05 mars 2010

Années lycée

Voir des étudiants bavarder, errer, sac à dos à l’épaule, cela me fait le même effet à chaque fois, une sorte de coup de nostalgie amusée, de celle qu’on tolère d’autant plus facilement qu’elle évoque souvent de bons souvenirs. Ah, les années lycées, les premiers émois, les vraies premières erreurs d’adulte, qui n’en garde pas un souvenir persistant ? Pourtant, il est de notoriété publique qu’un adolescent est un imbécile boutonneux, modelé par des idéaux gauchistes qui le feront voter à droite par la suite, pétri par les hormones et le désir d’être « un homme ». C’est ça, être un ado ?

Le lycée est la première marche vers la vie d’adulte. Pour certains, ce sont les dernières années d’étude, pour beaucoup l’occasion de s’initier aux sentiments amoureux, et pour l’immense majorité de se découvrir des tares ou des travers qu’on conserve à vie. Tenez, je me suis mis à m’intoxiquer tant les poumons que le foie à cette époque, j’ai découvert que les filles et les garçons ne sont pas faits de la même manière, et surtout j’ai compris que chacun avait son niveau personnel de bêtise bien ancré en lui. Qu’on n’aille pas croire qu’il est aisé d’être adolescent, c’est tout le contraire. Croire, c’est l’essentiel de l’adolescence, et les convictions, c’est comme les forêts, ça se déboise au fur et à mesure du temps. Alors, être persuadé de certaines choses comme la liberté, l’équité, la liberté, ou encore de la toute puissance de la science, c’est le genre de choses qui blessent quand on comprend que rien n’est aussi simple qu’il n’y paraît. Malgré ça, c’est avec tendresse qu’on se revoit, timide, ou au contraire exubérant, qu’on retrouve en soi l’image d’un bourricot, d’un môme qu’on taxerait de « grand con » à la lumière de notre expérience. Pardonnerait-on plus facilement les erreurs de jeunesse ?

C’est par le truchement de mes amitiés bien ancrées que je peux revivre cette époque avec une certaine clarté. En effet, fidèle que je suis tant en amour qu’en amitié, je revois, ceci après une quinzaine d’années, les mêmes ahuris de mes années lycée ! Ah, les mecs, comme le temps a passé, et bordel qu’on était de vrais abrutis ! Mais tout de même, on rit des vacheries faites aux professeurs, des soirées organisées sur le vif pour « se faire des souvenirs », ou encore des premières balades en bagnoles dans la ville qui s’endort à des heures indues. J’étais jeune, j’étais con, mais que c’est bon la connerie quand on a envie de s’évader et de fuir le métronome de l’existence ! Et puis, c’est un bon prétexte pour revoir ses potes, boire un verre, se lancer dans des débats sans fin sur X qui était une crapule, sur Y qui était mignonne et que personne n’a jamais pu embrasser, ou encore sur Z qui était un professeur particulièrement retors. La mémoire…

Je ne sais pas vraiment où sont passées ces années. Je les crois mêlées à celles qui suivirent, pas toutes glorieuses ou agréables, mais, malgré tout, je leur offre la pitié d’un adulte cynique et un rien ironique concernant ces expériences de gamin se cherchant une raison d’être. Est-ce glorieux d’avoir tâté de l’alcool, des fêtes enfumées ? Est-ce malin d’avoir choisi le rade d’en face avec son flipper et son kawa à trois francs ? Est-ce judicieux d’avoir traîné nos guêtres sur les bords de la Marne au lieu d’étudier ? L’assiduité, c’était quoi : payer son verre ou bien suivre le cours sans sécher des journées entières ? A croire que nous venions au lycée que pour nous voir, et non pour apprendre quoi que ce soit de constructif. A bien y réfléchir, c’est tout de même de cette manière qu’on s’est tous forgés des règles de vie : tu n’entuberas pas tes potes, celui qui a payé sera alors remercié par la tournée suivante, celui qui te respecte doit l’être en retour, et puis… Vivre, c’est le faire en communauté.

J’ai perdu nombre d’amis de vue : certains sont loin, les routes se sont orientées ailleurs, certains sont morts, il y en a même qui ont tâté de la cellule en centrale, pourtant tous peuplent mes souvenirs de lycée. J’en garde quelques anecdotes, des conneries dignes de l’exclusion, mais qui firent marrer nos professeurs. Finalement, ils étaient philosophes de nous supporter ainsi, à longueur de journées et d’années, à nous voir nous épanouir, ou au contraire dériver vers le néant et les pires travers de l’humanité. Certains se droguèrent, d’autres finirent même par quitter le lycée sans avoir obtenu quelque diplôme que ce soit, mais nos professeurs firent l’effort de ne pas nous blâmer. La Vie est ainsi faite : on se trompe, on déconne, mais on vit… Et c’est l’essentiel.

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