26 avril 2011

25 ans

Il y a 25 ans, à Tchernobyl, l’apocalypse nucléaire s’est produite. Il y a 25 ans, nous avons appris que la technologie n’avait pas qu’un côté rassurant, et qu’elle pouvait réduire à néant tout espoir de vie normale. Il y a 25 ans, le monde a expérimenté l’atroce obligation d’envoyer des gens à la mort pour en sauver d’autres. Il y a 25 ans, le monde a été saisi par la véritable folie de notre propre incurie. Tchernobyl n’a pas explosé par hasard, la centrale n’a pas été anéantie à cause d’un élément naturel. La centrale a été détruite parce que nous n’avons pas su prendre nos responsabilités.

Un quart de siècle nous sépare de ce carnage tant écologique qu’humain. Qu’a-t-on appris de ce désastre ? Peu de choses finalement, parce que nous n’osons pas regarder les choses en face. Nous avons critiqué l’URSS pour sa gestion de la crise, nous avons considéré que les gouvernants étaient des fous, des barbares d’envoyer des hommes à la mort pour tenter de gérer la crise colossale que fut cet accident. Mais qu’aurions nous fait à la place de cette nation ? Aucun pays au monde n’est, à l’heure actuelle, capable de répondre à un tel incident, de juguler le carnage nucléaire, et encore moins de protéger les ouvriers indispensables à la sécurisation du site. Fukushima démontre, aujourd’hui encore, que l’homme doit aller sur le site, mettre sa vie dans la balance pour en sauver des milliers d’autres. Nous n’avons pas avancé d’un pas concernant la gestion de l’atome, et c’est tout juste si nous pouvons tirer des conclusions médicales concernant les innombrables victimes des radiations. Quel progrès, et surtout, à quel prix ? Tchernobyl est, aujourd’hui encore, un cercueil gigantesque, le tombeau de la folie soviétique, ainsi que le mausolée sinistre, qui, ironiquement, fait encore la fierté de celles et ceux qui se sont sacrifiés pour le bâtir. Après tout, c’est par ce sacrifice sans précédent que l’Europe fut sauvée d’un désastre plus grand encore.

Nous ne mesurons toujours pas l’impact réel de Tchernobyl. Que le bilan soit juste ou erroné, ce ne sont que des chiffres, des statistiques aussi froides que l’est l’hiver en Ukraine. La mort a frappé, et elle frappera longtemps encore, tous ceux qui furent en contact avec la radioactivité. Pripiat est une ville fantôme, une ville où les ruines se sont figées dans le temps. On a ordonné à la population de fuir en abandonnant tout, et, aujourd’hui encore, les vestiges de ce temps semblent être un tombeau à ciel ouvert de cette société aujourd’hui disparue. Le communisme arrogant était présent partout, depuis les façades des administrations, en passant par les statues sur les places, jusqu’aux plaques des noms de rues. Dorénavant, tout rouille, tout subit l’assaut continuel des éléments, mais la radioactivité, elle, persiste à stagner là, monstre qui s’est approprié ce monde sans vie. Que savons nous de ce démon invisible ? Qu’il va perdurer pour des millénaires, qu’il a rendu ce monde impropre à l’existence, que les animaux, comme les plantes, sont dorénavant des poisons et non plus des beautés de la nature. Nous avons créé l’enfer à ciel ouvert, nous avons anéanti un territoire gigantesque, et tout ça pour quoi ? Pour l’orgueil, pour la fierté, pour une politique abêtissante, pour le loisir de nous croire supérieurs à la nature.

Tchernobyl ne symbolise pas le danger du nucléaire. Il ne symbolise pas plus la nécessité de trouver une autre énergie pour alimenter notre soif de puissance. Tchernobyl, c’est l’image même de l’humanité, de sa bêtise perpétuelle, de son incompétence crasse, et, par opposition, du courage et de l’abnégation de celles et ceux qui se sont sacrifiés pour tenter de rétablir la situation. L’homme a toujours eu soif de connaissance, de puissance, et ses ambitions l’ont mené au bord du gouffre à plusieurs reprises. Je ne mets pas en doute le nucléaire. Je ne mets pas en doute les éoliennes, pas plus que je ne mets en doute le désir qu’ont certains de s’affranchir des solutions par trop dangereuses. Ce que je mets en doute, c’est la capacité qu’aurait l’homme à enfin comprendre et ne plus reproduire ses erreurs. Tchernobyl, les gaz de combat pendant la première guerre mondiale, le génocide des juifs, le massacre des Arméniens, l’anéantissement des forêts en Amazonie, la pollution systématique de notre air, l’empoisonnement lent et définitif de nos corps par l’usage massif de produits chimiques, la disparition progressive des traditions, tout ceci n’est, finalement, que la représentation de ce que nous sommes vraiment. Nous sommes des monstres, des parasites assoiffés, des atrocités qui ne cherchent pas le progrès, mais simplement le bénéfice.

