12 mars 2010

Art à vendre en ligne

Depuis que le réseau s’est déployé dans le monde, et que la notion de dématérialisation des biens est effective, l’industrie du disque se heurte à un problème pourtant aussi ancien que la production phonographique : le piratage. En effet, dupliquer ce n’est pas voler. Voler, c’est prendre un bien unique qui ne reste pas en possession de son propriétaire originel. Dupliquer, c’est en faire une copie, et non de la dérober au sens exact du terme. Seulement voilà, copier sans payer le droit de disposer d’une copie (comme acheter un CD par exemple), c’est léser l’artiste et sa maison de disques. De ce fait, on criminalise les gens qui téléchargent, puisqu’il s’agit là d’une copie illicite d’un produit en vente !

Une fois cet aspect compris et maîtrisé, continuons la démarche. Jusqu’à présent, nous achetions des médias physiques (CD, disques vinyle…), donc nous devenions propriétaires d’un objet, et non de l’enregistrement en lui-même. Quand on parle de détention d’un média physique, nous possédons la matière de l’objet, et le droit d’écouter la musique, le film, ou quoi que ce soit d’enregistré dessus. Nous ne devenons pas les ayants droits d’un disque des Beatles en l’achetant, ce sont les Beatles qui touchent les droits d’auteurs, pas nous. Concrètement, tant que la copie était physiquement complexe, voire impossible, l’économie de pénurie (peu de biens, donc facturés au prix de la marchandise et de la propriété intellectuelle) était la règle. Aujourd’hui, le réseau transforme le tout en économie d’abondance. En effet, dupliquer un fichier « virtuel » est simple, au coût nul ou presque (on ne paie pas de pressage, ni de notice, pas plus que le transport du CD par exemple), donc un million de copies d’un fichier ne coûte « rien », ceci à comparer avec le coût de production d’un million de CD, d’un million de boîtiers, de les distribuer dans le monde…

Or, cette économie d’abondance ennuie tout particulièrement les dinosaures de la production musicale. Pourquoi ? Parce qu’un Cd a un coût de production unitaire faible, mais insérer des intermédiaires (vrais ou fictifs) permet d’augmenter le prix de vente, alors qu’un fichier virtuel, lui, ne subira pas ce surcoût artificiel. Dans ces conditions, l’offre doit changer, ceci afin de répondre à la demande qui est pourtant importante. Seulement, la copie illicite est aussi grandement facilitée par la technologie : Quoi de plus simple que de dupliquer une chansons d’une clé USB sur un autre ? Quoi de plus facile que de télécharger en quelques secondes un fichier audio pourtant soumis au droit d’auteur ? Alors les majors se sont tournées vers la sécurisation du fichier, la gestion du droit à travers le numérique : la DRM. Pour les béotiens, une DRM, c’est un procédé informatique visant à limiter la copie numérique, avec pour impact principal que : d’une part, vous ne pourrez pas copier légitimement votre fichier où vous le voulez, et que d’autre part ce nombre de copies sera limite (cinq en moyenne). L’idée ? Recréer la pénurie dans un monde d’abondance ! Un comble, non ?

Si l’on observe qualitativement parlant les offres des marchés dématérialisés (vente en ligne) et le marché physique, on constate que l’écart tend à disparaître, et que le marché virtuel arrive même à promouvoir facilement des artistes, car sans coût de média physique, le prix de revient de distribution d’un disque chute drastiquement. En clair : hors le montant d’un enregistrement en studio et de quelques bricoles du style site web et jaquette à imprimer par l’acheteur, le disque virtuel ne coûte plus rien ou presque. Belle idée… seulement, il s’avère que l’actualité n’est pas avare en absurdité. En effet, en dématérialisant totalement la structure des disques (on peut acheter au détail les chansons de tous les disques, et donc ne plus acheter un CD complet par exemple), on en vient à briser des œuvres conçues dans l’unicité, comme par exemple un opéra de Verdi, ou un album de Pink Floyd. Jusqu’à preuve du contraire, il ne viendra jamais à l’esprit de quiconque d’acheter une scène en particulier d’un film, ou de regarder qu’un bout d’un tableau.

Si je parle de cela, c’est relatif à l’article ci-dessous (cliquez sur le lien pour y accéder). Pink Floyd a exigé le respect de son contrat qui stipulait qu’il fallait que chaque album soit traité dans son intégralité, c'est-à-dire qu’il n’y avait pas possibilité de prendre un morceau séparément des autres. Or, leur maison de disques vendait jusqu’il y a peu de temps les chansons au détail sur le Web. Donc, le contrat initial n’étant plus respecté, le groupe a attaqué la major, et bien entendu, gagné le procès. Dans ces conditions, Pink Floyd n’est plus disponible en téléchargement légal. Qu’est-ce qu’il y a d’intéressant ici ? C’est la contradiction qu’il y a entre sortir un groupe légendaire du réseau, et donc réduire aussi sa visibilité pour les nouvelles générations, et refuser de trouver une solution médiane avec le téléchargement possible, mais que par album complet. Le groupe a pensé ses albums comme des œuvres, et non comme des amoncellements de chansons hétéroclites. Respectons la démarche en prenant les albums en entier, et non par bribes comme trop de gens le font. A contrario, ne les sortons pas de l’offre, car c’est perdre la culture et l’inventivité d’un groupe phare du siècle dernier. Il y a eu un avant Pink Floyd, et un après, que ce soit musicalement, ou politiquement. De ce fait, laissons cet héritage naviguer dans l’océan virtuel, tout en respectant son unicité. Il ne me viendrait pas à l’idée de regarder qu’un bout de film, alors, à ceux qui vendent la musique, faites en sorte qu’on puisse entendre ces œuvres telles qu’elles furent pensées.

L'article en question sur lefigaro.fr

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