12 avril 2011

Aux penseurs prétentieux

A celles et ceux qui pensent que rendre n’importe quel débat plus obscur qu’il ne l’est vraiment, j’envoie ce petit message avec mes salutations les plus distinguées. En effet, grâce à eux, j’ai l’opportunité d’avoir un large sourire, voire même de rire à leurs dépends. Quoi qu’il puisse se dire, j’ai systématiquement l’occasion de voir les circonlocutions s’aligner, à tel point que celui qui réussit à suivre le cheminement est forcément quelqu’un de tordu. Donc, merci à vous, les beaux parleurs, les experts en manipulation linguistique, les baratineurs de première !

Depuis que la notion de politique existe, les orateurs se sont systématiquement faits fort de tordre le discours afin qu’il se plie à leurs idées. Pourtant, loin d’être clarifié, le dit propos se retrouve alors complètement obscurci par le choix des mots et des expressions. Pourquoi diable rendre illisible quelque chose qui est supposé être compris de tous ? Parce qu’il faut impérativement trouver le moyen d’embrouiller le sujet, que ce soit par l’ajout de digressions aussi inutiles que pénibles, soit par l’adjonction d’un vocable inabordable par le commun des mortels. Depuis la Rome antique, jusqu’aux arènes que sont les assemblées nationales, le politicien a toujours trouvé de quoi « noyer le poisson », et, de ce fait, s’assurer que peu de gens puissent critiquer la déclamation. Bien entendu, les rares personnes susceptibles de critiquer sont celles même qui, elles aussi, jouent ce type de partition. « Rendons la chose incompréhensible, de sorte à ce que l’on fasse passer n’importe quoi ». Et le pire, c’est que cela fonctionne admirablement bien !

Le propre de la politique, c’est de devoir trouver une voie entre diverses mauvaises solutions. Prenons un exemple très simplifié, afin d’en saisir le principe : Une décision doit être prise, et elle va forcément déplaire à une population quelconque, de sorte qu’il n’y aura jamais d’unanimité. A partir de là, le choix de l’orientation devra donc se faire au détriment d’une part des concernés, qu’elle soit la majorité ou pas. Concrètement, faire de la politique, c’est donc imposer des décisions, même si cela va à l’encontre des désirs et besoins de certains. Cependant, agir de la sorte amène obligatoirement à un écueil évident, à savoir d’être désavoué par les lésés, ou encore d’être taxé de favoritisme. Alors, que faire ? Hé bien, faire en sorte que tout le monde soit convaincu que la décision est la bonne ! Regardez donc : pour pouvoir faire passer des lois liberticides, il suffit en fait de suggérer que la dite loi a été conçue pour nous protéger, ou protéger nos enfants. Dans l’absolu, cela séduit, cela plaît même, ce qui incite le quidam à proclamer sans hésitation qu’il s’agit là « de bonnes lois ». Ah bon ? Réduire ses propres libertés fondamentales, ce sont de bonnes lois ? J’ai probablement raté un épisode là… Enfin bref, mouliner les idées, torturer les discours, c’est la seule et unique façon d’obtenir une certaine adhésion de la population.

Malheureusement, une bonne part des discours ainsi proférés se perd dans les méandres du système. En effet, cessons de croire qu’il y a derrière chaque discours une idée cohérente. La cohérence des idées, c’est simplement qu’une idée se doit d’être valide à l’instant où l’on en parle, et rien de plus. Par exemple, quelqu’un parlant d’esclavage ne sera rien d’autre qu’un monstre déshumanisé, alors que le même discours, lancé il y a quelques siècles, aurait été applaudi par les exploiteurs de chair humaine. En conséquence, l’idée, c’est une chose qui se doit d’être dans le cadre strict de la morale de son temps, et rien d’autre. Il n’est d’ailleurs pas bon d’être trop en avance sur son temps. Nombre de visionnaires se sont lancés dans l’innovation, au point d’y perdre tout crédit. On ne révolutionne pas la société à travers quelques mots, on la révolutionne quand on parvient à lui faire croire que les idées neuves sont de bonnes idées, afin que la foule se l’approprie et l’assimile.

Après, quel est l’intérêt ? Public ? Personnel ? Le pouvoir corrompt, c’est une évidence millénaire. Machiavel avait bien exprimé la problématique, tout en décrivant les meilleures manières de prendre en compte les influences de chacun. « Le prince », son ouvrage, est à mon sens d’une actualité terrifiante. Nous ne pouvons pas prétendre à avoir progressés en politique, tant ses raisonnements se valident aujourd’hui encore ! « Fais le jeu du plus fort, afin de le trahir par la suite ». Cela semble étonnamment d’actualité, non ? Nos systèmes sont toujours plus complexes, toujours plus riches en lois et autres règles, mais, dans l’absolu, rien n’a vraiment changé. Le politicien aguerri fera toujours en sorte d’appareiller son discours aux idées qui conviendront le mieux à ses intérêts. Qu’il soit fait pour flatter un chef, ou pour caresser dans le bon sens les tenants de l’économie, rares sont les humanistes capables d’offrir un discours fait pour la foule.

Enfin, ne rêvons pas éveillés. Certains fantasment sur la véritable « pure » démocratie. C’est inepte, non parce que c’est une utopie, mais parce que le concept même de démocratie relève de la folie la plus dangereuse. Un peuple, c’est avant tout une agglomération d’idées différentes, d’opinions divergentes, et surtout d’intérêts opposés. Tout laisser au peuple, c’est se mener à l’anarchie. Quand le peuple décide, il perd les fondamentaux de vue, et il croit concrètement que la liberté la plus absolue est la meilleure chose possible. C’est une erreur, aussi lourde de sens qu’elle est lourde de conséquences graves. La foule est là pour entériner des choix globaux, ceci à travers des élections. A partir de là, le pragmatisme des uns, et l’ambition démesurée des autres s’associent afin de gérer, tant que faire se peut, les erreurs des prédécesseurs, les décisions à long terme, et les choix cornéliens qu’un gouvernant doit faire. Alors, pour faire avaler les pires pilules, rien ne vaut finalement le baratin. Mentez effrontément, racontez ce que veut entendre la masse, puis faites strictement le contraire. Au jeu des promesses, la phrase devenue culte du « Les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent » est, hélas, une excellente vérité.

Je ne suis pas convaincu qu’on puisse tout dire honnêtement en politique, tant parce que la foule ne sera jamais prête à s’entendre dire qu’elle n’est ni honnête ni responsable, que parce que les intérêts supérieurs de la nation sont pris en main par des hommes et des femmes de milieux terriblement divers. L’économie, la stratégie militaire, la diplomatie, et même la gestion sociale de la nation ne peuvent que s’opposer les unes aux autres. On ne saurait croire qu’il y a une solution « magique » pour tous les problèmes, d’autant plus quand ce sont des notions d’acquis, de bénéfices égoïstes qui sont mis à mal. Je n’ai aucune confiance dans les politiciens, non parce qu’ils sont ambitieux, mais simplement parce qu’ils se doivent de jouer des partitions allant à l’encontre même des intérêts des peuples. Quand un état légitime un racket à travers des taxes ineptes, quand un gouvernement emprisonne délicatement ses concitoyens en mettant en place des lois plus dignes d’une dictature que d’autre chose, c’est qu’il y a forcément des bénéfices à en retirer pour quelqu’un. La question, finalement, c’est de s’interroger sur le « à qui profite le crime », plus que le « Est-ce que le peuple en sera mieux servi ». Pour ma part, chaque doute est légitime, car il est le seul outil de mise en exergue des aberrations de notre système. Douter, c’est avoir le pouvoir de critiquer ; Comprendre, c’est avoir la capacité de suggérer d’autres solutions. Cependant, attaquer les pans sensibles de la société, c’est avoir le culot d’affronter les intérêts des masses… Et qui aura ce courage pourtant supposé indispensable en politique ? Je cherche encore.

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