03 février 2011

Conditionnel

On se croit courageux. On essaye de s’en convaincre, à tel point que cela en devient presque une thérapie. A chaque fois que les gens discutent, l’usage du conditionnel est courant « Moi, j’aurais… », et j’en passe. Le conditionnel, c’est la meilleure manière pour la langue de nous signifier notre outrecuidance, à tel point que s’en servir a tendance à me déranger. N’ayons pas peur des mots : prétendre pouvoir se mettre à la place d’un autre, c’est majoritairement un mensonge, ou juste de la vanité. Nul n’est, à mon sens, en position de pouvoir présumer de ses actes, d’autant plus dans un contexte très défini.

J’ai déjà entendu des bêtises telles que « j’aurais résisté contre l’occupant ». Voilà qui est plus que prétentieux, non ? Reprenons un peu le contexte. Première chose, nous jugeons le passé à la lumière de notre connaissance, c'est-à-dire que, par exemple, nous pouvons affirmer que le nazisme a été un échec atroce. Mais à l’époque, qui aurait pu décréter, sans avoir peu de se tromper, que les nazis finiraient par perdre la guerre ? Etre résistant, ce fut aller au-delà de la seule notion de courage. Il fallait avoir des convictions aussi fermes que définitives, avoir la détermination et le sens du sacrifice suprême. Le culot, la gouaille, toutes ces notions sont utiles, mais insuffisantes pour pouvoir se permettre de dire « j’aurais été un résistant ». Rien ne prouve que ce même orgueilleux n’aurait pas été un collabo de la pire espèce, ou, plus grave encore, un volontaire pour agir de manière barbare. L’engagement personnel se juge en fonction d’une situation, pas à partir d’une autre. Je ne saurais affirmer avec certitude ce que j’aurais fait, et c’est en cela que je me refuse à juger les gens d’une époque donnée.

Vous avez peut-être déjà entendu ces coqs qui revendiquent leur force physique pour affirmer sans frémir qu’ils auraient agi lors d’une agression. Pourtant, les statistiques démontrent plutôt le contraire, et cela, malheureusement, me semble normal. Qui n’a pas peur de prendre une balle perdue, un coup de couteau dans le dos, ou d’être pris à parti par une dizaine de voyous ? Se vanter d’agir, c’est alors se mettre dans des situations dangereuses, voire mortelles. Bien sûr, certains vont au bout de leurs actes, mais bizarrement, ce sont des gens qui ne font pas étalage de ce courage, estimant que celui-ci est finalement un acte civique et normal. Je crois, avec un sincère respect, que ceux qui agissent sont généralement des gens qui ont simplement un sens aigu de la justice et de l’équité. Eux, toute notion de revendication ou de glorification est mise à l’index, car, au fond, défendre le voisin, protéger une jeune femme agressée, c’est avant tout un acte naturel, du moins qui devrait l’être pour tout le monde.

Parmi les phrases du conditionnel, une m’agace tout particulièrement. Le « si j’avais su », est une excuse lamentable pour tenter de s’affranchir de sa responsabilité personnelle. En effet, rien n’est plus lâche qu’un « si j’avais su ». Que croit-on affirmer de la sorte ? Qu’on aurait tenté d’éviter un désastre, qu’on aurait tout fait pour retenir l’ami qui s’est planté en voiture parce que trop ivre pour tenir le volant ? Assumer que le destin nous impose des choix aux conséquences imprévues, c’est autrement plus normal et logique que d’aller affirmer « si j’avais su ». Oui, on a envie de revenir dans le passé, de réécrire l’histoire, d’effacer les accidents, les errements, mais cela, nous ne le pouvons pas. Alors, se lamenter ainsi n’a pour seul effet que d’assombrir encore un peu plus la situation. On se doit d’assumer, d’aller de l’avant, car le conditionnel se révèle ici n’être que de l’impossibilité. Le temps s’écoule, inexorable, et nous devons l’accepter.

« Moi je, moi je… », toi rien du tout ! Tout comme moi, comme tout le monde, nos convictions ne survivent que si nous sommes mis en situation de devoir les éprouver. Nombre de personnes revendiquent des appartenances politiques ridicules, d’autant plus quand il s’agit de doctrines mal comprises et mal connues. Je hurle de colère quand on me parle de « néo nazi ». Non : ces idiots ne sont pas plus nazis que je le suis, ils ne sont que le reflet d’une bêtise profonde, d’un nombrilisme acharné, prompt à affirmer « si j’avais le pouvoir, je ferais… ». Comme tous les prétentieux, force est de pouvoir affirmer que le coq stupide ne ferait rien d’une part, et ne serait (comme il l’est déjà d’ailleurs) qu’un outil malléable pour des personnes plus informées que lui. La volonté, la doctrine, ce sont des choses qui ne supportent ni l’à peu près, ni le conditionnel. Dans ces conditions, prêtez bien attention aux propos tenus par ceux qui se pensent revendicatifs, et méditez sur le fait qu’ils ne sont que des braillards qui jouissent de la liberté d’expression. Combien seraient encore prompts à râler en cas de réduction de ces libertés ? Peu, voire aucun. Nous tolérons bien souvent des restrictions de nos libertés, à tel point que nombre de lois passent sans même que la foule s’en préoccupe. Malheureusement, la foule préfère les promesses aux actes, car quand les actes arrivent, on reprochera à l’élu d’agir (justement !).

Le ridicule ne tue pas, et bien heureusement. De toute façon, je me cantonnerai à espérer être capable d’assumer mes opinions, et ce jusqu’au bout. Je l’espère, je ne prétends pas en être capable. Peut-être vais-je virer lâche comme la majorité silencieuse, ou au contraire virer extrémiste, comme certains qui confondent revendication et action violente. Faites que cette erreur ne soit jamais mienne !

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