02 novembre 2010

Série ambiance Volume 4 : SF

Un tout autre style, pour une toute autre histoire... Bonne lecture !

Quatre années s’étaient écoulées depuis le déclenchement de l’affrontement entre les hommes et les envahisseurs. Tout d’abord pris au dépourvu, nous nous étions rapidement empressés de piller leur technologie, et ainsi nous battre à armes égales. Ainsi, au lieu d’être anéantis, nous enlisâmes les affrontements, transformant la terre en immense champ de bataille. Toutes les forces vives de l’humanité se lancèrent à corps perdu dans la guerre. Ce fut une guerre de survie, une guerre d’usure où il nous fallait à tout prix gagner. Pas de défaite envisageable. Vaincre ou disparaître.

J’étais membre d’un corps de marines international. Tout d’abord bâti à l’aide des reliquats d’unités décimées sur le front, nous devîmes rapidement une force d’assaut expérimentée, et servant à tester, puis valider, l’usage des nouvelles armes conçues à partir des technologies E.T. D’une tenue « classique » en tissu technique, d’un casque en kevlar et d’un gilet céramique, nous étions passés à des combinaisons intégrales en matériaux polymères, équipés du top des communications : GPS, radio, écrans intégrés, aides tactiques, assistance musculaire pour décupler notre force, rien ne fut trop complexe à intégrer pour tenter de nous donner un avantage. De loin, on aurait aisément pu confondre ces équipements avec des combinaisons d’astronautes, et d’ailleurs l’analogie n’était pas si fausse, puisque nous disposions d’un système de survie nous donnant une autonomie de plusieurs heures en atmosphère contaminée, l’ennemi n’hésitant pas à user d’armes NBC pour venir à bout de nos troupes.

Un jour, ce fut le jour noir : 90% de notre division fut littéralement massacrée par une nouvelle machine de guerre ennemie. Des bipèdes de guerre, des machines gigantesques, démesurées, quasiment invulnérables, apparurent sur le théâtre des opérations. Leur puissance de feu était telle qu’on ne put pas s’approcher, et que les assauts héroïques ne furent que suicidaires. Nous réussîmes à en détruire quelques uns, mais au prix de pertes démesurées. A la fin de la journée, nous dénombrâmes plus de 15.000 morts, presque autant de blessés, et le compte des disparus fut impossible à effectuer. Les survivants, dont je fus, se réunirent sous l’autorité d’une femme de poigne, une colonelle qui avait décidé de ne plus avoir de nom ni de sexe, rien qu’un code : Gemini. Nous en fîmes autant, définissant le groupe restant sous le nom « les ombres ». Je me considérais alors comme déjà mort, prêt à tomber pour tous mes amis tombés ce jour funeste. Nos exosquelettes changèrent de couleur et de décorations d’unités. Du gris, du kaki, du bariolé, nous passâmes au noir intégral, avec que quelques liserés blancs. Auparavant, les marines avaient une dague comme emblème. Il fut remplacé par quelques mots en latin : « Perinde ac cadaver », ce qui signifiait « sans peur de la mort puisqu'elle est déjà passée ». Pas de reddition, pas de fuite, la victoire ou la mort.

Pendant plus d’un an, nous arpentâmes le monde entier pour prête main forte aux troupes en difficulté. Impitoyables, brutaux, terrifiants, on nous surnomma « les démons ». Je n’avais plus qu’un objectif : massacrer le plus de ces salopards avant de tomber. J’avais perdu tout ce que j’aimais dans cette guerre, depuis ma famille, jusqu’à ma fiancée, infirmière tombée pendant le jour noir. On ne parlait que très peu, et la discipline était si stricte qu’il n’y avait aucun repos dans notre quête de l’affrontement final. Ivresse, stupéfiants, filles de joie, tout était prohibé, sous peine d’être immédiatement viré des ombres. Ce fut carnages sur carnages. L’ennemi, pratiquement humain, usait du même genre d’armures que nous, et il arriva même que certains d’entres eux tentèrent de se mêler à la foule des hommes. La seule chose qui les trahissait réellement, c’était leur incapacité à respirer longtemps notre atmosphère, eu égard à une étrange intolérance aux gaz rares présents à l’intérieur. Je ne fis jamais cas de leurs vies, exécutant les blessés, abattant sans pitié les rares fuyards, détruisant sans réflexion toute cible marquée par laser. Détruire. Réduire à néant. Quitte à mourir, autant le faire proprement, non ?

