17 août 2010

Naturalisation

J’ai choisi de séparer le thème de la naturalisation du texte d’hier, parce qu’il m’a semblé être une étape à part entière. En effet, trop de gens pensent qu’il ne s’agit là que d’une étape administrative, que d’un vulgaire moyen d’être « dans la norme », et surtout de s’épargner bien des tracas administratifs. Or, c’est bien plus, c’est quelque chose qui dépasse probablement la majorité des gens n’ayant jamais eu à se poser de questions sur ce qu’est une identité. Le « qui suis-je ? » n’est pas une question anodine. Qu’est-ce qui nous définit, si ce n’est cette identité ? Où suis-je né ? Quelle est ma patrie ? Je reprends donc l’histoire de mes parents, et la mienne...

Nous avions enfin ce titre de séjour permanent, sésame garantissant un peu de quiétude pour les immigrés. Il y a trois choses qui sont essentielles dans la vie de l’immigré : le passeport, la carte de séjour, et le numéro de sécurité sociale. Nous devions toujours avoir la possibilité de prouver que nous n’étions pas des clandestins, que nous travaillions, et que nous étions en règle à tout point de vue. Quel effet bizarre d’être systématiquement codifié « 99 » pour tout ! 99, nombre des étrangers, 99, code pour que tout fonctionnaire puisse, en un regard, faire le tri entre ceux nés Français, et ceux nés étrangers. Et ce 99, c’est la seule chose qui perdure, même si vous obtenez la nationalité française, car on ne change jamais de numéro de sécurité sociale. Quoi que vous fassiez, à vie, vous êtes un 99.

Portugais, Africains, Yougoslaves, nous étions tous des 99, bossant et trimant chaque jour pour gagner de l’argent, et souvent en envoyer une partie au pays. A l’époque, nous étions le tiers monde de l’Europe, des pays soit arriérés, soit en pleine dictature, voire les deux. On se reconnaissait, on discutait de tout et de rien, profitant d’un café dans un bar hors d’âge, où le patron avait autant de franc parler que les clients. Drôle d’époque où le policier pénétrait dans le bistrot et buvait le canon avec les potes, où la patronne causait aussi rudement que les pires des charretiers. On échangeait les billets, les pascal, on rêvait de construire une maison au pays, ou plus proche de soi, d’acheter sa première voiture d’occasion. Et on se saluait « Salut le yougo », « Salut le portos », avec tendresse et affection, sans le côté péjoratif que cela a pris aujourd’hui. Nous étions les 99 de la France, ses ouvriers, parfois même ses larbins, mais nous vivions.

J’avais une identité ? Moi ? Oui : né Yougoslave, ayant choisi la France pour vivre. Puis, peu à peu, la politique a fait que je vis mon pays se déliter et s’engager sur la voie de la guerre. Un jour, feue ma mère nous appela, et nous annonça que mon fils aîné était appelé pour faire son service militaire. Ce n’était plus la Yougoslavie, c’était déjà la Croatie, une Croatie en guerre, se battant pour obtenir son indépendance. Il était en France ! Pas là-bas ! Pourquoi devoir choisir entre sa terre d’origine, et celle d’adoption ? Je choisis, avec ma femme, de prendre la nationalité Française pour nous et nos deux fils. Pas question qu’ils aillent se faire tuer pour une terre qu’ils ne connaissaient que de très loin, à travers la vie de vacanciers chaque été. Si j’avais été sur place, alors moi, oui moi, et moi seul serait allé au front, mais pas mes enfants. Notre sort à tous les quatre tenait à ce changement de nationalité, à ce choix définitif de prendre une autre identité. Devenir Français, ça ne fut pas un choix aussi évident qu’on pourrait le croire ! Je ne voulais pas perdre mon identité, je voulais rejoindre la nation France, pour sa force, sa beauté, sa richesse, et pour prendre des décisions telles que voter pour mon maire ou mon président. A tout bien réfléchir, j’avais vécu sous le régime de plusieurs présidents, mais jamais je n’avais pu ni les choisir, ni avoir le droit d’en contester l’accession au pouvoir. N’avais-je pas quitté la Yougoslavie parce qu’elle n’offrait justement pas de choix ?

