01 avril 2011

Ils hantent les salles obscures

Je ne sais pas si c’est générationnel, mais les personnages de cinéma ne semblent plus autant marquer les nouvelles générations. Il y a beau avoir de « grosses » sorties (entendre par là des budgets colossaux), je n’ai pas vu des héros émerger nettement de la masse de nouveaux films. Pourtant, j’aurais crû que la profusion permettrait tôt ou tard d’offrir une tribune à des personnages marquants, mais il n’en est rien. Peut-être est-ce tout simplement que nous considérons plus le cinéma comme une occasion de s’empiffrer de pop-corn et d’en prendre plein les yeux, au lieu de savourer des histoires, ou mieux encore, de devoir réfléchir au sens profond de l’existence. Ces « héros », quels qu’ils soient, devraient pourtant nous pousser à l’interrogation, à l’introspection, et donc à faire nous des gens meilleurs.

Je distingue nettement le rôle de l’acteur. Nous avons certains personnages auxquels il est impossible de faire référence sans songer à ces acteurs à gueules, parce qu’ils campent sans doute possible le rôle, à tel point que les deux finissent par être indissociables. Ce sont souvent ce qu’on appelle le rôle de toute une vie, la présence définitive, l’image dont personne ne saurait faire abstraction, à tel point que cela peut nuire à l’acteur. Cependant, je considère qu’il vaut mieux avoir un vrai bon rôle, que dix mauvais... tout en admettant aussi que l’acteur doit savoir faire beaucoup de films tant pour s’améliorer, que pour vivre de son art. En conséquence, je ne blâme pas les errances, les mauvais films, je ne blâme que ceux qui se lancent dans le cinéma sans véritable talent, ainsi que ceux qui ne comprennent pas que le cinéma n’est pas qu’une manière de faire de l’argent. Le budget ne fait pas un bon film, pas plus qu’un mauvais acteur s’améliorera dans un rôle qui aurait pu être de qualité.

Quoi qu’il en soit, ce qui est plus pénible, c’est qu’il y a peu de femmes qui soient marquantes. L’immense majorité des rôles clés du cinéma sont tenus par des hommes, et c’est bien là une preuve non d’incompétence des femmes, mais d’un machisme désolant. Ceci dit, madame Lise Taylor a démontré qu’une femme, si belle soit-elle, se doit aussi d’avoir du talent. Elle a beaucoup dérivée par la suite, mais qu’importe, elle est partie avec l’image d’une star, une vraie, indéboulonnable, comme le fut Marilyn Monroe par exemple. Qu’on donne plus de place aux femmes bon sang ! Elles aussi peuvent jouer des rôles difficiles, elles aussi sont en droit d’avoir les faveurs des salles obscures. Enfin bon, ce n’est que mon avis.

Là, je songe à présent à toutes ces vieilles salles, celles d’antan, sans le son assourdissant, sans l’envahissante 3D, sans les effets spéciaux, celles qu’on aimait occuper parce que le cinéma, c’était un vrai loisir, pas de la consommation de masse. Quand j’étais gosse, j’ai eu l’occasion d’aller dans un cinéma de ce genre. C’était l’archétype du cinéma à l’ancienne : monté dans le village de mon père, en Croatie, il n’avait rien des grandes usines à films que sont les complexes actuels. Les fauteuils étaient en bois, tous pliants, comme des volées de strapontins. Il y avait l’ouvreuse, la vendeuse de cacahuètes, l’entracte, les gamins qui resquillent pour voir un film, les dessins animés avant la séance... Bref, une époque aujourd’hui révolue. C’est sur cet écran étriqué, à la mise au point aléatoire, dans cette salle au confort incertain que j’ai découvert la guerre des étoiles. C’est là-bas aussi que j’ai connu le retour de nuit, en pleine campagne, après avoir vu un thriller qui aujourd’hui me fait sourire. C’est dans ce cinéma que nous avons, mes cousins, mon frère, et moi-même, ris des comédies débiles des années 80. C’est dans ce cinéma, enfin, que j’ai pris la place de mon père qui, avant moi, avait usé ces mêmes fauteuils. Quand je passe à côté de la salle unique, et que je vois l’empilement des affiches, surmonté d’une nouvelle sortie, je ne peux pas m’empêcher de sourire. J’ai la sensation qu’en creusant les épaisseurs de papier, en décapant le vernis d’Hollywood, que je vais retrouver un peu de mon enfance.

