16 février 2010

Anticipation d'une société prison

Il m’arrive parfois de laisser tomber le cynisme, l’actualité et les pensées claires pour me rabattre sur l’imagination pure. Comme vous pouvez l’avoir déjà constaté, je ne suis pas avare en textes de ce genre. Alors, aujourd’hui, j’ai envie de reprendre la plume (disons le clavier) pour vous offrir une autre de ces courtes pièces tirées de mes neurones légèrement embrumés par les médicaments supposés traiter mon rhume.

Bonne lecture !

Quand une ville devient une mégapole, la physionomie de ses habitants change radicalement : de personnes connues, de voisinage amical, ils se métamorphosent en une masse humaine informe, pressée, bariolé et bruyante. En l’espace de deux décennies, ce qui n’était que quelques banlieues était devenu de véritables quartiers intégrés à la cité. Toujours plus dense, les frontières artificielles des villes limitrophes finissaient par être supprimées au profit d’un système d’arrondissements. On ne put bientôt plus distinguer l’ancien et le récent tant les murs, le béton et l’acier s’emmêlaient dans les tentacules inhumaines de la cité. Par le passé, aller d’une banlieue à une autre ressemblait à un petit voyage, tant les paysages urbains étaient différents ; là, tout s’était uniformisé à tel point que les habitants finirent par surnommer la ville « l’immeuble ». Les quartiers les plus anciens demeuraient, survivaient tels des parasites au milieu d’un corps totalement nouveau et différent.

Les évolutions technologiques étaient entrées de plein pieds dans la ville : écrans, projections d’images colorées, festivals d’éclats sonores, bornes relais d’information mises à jour en temps réel, tout était fait pour que chacun puisse puiser de la donnée n’importe où, comme si la monnaie était aujourd’hui l’octet et non l’argent d’antan. On n’échangeait plus de pièces et de billets, les portefeuilles électroniques ayant pris la place de ce moyen de paiement obsolète. C’était souvent l’escalade : affichage personnalisé dans les magasins, électronique embarquée par chacun informant le propriétaire des bonnes affaires du quartier, publicité spécifique en fonction du profil du connecté, et même la possibilité de se voir virtuellement vêtu par les derniers modèles présentés en boutique. L’achat était donc devenu un mode de vie, et pas uniquement un besoin à assouvir. Les plus grandes chaînes s’étaient lancées dans une guerre à la nouveauté, et l’on en était arrivé à la production à façon, avec la fabrication sur mesure des vêtements à l’achat. Pas de stock, peu de salariés, une dynamique commerciale si rapide que les plus lents périssaient par manque de renouvellement.

Après les grandes crises énergétiques ayant menées à deux conflits mondiaux, les produits fossiles furent proscris de l’économie mondiale : le solaire, l’éolienne et la fusion nucléaire offraient donc de l’énergie peu chère et renouvelable. La pollution de l’air s’était enfin amoindrie, mais celle du monde, plus insidieuse par les nouvelles particules inventées en laboratoires, commençait à menacer la faune, la flore, et l’être humain. Nano tubes, nano machines, protéines artificielles, peu à peu nous constatâmes que ces inventions fabuleuses généraient de nouveaux problèmes au moins aussi dramatiques que le pétrole et les gaz à effet de serre. Pourtant, la cité, elle, usait et abusait de ces outils modernes. La construction avait changée de physionomie, et bâtir un immeuble n’eut plus rien de long ni de pénible pour les ouvriers. On programmait des armées de machines microscopiques, on les lançait à l’assaut du bâtiment à « formaliser », et l’on attendait quelques jours que le tout soit terminé, contrôlé et validé. Les quartiers d’affaires devinrent même le siège de concours fous, comme celui de la tour la plus haute, ou celle la plus audacieuse dans ses formes. 1000 mètres n’eut plus rien d’exceptionnel, pas plus que des formes improbables ou de portées impossible il y a dix ans en arrière. Acier, béton, carbone, l’union des matières pour le renouvellement effréné du style et de l’orgueil.