Il y a 25 ans, des types ordinaires, des gens comme vous et moi, ont donné leur vie pour notre sauvegarde. Ils sont des anonymes, des victimes de l’atome, des morts par milliers afin de construire un sarcophage susceptible de nous donner à tous un répit. Résultat, ce sont les oubliés de l’horreur nucléaire, ce sont les crucifiés de la technologie, et quand on parle d’eux, on omet de préciser qu’ils furent, pour beaucoup, simplement des patriotes. Savaient-ils où ils allaient ? Beaucoup ignoraient le vrai danger… mais qu’est-ce que cela aurait réellement changé ? Interrogez vous honnêtement : auriez-vous osé marcher sur le toit de la centrale, en sachant que cela vous condamnait à brève échéance ? Auriez-vous alors compté sur le sacrifice d’un autre que vous-même, ou alors, auriez-vous pris votre responsabilité d’être humain, et arpenté les morceaux calcinés du réacteur, pelleté les barres de graphite hautement radioactives ? N’envisagez pas le fantasme de robots faisant ce travail à notre place : les Russes tentèrent d’utiliser des machines radiocommandées, et toutes tombèrent en panne à cause des radiations trop fortes pour leur système de pilotage. Alors, auriez-vous osé vous sacrifier pour les autres ? Telle est la vraie question que soulève finalement Tchernobyl : pour agir, faut-il savoir ce que cela représente, ou mieux vaut-il agir dans l’ignorance ? Aujourd’hui encore, l’interrogation aussi sinistre que terrible hante les esprits. Nous pouvons blâmer qui l’on voudra, on peut insulter ceux qui envoyèrent des gens à la mort, mais peut-on alors nier que cette action désespérée a permis d’endiguer le naufrage de la centrale ?

Fukushima est pointé du doigt pour diverses raisons. On fait de cet accident un second symbole. Où est votre humanité ? Il est tellement plus facile de critiquer à grande distance, sans conséquence, sans responsabilité aucune. Faire disparaître le nucléaire, c’est une idée qui me séduirait, si elle ne renvoyait pas énormément de pays à l’âge de pierre. C’est ainsi : nous avons cette infernale avidité de connaissance, de puissance, de produits manufacturés, mais nous n’en acceptons pas la véritable responsabilité. Demandez vous finalement si votre ordinateur, votre télévision grand écran, ou votre console de jeux mérite que des hommes et des femmes aillent mourir pour les faire fonctionner… Car c’est ça, Tchernobyl : le chant du cygne de la certitude que l’atome serait toujours un esclave dévoué à notre irrépressible besoin de consommer à tort et à travers.

2 commentaires:

Bill2 a dit…

Hello,

Ca faisait un moment que je n'étais pas passé par ici.

Je suis de ton avis : à l'heure actuelle, il est impossible de faire machine arrière et de se passer du nucléaire.

Quant à savoir "ce que moi j'aurais fait", honnêtement, je n'en sais rien. Et quelque part, je dirais "chacun son rôle". C'est aux politiques et aux experts de décidé de la marche à suivre.

Par contre, il y a un point qui est très simple à prendre en compte : le risque d'implantation des centrales.

Le japon a d'énormes besoins, et a donc fait construire des centrales, plutôt que d'importer de l'énergie depuis d'autres pays.

Et le problème est là : comment construire de manière sécurisé sur une bande de terre entre 3 plaques techtoniques ?
Sans déconner, poser des centrales sur des grandes plaines, dans des zones non sismisques, ça ne pose pas de gros problèmes de sécurité.

Poser des centrales sur des failles, en bord de mer, j'aimerai qu'on m'explique "qui" a été assez stupide pour valider une telle idiotie ?

Anonyme a dit…

À ma connaissance il me semble qu'une centrale nucléaire doit être implantée proche d'une source d'eau afin de permettre le refroidissement de ses cuves, ce qui me paraît quelque peu surprenant. Peut-être qu'à l'avenir nous trouverons des alternatives pour remédier aux problèmes de sécurité occasionnés par leurs placements, comme privilégier la stabilité du terrain au détriment de l'approvisionnement direct de l'eau.

Mise à part ça je trouve les éoliennes autrement plus esthétiques que les lignes à haute tension.