17 septembre 2010

Représentation personnelle

Une des premières activités enrichissantes du nourrisson est de faire connaissance avec son corps. Une fois adultes, nous avons l’intime conviction de nous connaître, du moins de savoir où est quoi. On n’a pas de doute sur la position réelle de nos orteils, pas plus qu’il nous soit nécessaire de réfléchir à l’emplacement de nos yeux. Le bébé, lui, occupe le temps libre entre deux biberons et deux hurlements suite au remplissage d’une couche à tester, découvrir, et s’informer sur l’usage de son corps. C’est à un point tel qu’on peut parler d’expérimentation. La preuve en est cette tendance naturelle à enfourner en bouche toute extrémité personnelle, ceci depuis le pouce, jusqu’ doigt de pied. L’apprentissage corporel est donc quelque chose de méthodique, frisant presque la pratique scientifique par déduction. « Non, le pouce du pied gauche n’a pas un goût agréable », ou encore « tiens, ça imite pas si mal le sein de maman/biberon/tétine en latex » (rayez les mentions superflues).

Pourtant, chose étonnante dans cette démarche, c’est que même si nous passons avec succès notre enquête anatomique, nous persistons à observer et décrypter les signes marquant notre corps. L’adolescent (e) découvrira sa sexualité par l’onanisme forcené (pratique qu’il/elle n’interrompra plus avant un bon moment, voire jamais), et se posera des questions existentielles sur le fonctionnement du sexe opposé. Loin de toute considération morale ou intellectuelle, l’adolescent sera ébahi qu’une fille ne soit pas comme lui, tout comme réciproquement une fille sera stupéfaite par l’apparition de la pilosité incomplète sur le faciès simiesque de son premier petit copain. De là, on pourra donc comprendre que la caresse réciproque, la main sur la joue n’est qu’une nouvelle enquête, une analyse sur la pertinence du « Pourquoi les mecs ont de la barbe », ou bien du « Pourquoi les nanas s’emmerdent à se faire les jambes douces ».

Une fois passées ces épreuves culturelles (parce que le sexe est souvent censuré, ou juste considéré comme tabou) et psychologiques (pas facile de comprendre ni de réagir face à son hétérosexualité, ou pire encore, son homosexualité dans des sociétés encore profondément homophobes), vient enfin la plus longue, la plus difficile, et la plus pénible des quêtes, celle de la compréhension de soi. L’identification, la personnification est quelque chose d’assez délicat, car chacun se trouvera des défauts. Hé oui : il nous faut passer par la case « je suis moche » pour être bien dans sa peau, car celui trop satisfait de lui-même sera alors classé comme étant narcissique. Narcisse, ah toi qui tombe amoureux de ton reflet ! Chose tout de même étrange, on dit qu’il faut savoir s’aimer, et paradoxalement on classe ceux qui s’aiment comme étant trop imbus d’eux-mêmes. Bon d’accord, les vrais narcissiques poussent le bouchon, ils sont là à s’extasier, mais quelle jeune femme ne s’est pas regardée dans la glace en déclarant « là, je suis sexy et élégante » ?

J’aime à penser que la personnification peut passer par le dessin. On peut alors se donner les proportions qu’on perçoit de soi, ajouter ou ôter des choses qu’on ne remarque pas, alors que les autres, justement, les remarquent avec intensité. Prenons le cas typique du type un rien ahuri, qui a une coupe de cheveux improbable, et malheureusement qui ne lui sied pas du tout. Fier de son œuvre capillaire, monsieur en fera tout un foin, au point d’en gaver les plus patientes pourtant férues de soins et autres onguents pour la peau. Que dessinera-t-il alors ? Sa tignasse, bien entendu ! Et dire qu’en secret chacun rit et moque l’ouvrage digne des horreurs de certains « musées » d’art moderne. Cruauté du mensonge, quand tu nous tiens. Bref, se représenter par le dessin, c’est se faciliter l’existence, car la photographie, elle, fige brutalement nos tares et déformations. Mine de rien, l’homme n’est pas symétrique pour deux sous, et lorsqu’on voit des visages trop parfaits, comme ceux produits par l’informatique, force est de constater que nous les trouvons froids et disproportionnés. C’est un comble : la symétrie affublée du terme « disproportionnée » !

Alors, comme me dessiner ? Certainement de la pire des manières, tant par autodérision que par une tendance naturelle à me moquer des critères. Un bide ? Bien sûr ! Allez, une boule pour la brioche ! Des lorgnons ? Faisons les bien ridicules, juste ce qu’il faut pour avoir un visage hideux. Et que je t’ajoute des lèvres gonflées et mal placées, de la barbe naissante, l’implantation des cheveux juste mal faite, et hop, me voilà, horreur parmi les horreurs, monstre hideux, mais humain tout de même ! Je prends un peu de recul… Et merde, je suis franchement laid là-dessus. On corrige… le bide ? Pas touche, il est là, tu ne peux pas prétendre à l’occulter, à moins d’enfiler un poncho ! La tronche en biais ? Saleté ! Impossible, à moins de vouloir tricher sur la marchandise… Et les pieds, le nez, les oreilles, les mains boudinées…

MISERE !

Aucun commentaire: