02 septembre 2011

Le diabolique

C’est amusant comme les mentalités changent. Tandis que notre monde se veut de plus en plus connecté, à tel point que certains petits malins s’amusent à pirater l’électronique embarquée des voitures, nous pouvons constater que cette attitude technophile révèle également une tendance étrange à la dédramatisation. Ainsi, au lieu de maintenir une forme de voile pudique sur le sexe, la violence, les propos « durs », nous les laissons se propager, à tel point que le JT de 20H ressemble dorénavant à un mauvais film gore, où, malheureusement, les victimes ne sont pas des acteurs touchant leur salaire à la diffusion. Dans cet esprit, nous pouvons observer une industrie plus tendancieuse encore, celle du jeu vidéo. Hé oui : la console de papy, le vieux machin en plastoc qui trônait sous la télévision cathodique n’est plus, nous sommes dans un monde de jeu mondialisé, où l’Allemand peut casser du Russe, ceci sans avoir à craindre les foudres du TPI. Et, tout comme pour la télévision, le jeu vidéo s’affranchit de plus en plus des limites « morales » que la société s’imposait par le passé.

Quand Wolfenstein 3D est sorti (ça date !), ce fut un tollé immédiat : massacre d’êtres humains, et qui plus est apparitions à la pelle d’uniformes nazis et de croix gammées. On jouait le héros qui les tuait, mais malgré tout, le jeu fut interdit en Allemagne, ceci parce que tout usage de la croix gammée est strictement réglementé et limité aux documentaires et aux films. Cela vous paraît absurde ? Pas tant que cela, tant le traumatisme est encore énorme, et il ne disparaîtra probablement que le jour où la dernière mémoire des combats sera enfin mise en terre. D’ici là, le nazisme restera quelque chose de tabou, d’inexpressible dans le monde des loisirs, quant bien même il s’agirait de tuer du nazi. La violence, ajoutée à la thématique historique et politique, est donc dérangeante, surtout si le réalisme s’en mêle.

Ce constat pourrait laisser un goût de satisfaction, en se disant « Bon, s’ils censurent ça, après tout, c’est que les autres jeux ne sont pas si violents que ça ! ». C’est une grossière erreur que de penser cela : photo-réalisme, violence à outrance, tous les ingrédients sont maintenant autorisés pour attirer le chaland avide d’émotions fortes. Prenons un second exemple : la série des gran theft auto (GTA) qui mettent en scène un voyou (vous), devant se faire une place dans la mafia, au prix de vols, agressions, meurtres, trafics divers et variés. Rien n’est épargné au joueur, depuis le racket jusqu’au massacre en pleine rue. Pire encore, la prostitution y est vue comme une manière de reprendre des forces ! Choquant ? Déviant ? Pourtant, ces jeux font partie des meilleures ventes de leur temps, sans compter que la richesse de chacun des titres de la saga se révèle meilleur que le précédent. En outre, la durée de vie exceptionnelle de ces jeux mène forcément l’amateur à s’atteler à la tâche, et donc découvrir tous les vices des épisodes.

Faut-il censurer ces jeux ? Interrogeons nous d’abord sur les acheteurs, et sur la nécessité, ou non, de leur tenir la main lorsqu’ils jouent. L’immense majorité des joueurs attirés par les titres comme GTA sont des adultes, responsables, libres de s’offrir tant des films pornographiques en toute quiétude, que d’aller au cinéma voir le dernier film gore insupportable du moment. J’en entends déjà hurler à la mort qu’il y a les enfants à proximité, qu’il faut les écarter de la violence, et donc leur offrir un socle éducatif suffisamment sain pour leur éviter la dédramatisation de la violence. A mon tour de hurler ! La violence, c’est un fondamental humain, cela représente tant de l’argent (industries diverses, depuis les armes jusqu’au cinéma d’action), que notre essence même (les guerres sont aussi vieilles que nous le sommes…). Alors quoi ? Tout laisser passer, tout tolérer, même l’innommable ? Raisonnons encore une fois : si l’on compare les dégâts de la violence ordinaire au cinéma ou à la télévision, et les dégâts que font l’alcool en abus, laquelle des deux choses est la plus meurtrière ? Nous connaissons tous la réponse à cette question, et, bien entendu, nombre de râleurs vont se réfugier derrière la notion du « avec modération ». Quelle hypocrisie, non ?

La violence devenue ordinaire devient réellement gênante quand le réalisme est trop proche de nous. Quand on joue à un jeu où l’on « tue » des adversaires, tant que cela conserve un aspect ludique et une esthétique « cartoon », chacun laisse passer sans être ému outre mesure. Par contre, dès que l’image s’approche trop de la réalité, on braille, on vocifère, on veut interdire… Mais pourtant, est-ce logique de présenter des carnages à la télévision, de ne diffuser que des séries où la thématique est le meurtre, l’enquête autour de celui-ci, voire même la mise en vedette d’un tueur en série (Dexter) ? Il n’y a pas de bonne ou mauvaise censure concernant la violence, parce que celle-ci est pressentie différemment selon les cultures. Par exemple, dans un des épisodes de GTA, c’est un jeune voyou membre d’un gang qui est le personnage central. Nous autres. Européens, ne connaissons pour l’heure ce phénomène de violence urbaine qu’à travers la télévision. Les USA, en revanche, subissent en permanence l’omniprésence des gangs dans les quartiers délabrés des villes du pays. En conséquence, on n’est guère choqué en France, là-bas, par contre…

Je m’interroge sur le sens de cette orgie de haine et de mort. Les jeux se modernisent, deviennent chaque jour plus réalistes, à tel point que tuer un personnage électronique se rapproche de plus en plus de la mort d’un véritable être humain. Mais de là à vouloir faire jouer la censure, je ne suis pas convaincu que cela soit une solution viable à court terme, ni même saine à long terme. La censure d’aujourd’hui comprendra-t-elle la différence entre un titre provocateur (GTA qui en est le parfait exemple), et un autre étant autrement plus malsain ? J’en doute, car il s’agira toujours d’un jugement de valeur, fondé sur la culture personnelle plus que sur celle du moment. On ne peut pas vraiment demander à un quinquagénaire en costume de comprendre les aspirations d’un ado de 16 ans, pas plus que la réciproque.

Doit-on envisager des réunions entre des « syndicats » de joueurs et l’industrie vidéo ludique afin d’instaurer une sorte de code de conduite ? Pourrait-on envisager une forme de comité de surveillance indépendant, afin qu’il soit susceptible de lever des alarmes quand certains jeux vont vraiment « trop loin » ? Je n’en sais rien, et je n’y crois pas trop. La responsabilité individuelle des joueurs est bien trop éloignée des aspects moraux ou culturels. Un joueur a pour but de jouer, non de chercher des raisons morales ou éthiques pour ne pas « tuer » un personnage en pleine partie ! C’est le paradoxe : un joueur rira des aspects trop réalistes, et la population susceptible d’être influencée par cette violence est, à mon sens, trop marginale pour être représentative de l’attitude des joueurs dans leur ensemble. Prenons le massacre de Columbine : on a mis en exergue la passion des tueurs ados pour les jeux vidéos, mais que cela ne fut pas leur motivation pour agir. On peut tout à fait penser qu’un lecteur fanatique de Frankenstein pourrait, chez lui, tenter de redonner la vie des cadavres exhumés, ou bien d’assembler des corps dépecés par ses soins. Alors, on censure Frankenstein ? Certainement pas.

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