23 août 2010

Balle rebondissante

C’est en voyant des gosses jouant avec une balle rebondissante que je me suis fait des analogies étranges avec le monde dans son ensemble. Vous ne voyez pas ce qu’est une « balle rebondissante » ? Mais si, vous les connaissez, ces saloperies en plastique bizarre qui, contrairement aux autres balles ordinaires, rebondissent à des hauteurs invraisemblables, et semblent être capables d’accumuler une capacité quasi infinie à rebondir. Agaçantes, ces balles peuvent vous pourrir l’existence (si vous êtes du genre maso, ou que vous voulez détruire vitres et bibelots chez quelqu’un, lancez en une bien fort contre le plancher. Effet destructeur garanti, et amitié ruinée à jamais).

Revenons à la baballe et au monde qui nous entoure. Quoi de plus ahurissant que cette faculté à rebondir sur les ennuis ? Une guerre ? Une fois terminée, c’est l’embellie économique, la relance, la croissance à deux chiffres, et une époque prospère comme jamais. Bon, il faut dire que coller au cimetière un tiers des mâles en âge de travailler, et donc coller les femmes à leur place, ça vous règle bien des soucis de chômage, et ça incite à la natalité à outrance. Bref, le monde aime à rebondir, l’homme aime la folie meurtrière, puis, en se servant comme d’une béquille le malheur des uns, il remontera plus haut qu’au départ, le tout enjolivé de slogans tels que « plus jamais ça ». Le monde est donc fait de milliards de balles rebondissantes qui s’entrechoquent, et finissent tôt ou tard par faire des dégâts irréversibles.

On pourrait croire que cet effet élastique n’est réservé qu’aux élites, aux politiques, aux excités de la petite phrase. En effet, c’est une partie même de la fonction de politique si l’on y songe bien : prendre le propos de l’opposant, le retourner, et s’en servir pour « rebondir » justement. Certains sont plus experts, et, apparemment, les partis extrémistes (politiques hein, restons simples) jouent mieux à ce jeu là que les modérés (modérés mon cul, soit dit en passant : ces mêmes modérés peuvent voter pour la guerre sans sourciller, le tout sous le prétexte minable « qu’il n’y avait pas d’autre choix »). Prenez les communistes : toujours à rebondir de partout, à bondir sur la moindre occasion de se faire entendre. Manifestations, colloques, réunions, vitupérations sans fin, les communistes, tels que nous les connaissons aujourd’hui, jouent plus de la polémique bas de gamme, que du pouvoir des urnes. D’ailleurs, il y a-t-il encore des communistes, des vrais je veux dire ? J’en doute... Bref : les excités du rebondissement verbal sont capables du pire, ceci en cognant leur sphère de bêtise contre tout ce qui est proche et fragile : le système social, la paix, les pays voisins, la diplomatie, l’économie...

Malheureusement, l’homme de la rue, lui aussi, est un grand expert de la balle rebondissante. Versatile, instable, le « colle dans l’urne le billet du populiste le plus crédible » n’hésite pas à sautiller dans tous les sens, quitte à faire des dégâts collatéraux. L’histoire de France, la récente s’entend, n’est pas avare en exemples. 2002, l’année des élections les plus foireuses de la cinquième république, reflète très bien ce sentiment de « rebond » débile des citoyens. Alors comme ça, les balles préfèrent rester neutres au premier tour, ne pas s’activer. Paf ! Ceux qui votent extrême droite, eux, font passer leur candidat au second tour. Scandale ! Horreur ! Un (je cite) « fasciste » ! Hé non ! Les baballes sont restées au repos, puis, mises en danger par leur propre incapacité à rebondir toutes seules, les voici lancées en tous sens. On ne compta plus les manifestations contre le résultat du premier tour, les déclarations assassines des non votants qui insultent ceux qui ont fait leur devoir citoyen, ou encore les propos incohérents de ceux qui pensaient que « ne pas voter, c’est éviter la débâcle ». Balles rebondissantes sans cervelle, que de dégâts vous avez fait à la démocratie ! Boing ! Boing ! Choisir entre Chirac et Le Pen, merci pour le choix ! D’ailleurs, je me permets une remarque méchante : contre quoi ont-ils manifestés, ces ahuris ? Huit ans après, je ne comprends toujours pas : ne fallait-il pas agir AVANT le premier tour, et surtout pendant le dimanche fatidique ? Ne fallait-il pas se mobiliser pour que l’abstention ne sabote pas le décompte des voix ? Je ne comprendrai jamais... Mais je dois être trop con pour comprendre apparemment.

Et puis finalement, il y a moi, la baballe bizarre, qui se lance d’elle-même contre des murs, rebondit sur des thèmes parfois éculés, parfois dérangeants, n’hésitant pas à décevoir, émouvoir ou plaire, parce que finalement, si la vie n’est faite que de rebonds, autant qu’ils soient les plus hauts possibles, simplement parce qu’il faut reconnaître que « vue de haut, la Terre est vraiment belle »...

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