24 mai 2011

Cela doit venir de moi... ou du train

C’est en observant la foule, enfin pour ne pas dire la meute des affolés de la pendule qui se ruent sans relâche dans les trains de banlieue, que j’ai pu émettre quelques hypothèses saugrenues sur le pourquoi des bousculades. En effet, j’ai systématiquement du mal à comprendre que l’on puisse être pressé, pour ne pas dire empressé d’aller au travail, d’autant plus que la notion même d’emploi est quelque chose d’avilissant et d’absolument inintéressant (sur le principe du moins). Alors, pourquoi ces chères fourmis humaines font-elles tout ce remue-ménage, pourquoi les gens jouent-ils des coudes pour s’entasser dans des trains bondés, nauséabonds, avec la « joie » de partager effluves corporelles et microbes divers avec nos congénères ?

Depuis que l’ingénierie a pu démontrer qu’on peut faire circuler une quantité non négligeable de personnes sur une surface très réduite, les transports en commun sont devenu non plus un outil de déplacement, mais carrément un art de vivre. Ah, le bonheur d’être trimballé à peu de frais ! Qu’on se le dise, les transports de ce genre sont abordables, mais c’est au prix de quelques désagréments assez classiques. Nous connaissons tous le phénomène de la rombière qui se parfume à l’excès, et qui vous pollue l’air plus sûrement que n’importe quel volcan nordique au nom imprononçable. Juste à côté, on a l’inusable type dont la douche n’a probablement pas vu la présence d’eau depuis avant l’avènement du nouveau franc. Et puis là, dans le coin, il y a l’enrhumé, l’engastrionné, le malade jusqu’aux oreilles qui partage sa faune microbienne à travers une toux grasse et sonore. Ca y est, vous avez le tableau ? Et vous voulez encore vous y entasser, dans ces trains qui sont le seuil de l’enfer sur terre ?

Pourtant, l’homme s’y attache, à ce train, à ce métropolitain surpeuplé et puant ! Il la veut, sa place dans son wagon. Il le veut son territoire minuscule où il va se tenir là, droit comme la justice, comprimé comme une sardine de chez Saupiquet, admirant la vue du plan de la ligne et du réseau ferré qu’il emprunte inlassablement. Tout ça, il y a bien une raison à ça bon sang ! On dit souvent que travailler est une obligation, et qu’y couper fait de soi un paria, ou bien un nanti susceptible de vivre au crochet de quelque système économique quelconque. Bien que travailler soit donc indispensable, l’entrain mis par les passagers doit tenir à autre chose. Qui sait, parmi eux, il y a peut-être un sauveur du monde, un Jack Bauer qui fonce pour empêcher une bombe atomique de nous faire tous passer de vie à trépas ! Peut-être que la jeune fille, là, est une voyageuse du temps qui vient voir un passé lointain où les gens avaient encore besoin de marcher pour se mouvoir. Et ce gamin, là, n’est-il peut-être pas une incarnation d’un extraterrestre venu observer nos mœurs, et qui se marre de nous voir peiner dans des conditions aussi primitives et précaires ? Les gens du train, les passagers, ils ont tous de bonnes raisons de courir. Qui sait si, au milieu de cette masse bruyante et mouvante, il n’y a pas, par hasard, un type qui a en lui le secret de la guérison du cancer ?

Plus je regarde ces gens, moins je les comprends. Ils veulent aller vite, plus vite que la musique, et ils s’énervent au moindre ralentissement… Et qu’on ne leur parle surtout ni de panne, ni de grève, sous peine d’avoir le droit à une vindicte aussi populaire que stupide et inefficace. Les voyageurs empressés du petit matin sont bizarres tout de même : ils se pressent volontairement les uns les autres, mais se refusent au croisement des regards. Offrez vous un instant de rigolade, à condition que vous ayez du caractère. Fixez n’importe qui dans un train (si vous êtes un homme, de préférence une jeune fille à l’air bien gentillet et mignon), et supportez son indignation première, puis sa fuite, pour finir par sa crainte. A croire que les gens ne veulent pas se voir, mais bien se serrer les uns contre les autres. Cela me laisse profondément perplexe, d’autant plus quand on songe qu’il suffit d’un mot, d’un bonjour lancé à la cantonade, pour que la foule soit saisie de stupeur. Hé oui ! Dire bonjour fait peur… Alors je m’amuse, et ce avec une régularité métronomique, à regarder les fourmis humaines se mordre, s’invectiver, mais également se fuir, se craindre, tout ça finalement pour quoi ? Nul ne le sait. Cela doit être le principe même de la Vie au fond : vivre, ça n’a pas de sens. Mais ne pas vivre, c’est pire encore.

Allez, prenez le train !

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