vergogne de l’autre côté du monde. Où est notre humanité ? Quand meurt cet esprit candide, cette enfance qui trop vite s’évapore ?

« Certains naissent dans les choux, d’autres dans la merde », telle est l’expression d’une chanson que trop réaliste et dure à entendre. La plupart dans nantis entendent sans écouter, et ce genre de propos les survolent comme peuvent les survoler les pigeons qui hantent la ville sans que personne n’y prenne garde. « Ils reviendront, comme toujours » se dit alors celui qui ne peut ni voir ni entendre, celui qui enterre ses oreilles sous la paume de ses mains, et qui met un voile pudique sur ses yeux de peur que la clarté de l’obscure réalité vienne lui brûler les rétines. Lâches, inconscients, égocentriques, on ne daigne plus alors laisser passer la lumière qu’entre les phalanges légèrement disjointes, juste ce qu’il faut pour que l’éclairage de notre environnement vienne nous éviter la cécité. Un peu comme un nuage venant que trop obscurcir notre quotidien, on se laisse légèrement émouvoir par les images de la pauvreté ou de la souffrance, pour rapidement chasser ces idées noires au profit du désir d’être tranquille, loin de toute douleur, loin de la réalité, loin de tout. « Et le soleil brillera à nouveau sur nos têtes », parce que, au fond, il n’y a pas de saison de la lucidité, juste quelques orages sur un été égoïste, sur un printemps nombriliste, parce que l’automne humide nous dérange, parce que l’hiver glacial n’est bon que pour les autres, pas pour soi.

Perdre la lumière de la Vie, c’est perdre le fondamental de notre existence même, à savoir que l’humanité ne se construit pas seul, que le monde est justement fondé sur l’échange, le contact, la réflexion, l’acceptation de la différence. Pourtant, nous sommes xénophobes, nous hésitons à faire confiance, nous fuyons les autres de peur d’être blessés, comme si l’autre était une menace et non une bénédiction. A nos enfants, nous leur expliquons qu’ils doivent être ouverts, sincères, honnêtes, tandis que nous agissons strictement à l’inverse. Alors, nos enfants dessinent des soleils radieux, des maisons où nous sommes idéalisés, où nos défauts sont gommés par le trait enfantin du fusain sur la feuille de papier. Puis, peu à peu, les enfants comprennent ce que nous sommes vraiment, des êtres faillibles, sensibles, fêlés, parfois même brisés par nos rêves et nos illusions perdues. Nous rêvons tous, nous avons tous des espoirs secrets, et tous, malheureusement, nous portons en nous des regrets, des remords, des tristesses cachées sous les sourires de circonstance. De loin, nous paraissons alors heureux, joyeux, pétris de bonnes intentions, alors que derrière la façade il y a des galaxies de noirceur, de larmes, de ressentiments qu’on étouffe pour que les autres ne se doutent de rien. Puis, un jour, on ne sait jamais pourquoi, cela explose, on surprend, on blesse, parce que finalement nous avons gardés le silence trop longtemps.

Dans la paradoxale et intolérable nécessité d’être à la fois honnête et discret, chacun de nous se débat avec sa conscience, ses sentiments, à tel point que toutes les émotions s’entrechoquent dans nos esprits torturés. Le mot « pourquoi » revient sans cesse, ver pervers qui corrompt sans relâche chaque analyse, à tel point que nous perdons toute objectivité… Pour finalement céder à la morosité, à la noirceur confortable des lamentations, car rien n’est plus simple que de se laisser distancer par la Vie. Vivre, c’est errer, souffrir beaucoup pour être un peu heureux, et non le contraire. Cela attriste la plupart d’entres nous, cela en brise certains, cela en renforce d’autres, mais telle est l’existence humaine, forgée par la faute, le doute, puis, plus rarement, par le bonheur d’être aimé et d’aimer en retour.

Et puis, un jour, vient l’espoir. Maigre, malingre même, souffreteux, mais bien réel. Il est là, attendant qu’on s’en saisisse, qu’on le réchauffe contre soi, qu’on prenne le temps de le soigner. Il vous regarde, chétif chose prête à périr au premier esclandre, mais l’on se bat alors pour lui, coûte que coûte, vaille que vaille, parce que notre dignité est exacerbée, parce qu’on veut vivre et avancer.

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