C’est dans ces salles hantées de bons souvenirs que flottent encore les âmes du passé. Il y a celles de nos proches, de ceux qu’on aime sincèrement, qui sont venus avec nous voir un bon film, qui nous ont offert un cornet vanille, ou des chocolats à la cerise. Il y a aussi les âmes des acteurs aujourd’hui souvent oubliés, les seconds rôles dont on ne souvient que de la prestation, des jolis minois des jeunes premiers jamais arrivés à la notoriété, et les cœurs des monstres sacrés, ceux qui représentaient la force, la faiblesse, l’âme humaine en général. Mon père m’a souvent dit qu’il a vu quantité de westerns, avec les John Wayne et compagnie, nombre de films avec Dean Martin, énormément de films d’information qui étaient diffusés avant les Tom et Jerry. Il avait été gosse lui aussi, il avait ri des mêmes Droopy, des mêmes Bugs Bunny... Moi, j’ai connu ces personnages en BD, en serbo-croate, lui, il a vu ces animaux de foire sur un grand écran. J’ai appris ma langue sur le papier, lui, c’est sur la toile d’une salle obscure qu’il a découvert ce qui nous fait encore rire tous les deux.

On oublie vite nos héros de l’enfance, ou plutôt on se demande si jamais on en a eu. Les méchants indiens, les gentils cow-boys, Fort Alamo, le train sifflera trois fois... Y a-t-il encore une chance de voir un Pat Garrett dégainer avec nonchalance et assurance ? Je revois certains films, et je me rends compte que les monstres sacrés ne sont pas toujours là où on le croit. Oui, nombre d’acteurs sont exceptionnels, même maintenant il y a des personnages qui nous font vibrer. Pourtant, on n’honore plus le cinéma d’auteur, encore moins le vrai jeu d’acteur. La palme d’or, l’oscar, sont-ils à la hauteur de ceux des générations passées ? Dans le fond, je m’en moque un peu. J’ai grandi avec des images plein la tête et le cœur, je vieillis avec ces mêmes images qui se disputent leurs places avec de nouvelles histoires. Qu’importe, mon vieux cinéma, celui dont je garde mes premiers souvenirs, il reste ancré en moi, il est là, bien présent. La plupart des idoles sont déjà passées de l’autre côté. On se souvient temporairement des meilleurs quand ils décèdent. On s’est souvenu d’Annie Girardot quand elle a quitté notre monde... Mais, bientôt, seuls ses vrais amis, ceux qui aimaient vraiment tant la femme que l’actrice, auront une pensée pour elle. Le cinéma, pourtant, c’est l’art de rendre éternel l’instant fugace, le moment surprenant, l’étincelle de vie !

Ne perdez jamais le souvenir des belles histoires. N’oubliez jamais les baisers enflammés des couples de cinéma. Retenez ces scènes qui ont su vous faire rire, vous faire pleurer, vous faire réfléchir. J’ai ri aux éclats en voyant, encore et encore, ce peintre en bâtiment que fut Bourvil dans le corniaud ; J’ai pleuré en voyant Bohringer dans le grand chemin ; j’ai réfléchi en regardant Chaplin dans le dictateur. J’ai aimé et j’aime encore le cinéma, le vrai, celui qui se moque des conventions, qui espère toucher, qui compte interpeller les gens que nous sommes. J’aime l’idée que nos souvenirs constituent une chose qui ne flétrit pas, même si parfois elle va jusqu’à embellir des films datés, voire mal réalisés. L’essentiel n’est pas là, on ne demande pas à ces films d’être des œuvres immortelles. Nous demandons juste au cinéma de prendre une place dans nos cœurs, parce que le rêve, c’est pour un enfant d’être dans un autre monde le temps d’une séance. Le rêve, c’est pour l’adulte que je suis devenu, de pouvoir me laisser emmener dans une histoire, d’avoir des idées plein la tête en sortant de la salle. Le rêve, il existe parce qu’il y a eu tout un tas de gens pour travailler sur un film, et que tous ont voulu donner un regard particulier. Que le rêve soit de l’action brute, de la romance délicate, ou encore de la science-fiction, cela demeurera toujours du songe, de l’imaginaire car, après nous, nous aimons rêver, quoi qu’on en dise. Et j’aime rêver...

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