07 février 2011

Le défi religieux

Les différentes crises rencontrées dans le Maghreb semblent vouloir mener nombre de ces nations à des systèmes plus démocratiques, ou tout du moins plus efficaces. En effet, les dictatures en place, cédant à la pression de la rue, doivent à présent se déterminer soit à réprimer dans le sang, ou au contraire à intégrer une tolérance envers les partis d’opposition. Ainsi, la Tunisie a réussi à déboulonner Ben Ali, et l’Egypte semble vouloir aller jusqu’à déposer Moubarak. Malgré les errements et les doutes émis par les autres nations du monde, force est de constater que sont nombreux ceux qui espèrent un véritable progrès politique et social dans ces différents pays. Cependant, il y a une question fondamentale à poser : déposer un dictateur est une bonne chose, mais dans quel but ? Est-ce pour mettre au pouvoir un régime plus dur encore ?

L’observation générale tend à faire penser que les populations veulent avant toute chose un peu de liberté d’expression. Après plusieurs décennies de censure et d’oppression policière, il est certain que la voie de la libéralisation des médias est vitale. En revanche, il ne faut pas perdre de vue que les partis les plus modérés sont malheureusement ceux qui sont généralement les moins entendus, et surtout les moins financés. En effet, le radicalisme politique amène plus aisément des fonds, que les groupes qui désirent la transition. Les exemples, dans la région notamment, nous rappellent facilement à l’ordre. L’Iran, par exemple, est l’archétype de ce que pourraient devenir les pays actuellement en révolte, si les extrémistes religieux arrivaient à récupérer le pouvoir durant la crise. Ceux qui prennent le pouvoir sont nécessairement les plus ambitieux, mais pas forcément les plus compétents. Toute la problématique va donc provenir non de la chute des dictatures, mais de la répartition des pouvoirs. Tant localement qu’à l’échelle nationale, si le fondamentalisme religieux parvient à obtenir suffisamment de poids, ce seraient rapidement la fin du multipartisme.

Qu’on ne se leurre surtout pas. Les partis religieux sont tous financés par les gouvernements s’appuyant, eux aussi, sur la foi comme doctrine politique. Arabie Saoudite, Koweït, ces états n’hésitent pas à déverser les milliards des pétrodollars pour s’assurer la connivence des factions locales. De ce fait, au lieu d’amener à la paix, ce serait alors une prise de pouvoir, par les armes, avec l’accord tacite de certaines autorités religieuses, et dans l’oppression des contradictions. L’Egypte subit actuellement un véritable noyautage moral et politique de la part des « frères musulmans » : financement de dispensaires pour créer une gratuité des soins, embrigadement des jeunesses cultivées, prises de position ostensibles pour « assurer la sécurité » durant les émeutes, ainsi qu’un noyautage moral des écoles. De ce fait, et ce malgré un score plutôt moyen d’opinions favorables, ce parti politique pourrait bel et bien changer la donne. Il ne faut surtout pas se leurrer : ceux qui, aujourd’hui se posent en guides rebelles sont nécessairement ceux dont les ambitions sont les plus fortes. Pire encore : en étant financés par l’étranger, ces chefs en puissance seraient, en cas de victoire, totalement tributaires de ces nations, ce qui, en soi, représenterait une véritable menace pour l’autorité politique du pays. Au surplus, laisser de nouveaux états dont la politique est dictée par la religion ne peut qu’amener à des crises majeures. Réfléchissons quelques instants : en admettant que l’Egypte devienne une nouvelle république islamique, force est de constater qu’Israël serait alors en fâcheuse posture. Jusqu’à présent, Moubarak représentait un interlocuteur crédible et acceptable avec l’état Hébreu. Sans lui, ce serait alors une opportunité pour une nouvelle ligue arabe, et une nouvelle attaque en règle sur les territoires occupés. Et là, malgré la présence Américaine aux alentours, l’avenir d’Israël serait très précaire.

Je ne crois pas qu’il soit aisé de se mêler de la politique locale. La France, avec son héritage terrible de colon, et surtout de « grand frère » pour les dictatures du Maghreb, ne peut guère escompter avoir le droit d’exprimer son opinion. Il sera indispensable que la diplomatie internationale soit là pour non seulement suivre et assister les mouvements de libération, mais également pour trouver des méthodes pour bâillonner au plus vite les plus radicaux. Laisser le pouvoir à ces partis, c’est offrir de nouveaux soutiens à l’Iran, à la guerre en Palestine, mais en plus risquer une nouvelle crise majeure à propos du canal de Suez. Un pays isolé, acculé, peut tout à fait envisager de saboter cette voie navigable, et ainsi poser d’énormes problèmes tant stratégiques qu’économiques. Reste à voir si ces peuples vont se tourner vers un islam fait constitution, ou vers un modèle intermédiaire où la religion reste une forme de conseil, mais pas la base des lois. L’Egypte n’est pas un pays rétrograde, pas plus qu’il n’est comparable avec l’Iran. Cependant, quelques mois peuvent suffire à transformer le visage d’un état, d’autant plus si celui-ci instaure des lois drastiques, avec des sanctions extrêmes. Toutefois, étant donné les mauvaises expériences vécues par les nations arabes, la plupart n’offrent plus un portrait aussi radicalisé qu’à l’époque de la gloire d’Al Qaeda. Espérons que cette pondération, fondée sur l’idée que l’argent peut acheter la conscience religieuse et politique, saura bloquer les groupes les plus enhardis par l’effondrement des despotes.

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