A l’époque, le passeport Croate n’était pas encore prêt. Nous étions encore Yougoslaves, et notre document d’étranger tenait en un carnet gris argenté, frappé en son centre de l’étoile rouge. Extrêmement discret, face aux autres documents officiels ! De bureaux en bureaux, ce fut la valse des formulaires, certificats, actes de naissance et j’en passe et des pires. Je me souviens même qu’on osa me demander ma religion, extrémisme d’une politique scandaleuse de la part d’un ministre de sinistre mémoire. Par chance, mon refus de remplir cette partie ne fut pas problématique. Je pense même que les fonctionnaires derrière leurs bureaux se moquaient que je sois catholique, juif, ou musulman. Patiemment, nous attendîmes que notre sort soit réglé. Entre-temps, la Yougoslavie n’était plus, et la Croatie pas encore reconnue. Apatrides, inconnus au bataillon, avec passeports valides nulle part ! Ce fut difficile à avaler, qu’on puisse vous dire « vous n’êtes plus ressortissant de ce pays, puisqu’il refuse de vous considérer comme un de ses ressortissants ». Que de courses dans les ambassades, à quémander un formulaire traduit, à devoir tergiverser avec des gens se moquant éperdument de notre sort ! Ce fut usant, inquiétant. Rien qu’à l’idée que nous pourrions peut-être finir expulsés...

Puis un jour, nous reçûmes nos convocations pour aller au tribunal de grande instance. C’était fait ! Nous étions Français. De VRAIS Français, comme monsieur tout le monde, avec sa carte d’identité en carton crème, son passeport « RF », son livret de famille. La reconnaissance d’un pays pour les efforts que nous avions consentis pour y être intégrés, le remerciement d’une nation pour ses enfants qui, jour après jour, allaient à l’école et s’instruisaient avec sérieux, l’honneur d’avoir le droit d’être définitivement en règle, le devoir de participer à la vie civique de notre pays. Je dis avec orgueil mon pays, car la France, je l’ai adoptée, tout comme elle m’a acceptée en son sein. Je suis Français. Je ne suis pas né Français, mais je le suis devenu.

2 commentaires:

Unknown a dit…

On ne comprendra jamais rien à nos mythomanies, si on ne fait pas appel à la mythologie.
La réalité est un poison. Le remède c’est l’imagination.
Nous sommes toujours déjà en 2012 et au lieu de confier notre destin aux mêmes pantins, on va faire appel à un seul et unique électeur :
Le président de la République actuel pour désigner lui-même son successeur.
Il y aura trois prétendantes au trône, trois déesses pour convaincre son altesse.
Héra : déesse de la puissance
Athéna : déesse de l’intelligence
Et Aphrodite : déesse de la délivrance.
On aura droit grâce à la bonne volonté de notre Roi à un débat télévisé entre les trois, diffusé en direct sur tous les continents.
Le moment venu, chacune revêtue de ses plus beaux atours va laisser tomber son masque et montrer son vrai visage pour dispenser sa majesté de tout vilain discours.
Héra, c’est Martine.
Athéna, c’est Marine.
Et Aphrodite c’est Marianne sous les traits de Jean-François Kahn.
Et après avoir longuement médité sur l’avenir qui attend les français, notre président se lève, et au lieu de trancher, décide de se retrancher… déchire sa pièce d’identité et renonce une fois pour toutes à sa nationalité !

http://www.tueursnet.com/index.php?journal=Balle%20de%202012

JeFaisPeurALaFoule a dit…

J'ai mis le lien... je vous laisse le soin d'aller voir et d'en juger le contenu.

Pour ma part, je suis en train de consulter le site pour me faire une opinion.