03 mars 2010

La vie des bistrots

Qu’on se le dise, je ne suis pas un grand amateur de la dive bouteille. Bien qu’il m’arrive de céder aux charmes d’un verre de vodka, sans glace merci et surtout bien fraîche, je ne ressens guère de plaisir à devoir m’enivrer comme trop de gens le font au quotidien. Dans cette habitude somme toute soi-disant conviviale, il y a un lieu qui s’avère être le cœur même de la cité : le bistrot. Image populaire du zinc astiqué en permanence par le barman servile et à l’oreille toujours attentive aux jérémiades de ses habitués, le rade est un véritable symbole de la vie à la Française. Pourtant, il en disparaît sans arrêt, ceci pour laisser place à une laverie automatique, un bouiboui vendant n’importe quoi, ou, sacrilège suprême, un restaurant dont la seule vertu est de vous empoisonner à coup de nourriture avariée. Bref, mon bon vieux cafetard a du plomb dans l’aile.

Mais qu’est-ce qui le rend si vital, cet endroit de débauche ? Je suppose que les « biens pensants » supposent qu’un bistrot, c’est avant tout le point de rendez-vous de la lie de la société, des fainéants, et qu’on y vit comme dans les pires clichés des films noirs des années 60. Or, le bar n’a jamais été cela, bien au contraire. Demandez donc aux retraités comment s’organisait la vie des gens du bâtiment par exemple : les ouvriers débarquaient très tôt, prenaient le « petit noir », et attendaient les patrons, voire même les clients, et discutaient le bout de gras directement au comptoir avant d’aller au boulot. C’était le rendez-vous des salariés pour l’embauche, le lieu de repos à la pause déjeuner, et nul n’avait honte de venir en blanc, ou en bleu pour s’envoyer un ballon de rosé du midi, ou se remettre du baume au cœur avec un « grand serré sans sucre ».

Les gens ignorent la convivialité, au point qu’ils se fassent tous la gueule à longueur de journée. Pourtant, quoi de plus élémentaire que le bonjour ? Quoi de plus agréable que le sourire ? C’est ainsi que se perd le vrai café, le vrai rade, celui où l’on disait sans hésitation « salut l’ami ! » au serveur ou même au patron. Et dire que tout ceci était une vraie tradition… Quelle tristesse. Allez vous faire servir dans un de ces bistrots « modernes » où se côtoient un écran plasma pour distraire le bobo sortant pour la pause déjeuner, le vieux flipper avec qui personne ne joue plus ou presque, et où le sourire semble être tombé en désuétude. Merde alors, moi qui croyais qu’on pouvait compter sur le petit commerce pour maintenir une certaine idée de la ville de la cité, mais même pas ! Ce genre d’endroit, froid, impersonnel, m’attire autant qu’un discours enflammé d’un politicien négationniste. Je n’ai beau boire que mon café, je souhaite pouvoir saluer et l’être en retour ! C’est si compliqué, d’être poli ?

Et dire que ceux qui disparaissent se plaignent des contrôles routiers qui réduisent la consommation d’alcool, critiquent tout et n’importe quoi parce que « ça tue le commerce ». Dites, les gars, et le minimum de professionnalisme, c’est d’être aimable, de faire le turbin comme il se doit, et en plus de ne pas prendre le client pour une vache à lait. Oui, il faut lui faire les poches (comme tous les commerçants, on n’est pas philanthropes hein…), mais avec l’art de le faire quitter l’établissement avec le plaisir d’avoir été détroussé. Celui qui revient, c’est celui qui se sent un peu chez lui, celui qui ne revient pas, c’est celui qui trouve qu’il y a mieux ailleurs. Sans rire, c’est quoi ce truc ? Ce bistrot où le patron tire la tronche, où la patronne boude, elle aussi, le nez plongé dans un « Voici » défraîchi ? Ca vous donnerait envie de monter un musée Grévin des faciès d’abrutis dans ce boxon là !

Bon, me concernant, revenir régulièrement dans un bistrot, c’est aussi avoir ses petites habitudes. Le serveur, s’il est compétent, vous salue, serre la pogne avec respect, et vous sert d’emblée ce que vous prenez à chaque fois. Il sait ce que vous faites (ou le soupçonne, ce qui suffit largement à la conversation), et fait son office avec détachement, tranquillité, bref avec l’intelligence d’être tant au remplissage des verres qu’à la vidange des âmes. Ah, cela me rendrait presque nostalgique du rade de mon adolescence, celui où le patron connaissait les mioches par leur prénom, filait la petite pièce pour qu’on joue au babyfoot, et où l’on passait autant de temps à chômer l’école que les professeurs en passaient à nous traquer.

Et là, j’ai trouvé une petite perle : la brasserie d’antan, l’équipe rigolarde, sympatoche, avec la bonne bouille de ceux qui aiment leur boulot. J’entends certains ahuris parler de nationalité, tout ça, de commerces repris par des étrangers… Pas de bol : l’équipe est cosmopolite, la tambouille excellente, et l’esprit comme j’aimerais qu’il soit partout. Aimable, tout simplement.

Allez, je m’envoie un bon petit jus bien noir et je file !

2 commentaires:

Eathanor a dit…

Bonne chronique qui me renvoie à mes propres souvenirs d'adolescent qui aimait (un peu trop certes) sécher les cours, préférant dilapider son argent de poche dans le flipper à faire claquer, le tout en fumant des cigarettes. Et oui ma bonne dame, en ce temps-là, l'hygiènisme de masse n'avait pas encore imposé sa dictature et la douceur de vivre n'était pas un vain mot.

Au milieu de tous ces cafés sans âme, dégoulinants d'un modernisme d'une froideur à pleurer, il reste encore quelques petites perles. Si le cœur t'en dit, allons donc prendre un verre ensemble un de ces jours prochains dans l'un.

Merenawel a dit…

Etant une lectrice assidue des brèves de comptoir, j'aime beaucoup cet article. Bien que je n'aille dans "mon" café qu'en compagnie de mon meilleur ami Pierre.
Si un jour tu passes à Metz, je t'emmènerai au café Jeanne d'Arc, dans lequel on trouve sur les murs des portraits de Barbara, et la célèbre photo de Georges Brassens, Jacques Brel et Léo Ferré. La terrasse est située près d'une fontaine, dans une rue excentrée du centre ville, en plein milieu de la colline Sainte-Croix.
C'est très plaisant d'y flâner en plein soleil ! :)