En contrebas de ces tours sans fin, c’est avant tout une faune humaine qui se développa. A force d’automatisation, de modernisation, et de délocalisations, c’est tout un pan de la société qui subit le contrecoup de notre progrès technologique : chômage galopant, apparition de « paradis virtuels » où les gens se connectaient pour s’y abandonner corps et âme, violence urbaine en constante progression, les bas quartiers devinrent définitivement invivables pour la classe moyenne quand les sociétés décidèrent de créer des macrocosmes destinés à leurs employés. Ces immeubles, ou plutôt îles dans l’océan urbain, contenaient tous les services nécessaires à la vie, l’éducation, et le consumérisme des salariés. On dit même que nombre d’employés ne sortirent plus de ces arches bétonnées, qu’ils prenaient l’air sur les terrasses arborées, et que, très rarement, ils quittaient cette sécurité que pour pouvoir croiser de la famille. Des amis ? Oui, dans l’entreprise, pas à l’extérieur.

Le racisme, tout comme énormément de formes de xénophobies finirent par disparaître. Entre métissage, augmentation énorme de la population, et l’émergence des ethnies dans la politique, la mégapole vit l’extinction progressive des mouvements nationalistes… Au profit des mouvements extrémistes. Epuisés par la crise perpétuelle pour les moins riches, usés par l’insultante opulence des entreprises, les citoyens se mirent parfois à rejoindre des groupuscules terroristes, usant de sabotage, d’assassinat et de prises d’otages pour faire entendre leurs voix. Seulement, les entreprises ciblées s’étaient peu à peu substituées aux gouvernants fantoches. Privatisation des services de sécurité, des prisons, et même de la protection intérieure, la nouvelle police était donc un outil à la solde des oligarques, et plus au service de la cité. La répression se fit plus forte, mais aussi plus étouffée par la censure de fait des médias, tous détenus et contrôlés par ces mêmes entreprises. On ne s’étonna même plus quand un consortium prit le contrôle simultané des trois grandes chaînes de télévision, celui du plus grand fournisseur d’accès au réseau, et emporta l’appel d’offres de gestion d’une nouvelle cité prison. Transversal autant que vertical, l’entreprise devint plus signifiante en tant qu’identité sociale qu’un quartier ou une adresse.

Pervers, profondément ancré dans tous les modes de communication, la démagogie économique et la censure des idées rendit presque impossible toute forme de libre arbitre. Abreuvés par la publicité omniprésente, les gens n’étaient plus que des clients, prêts à se battre pour le dernier produit à la mode, mais incapables de se rendre aux urnes. « Dormez tranquilles » pouvait-on entendre dans une campagne pour un somnifère. Dans cette atmosphère de paranoïa justifiée par l’explosion de la vidéosurveillance automatisée, les suicides finirent par faire plus de victimes que les accidents de la route. Pourtant, une forme latente de résistance apparut, pourrissant de l’intérieur les outils supposés nous observer. Campagnes de publicité pirate, marché noir de la culture, appareils électroniques modifiés pour y supprimer les processus de surveillance, ce fut la naissance de la nouvelle sous culture, celle du piratage militant. Plus les médias déclarèrent criminels ces actes de rébellion, plus ils devinrent un mode de vie. Ne plus être prisonnier du câblage de son employeur, c’était déjà redevenir un peu plus libre que les autres !

Aujourd’hui, nous arpentons les coins sombres, à l’ombre des buildings délirants. Nous communiquons sans que ces dictateurs en costume puissent y faire quoi que ce soit. Sans code vestimentaire, sans code d’identification, nous nous reconnaissons malgré tout, et nous agissons de concert pour saper ce matraquage et ce contrôle mental du peuple. Chaque jour, une action, aussi petite soit-elle, s’ajoute à une autre. Nous attaquons, jouons nos vies pour que le peuple puisse retrouver sa liberté d’antan. Toi qui lis mes propos, toi qui vis dans la mégapole, participe à notre révolte. Sois un acteur de la chute de la dictature économique, communique, instruis toi hors du cadre contrôlé des bibliothèques de ton employeur. Ne regarde plus les chaînes formatées, passe sur le réseau et cherche nous… Tôt ou tard, tu nous trouveras, tu pourras comprendre, apprendre, et découvrir qu’il existe autre chose qu’une société sans dirigeant, qu’il existe autre chose qu’une existence fondée sur le portefeuille. A toi d’agir, en ton âme et conscience !

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