Lentement, mais sûrement, nous réussîmes à reprendre du territoire à l’ennemi. Mètre après mètre, nous progressions, laissant beaucoup d’hommes et de femmes sur le carreau, mais également en éliminant quantité d’adversaires. On pouvait lire la froide détermination dans nos regards, et même parfois observer un début de folie dans nos sourires. Personne n’hésitait, et notre signe favori était celui de la croix faite de nos deux index. Cela avait une signification simple : jusqu’à la mort. C’était même un jeu entre nous, à savoir combien de temps nous aurions la chance de survivre, et combien d’ennemis nous emmènerions dans la tombe avant de périr. C’était glauque, terrifiant pour les civils, mais tellement proche de nos réalités que nous n’y voyions qu’une plaisanterie juste un peu douteuse. D’ailleurs, c’était sûrement à cause de petites choses stupides de ce genre que les troupes régulières nous fuyaient cordialement. A leurs yeux, nous représentions le dernier stade du syndrome post-traumatique avant le suicide, cette frontière franchie entre la raison et la folie totale.

Je me souviens nettement d’anecdotes aussi sinistres pour les gens ordinaires, qu’elles furent mon quotidien pendant ces campagnes. Par exemple, l’hilarité d’un frère d’arme gravement blessé aux jambes qui gueulait « Vous m’avez pas encore crevé tas de cons ! Venez me chercher ! », ou encore cette fille redoutable au corps à corps qui, voyant tomber son copain, s’est jeté contre un bipède avec des explosifs, et qu’on a entendu murmure dans son micro « J’arrive mon amour ». Cela semble si irréel quand j’y songe, si improbable... Et pourtant, cela se passait souvent ainsi. Les ombres étaient plus que des soldats, des bêtes de combat, qui se sont déshumanisées pour sauver l’humanité. Quelle ironie ! On nous fauchait lors des batailles, mais comme le chiendent, nous résistions, on se regroupait, et nous retournions à l’assaut. Les jours devinrent une routine, tout comme le décompte des morts, le salut aux blessés... Infernal, inhumain, ordinaire.

Notre plus grande bataille fut la dernière de l’unité des ombres. Nous avions déjà perdu énormément de soldats, et rares étaient les candidats voulant jouer les morts en sursis. De temps en temps, certaines compagnies nous rejoignaient, et apprenaient à la dure ce que signifiait être un membre de notre unité. Cependant, cela ne suffit pas à reconstituer un effectif complet. Gemini le savait, et l’avait annoncé : un jour, nous aurions une dernière bataille, un dernier affrontement où soit nous gagnerions, soit nous serions anéantis. Chacun accepta ce fait sans frémir. La mort était notre pain quotidien, et l’enfer notre destination à tous. Ce matin fatidique, nous fîmes le point sur nos armes, remplîmes les cartouchières et les chargeurs, et fîmes les uns aux autres le signe des index croisés. Rituel final, geste anodin, mais geste de rédemption, de pardon mutuel pour les horreurs que nous allions commettre et vivre dans quelques instants. Tel un immense confessionnal à ciel ouvert, nous posâmes tous un genou à terre, et prononçâmes quelques mots de latin :

« Omnes enim qui acceperint gladium, gladio peribunt »

Tous ceux qui vivent par l’épée, mourront par l’épée... C’était bien une devise parfaitement adaptée à notre situation ! D’un monticule de terre formé au bord d’un gigantesque cratère, je vis les troupes d’en face se préparer à l’assaut. Combat à l’ancienne. D’abord, on s’arrose à l’artillerie, ensuite on s’entretue à courte portée, puis finalement on s’étripe de tout près. On vit un signe lointain, puis nos casques résonnèrent d’un ordre simple : à l’attaque ! Fusil d’assaut à la main, nous fonçâmes sans réellement regarder le pourquoi du comment, nous préoccupant juste de parvenir à nos fins. Il fallait vaincre, à tout prix, au prix du sang et des larmes.

Ce jour là, j’ai tué plus que tous les autres jours réunis. Ce jour là, je vis périr plus d’amis que jamais auparavant. Ce jour là, je vis mon sang couler et se mêler à celui de mes camarades. Ce jour là, ce fut le second et dernier jour noir de la légion des ombres. A la fin de cette journée funeste, on compta que quelques centaines de survivants, tous blessés, souvent mutilés, défigurés. Gemini était morte, l’arme à la main, haranguant la troupe, hurlant ses ordres dans son casque blindé. Elle est tombée comme une fleur sectionnée au sécateur, belle, élancée, forte et fière. Il paraît qu’elle souriait encore dans la mort, qu’elle avait un regard si déterminé qu’il terrifia ceux qui se chargèrent de sa dépouille. On dit même que nul ne réussit à lui fermer les yeux.

Ce jour là, enfin, l’ennemi se résolut à céder. Le carnage avait été tel qu’il était impossible pour eux de continuer sur ce rythme. Aussi rapidement qu’ils étaient venus, ils s’en allèrent à tout jamais, du moins nous l’espérons encore...

Aucun commentaire: