25 mars 2011

Quantification

Tue un homme, tu es un assassin.
Tue dix hommes, tu es un tueur en série.
Tue dix milles hommes, tu es un conquérant.
Tue tous les hommes, tu es un dieu.

De cette réflexion légitime ressort un élément intéressant : l’homme aime quantifier, il aime à positionner des valeurs sur tout et n’importe quoi, de sorte à pouvoir identifier des échelles. Ainsi, que ce soit un tremblement de terre, le nombre de victimes, la longueur, la largeur, nous cherchons systématiquement une quantification afin que nous puissions tous nous comprendre. Et ce n’est pas anodin, car, quelque part, cela sous-entend que certaines choses sont mises en échelle, alors qu’elles sont des valeurs morales. Ainsi, nous définissons des seuils pour la vie humaine, comme « A partir de combien de morts peut-on parler de génocide ? ».

J’admets humblement être très moqueur vis-à-vis de ces notions. C’est, en tout cas pour moi, la meilleure représentation de notre bêtise tant individuelle que collective. Je ne crois pas que l’on puisse établir une hiérarchie quand il s’agit de la vie, qu’elle soit humaine ou pas. L’horreur de la mort est identique à toutes les échelles, et s’amuser à établir ce qui est le pire, c’est nier que tout décès est un décès de trop. Alors, bien entendu, comme nous sommes tous des barbares en puissance, il nous faut avoir des points de repère, quelque chose de suffisamment ferme, sous peine de dériver vers la folie meurtrière. Notre humanité est hélas à pas variable, et notre capacité à nier tous nos principes impose donc des règles, des échelles, des gradations. Ceci dit, je ne crois qu’il puisse être légitime de dire qu’un type est plus barbare qu’un autre, sous prétexte que le nombre de morts de ses mains est moins grand que celui de son adversaire.

En l’espèce, nous flattons l’ego de chacun en résumant tout à des chiffres et des statistiques. Fort bien ! On se croit suffisamment malins pour que ces résultats soient, pour nous en tout cas, signifiants et capables de définir nos orientations, or c’est complètement hors de propos. Avec ou sans chiffres, nous devrions raisonner à partir de notre expérience et de nos constatations. Tenez, par exemple, est-ce qu’une statistique de mortalité à l’hôpital est nécessairement le reflet d’une mauvaise qualité des services ? D’emblée, certains s’engouffreront dans la question en revendiquant que, oui, en effet, plus il y a de morts, plus le service est mauvais. Tiens donc… parce qu’on peut dire que la mortalité en service de fin de vie peut être comparée à celle dans une maternité ? J’en doute fort, puisque le premier est justement là pour accompagner les derniers jours de patients incurables. Concrètement, même si cet exemple est exagéré, il faut raison garder et se pencher avant tout sur le concret, avant d’aller parler de chiffres ou de quantités. A mes yeux, tout ceci se résumerait presque à du « 100% des gagnants ont tenté leur chance »…

On s’amuse bien trop à mettre en perspective des chiffres qui, bien souvent, n’ont que peu de rapports. J’ai en horreur les échelles de valeur, parce que celles-ci participent à des raccourcis souvent malsains. Un exemple ? Si l’on prend des nations pauvres, le chômage, les salaires très bas sont utilisés pour exploiter la population et créer de la richesse à peu de frais. On appelle cela la mondialisation. Maintenant, si l’on parle des conditions de vie de ces populations, nombre de personnes vont les taxer de « sales », « sans hygiène » et j’en passe. En effet : les bidonvilles sont bien moins propres que les grandes avenues de nos villes riches. Si l’on part sur la mortalité infantile, on va aussi définir que ces gens sont plus susceptibles de perdre leurs enfants. Mais tout ceci amène alors à omettre simplement que sans argent point de confort et de commodités. Là, tout à coup, les chiffres disent tout autre chose. Et cela fait le jeu des uns ou des autres, selon le regard qu’on porte sur les tableaux.

