24 juin 2010

Saveur d’été

Il fait étonnamment beau sur cette banlieue parisienne que beaucoup honnissent à juste titre. Il y a cette surprenante chaleur qui vient enfin enrober les gens et les choses, comme si la saison d’été voulait renouveler le décor. Le vert est éclatant dans les branchages, le rouge est sanguin sur les lèvres des femmes apprêtées, et le blanc s’installe sur les torses par les chemises dont le col s’ouvre plus que de raison. C’est ainsi, les couleurs explosent, elles se substituent enfin au gris uniformément sale des immeubles environnants.

Je me serais volontiers assis sur un coin de pelouse à l’ombre d’un chêne, pour, comme disait J.Lennon, regarder les roues qui tournent encore et encore, observer le pas cadencé des gens qui se pressent je ne sais pas trop pourquoi, et pour écouter le chant d’un moineau taquin qui se moque de notre empressement aussi vain que ridicule. Que j’aimerais pouvoir tremper mes pieds nus dans une petite rivière, humer alors l’air, renifler les fleurs qui s’épanouissent, et plonger mes sens dans l’ivresse des parfums d’été. Le bitume, lui, a l’odeur âcre et entêtante qui lui est propre, celle de cette industrie trépignante sous mes pas. Encore un train qui dévale son tunnel… ou une bête fantasmée, une bestiole de conte de fée qui creuse son tunnel, ravie de voyager loin de nos regards.

On se vampirise les uns les autres, s’usant mutuellement les nerfs à coup de propos d’irascibles insatisfaits, de frustrés du quotidien qui ne savent plus profiter des choses simples. Assis là dans mon bureau, je rêve simplement d’un feu de bois au crépuscule, d’un verre de vin frais, d’une présence aimante qui me sourit tout contre moi. J’ai envie d’une couverture tirée dans le pré, de deux mains qui se mêlent pour s’assurer qu’il s’agit d’une réalité, et non d’un rêve pour s’évader du béton. J’imagine alors un paysage fait de champs, de bosquets, de forêts sur les collines au loin, d’étendues de verdure où les maisons semblent s’intégrer plus que s’imposer. Je vois des toits qui dépassent à peine au milieu des cimes, et parfois, j’aperçois volontiers quelques âmes qui déambulent, juste pour le plaisir d’être là, d’aimer la terre et le bonheur d’y vivre.

On se fait la guerre, on brûle, on pille et l’on tue. Par omission et crainte d’autrui, on légitime par le silence l’existence des haines millénaires. Moi je rêve alors d’une fête de village, de bancs alignés autour des tablées, des gens qui rient, se serrent la main, partagent un verre et un repas élémentaire. Je lève le nez pour aspirer la brise chargée par la cuisson des saucisses et des pommes de terre, je goûte avec délice l’estragon de la moutarde, et me délecte du ravissement que vivent les autres en agissant comme moi. On communie, non par foi, non par courant de pensée ou de culture, on partager parce que nous hommes des êtres identiques, humains, juste des âmes qui veulent un moment de quiétude, une pause dans le quotidien.

On s’évite, on se fuit, on ne regarde par les autres parce qu’ils encombrent alors nos pensées. Je songe un orchestre, un haut parleur crachotant un air connu, enivrant, attirant nos pas vers la danse. On se donne les mains, on bouge avec plus ou moins de talent, mais l’on agit pour se détendre et rire du lendemain. Il fait beau, il fait chaud, la lune va nous éclairer, et les cœurs continueront à s’aimer jusque tard dans la nuit. Avec un peu d’entrain et de chance, on continuera jusqu’au petit matin, et on s’endormira la tête pleine de souvenirs et de moments de tendresse. Je l’enlacerai, lui tendrai un bouquet de fleurs, je l’embrasserai si elle le veut bien, et nous rentrerons, qui sait, ensemble…

Je serre les doigts, ce n’est pas sa main que je tiens, ce n’est qu’un crayon. Qu’importe, il est là, il existe. Il fait chaud, cela pénètre mon bureau anonyme. Je sens sur ma peau qui se tanne un peu que demain il fera tout aussi chaud. Je sens l’envie que mes rêves deviennent réalité.

J’ai de la chaleur dans le cœur, et c’est tant mieux. Faites que cela reste ainsi pour toujours…

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