Je n’éprouve que peu de confiance en ces résultats. Nous sommes tous trop inquiets des chiffres que peuvent fournir des formules aussi complexes qu’incompréhensibles. La vérité est bien plus simple : à force de croire que l’homme n’est qu’une quantité, nous en venons à l’inclure dans des statistiques qui sont supposées dire qui nous sommes. Là, je râle, car bien souvent les résultats sont calculés de sorte à ce qu’ils conviennent, ou pas, aux lecteurs cible. Tenez, je suis amusé quand j’entends les gens qui s’étonnent des résultats du FN. Ah bon ? J’ignorais que le FN était une nouvelle force politique, tout comme j’étais convaincu que la France contenait une part de contestataires, de nationalistes, ou encore de fascistes potentiels. Le FN n’est pas un nouveau parti, pas plus qu’il n’est fasciste dans son essence. Il peut le devenir, tout comme nombre de partis actuellement représentés en France. L’UMP est de droite, et peut souvent dériver vers des thèses plutôt inquiétantes (d’ailleurs, je vous invite à rechercher mes différentes chroniques analysant la dégradation de nos libertés individuelles, qu’elles soient numériques avec LOPPSI, HADOPI et autres, ou concrètes avec la détention de protection). Le PS se dit plus serein et ouvert, mais je ne suis pas convaincu qu’ils peuvent prétendre à ne pas contenir une part de nationalistes. Le NPA est l’extrême gauche, celle qui s’appelait le PCR (Parti communiste révolutionnaire). Sont-ils moins radicaux que le FN ? Ne représentent-ils pas une potentielle dérive vers des terminologies plus inquiétantes comme le national socialisme ? Le PCF moribond, n’est-il pas, enfin, l’archétype du parti qui s’appuie sur des théories ayant menées à bien des désastres dans le monde ?

Prenons acte d’une chose élémentaire : une vie, ça ne se quantifie pas. Une personne, c’est, en principe, l’unité élémentaire de la Vie. Toute personne se doit d’être un élément du peuple, tout comme le peuple doit bien comprendre que chaque élément qui le constitue est indispensable. Le drame de la société actuelle, sa véritable dérive, c’est d’arriver à des démarches telles que la minorité visible, à la mise en exergue de l’individualisme, et surtout à l’opposition entre les gens basée sur la différence. Je déteste ces concepts. Je les hais même. Pourquoi ? Parce que ce n’est pas une nationalité, une religion, ou une couleur de peau qui définit une personne. Ce sont sa détermination, sa capacité à être un membre actif du groupe, son respect pour les autres. Plus on s’appuiera sur la différence, moins l’on accordera de valeur à l’ensemble. Le débat sur l’identité nationale a fait des étincelles. Des gens se plaignent de ne plus se reconnaître dans leur patrie. Et cela étonne ? J’ai comme des doutes là. Quand on vous annonce sans frémir qu’une culture nationale et séculaire n’a pas d’importance (comme quand l’UE « oublie » d’inclure les fêtes religieuses catholiques dans un agenda à destination des élèves, tandis que toutes les autres religions y sont mentionnées). Quand on vous impose des débats qui n’ont pas lieu d’être (comme par exemple l’interdiction formelle des signes religieux dans les administrations, les services publics et les écoles, alors que la laïcité est inscrite dans le marbre depuis 1905), je n’ai aucun doute sur le fait qu’il devient légitime de douter tant des chiffres, que de sa propre position dans la société.

Oubliez les chiffres. Oubliez les échelles. Revenons à des fondamentaux, à des constats, à des analyses de la réalité, et pas des projections absconses qui satisfont l’ego de certains. C’est en regardant la rue, au dehors, chez soi qu’on sait ce qui est concret. Pas en établissant des grilles stupides et confortables. Notez enfin un point « amusant » (selon mes critères s’entend) : on se plaint de l’abstention record lors des cantonales. Vous savez pourquoi ? Parce que les gens se fient à des chiffres, au lieu d’en prendre toute la mesure. Deux choses ressortent : un, peu de gens comprennent les enjeux de ces élections. Deux, les gens veulent avant tout se préoccuper de ce qui les concerne dans l’immédiat, donc non pas à savoir quel fantoche sera élu, mais plus de savoir qui leur donnera un salaire décent, dans quelles conditions ils pourront avoir un avenir, ou encore dans quelle école iront leurs enfants.

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