16 décembre 2009

Dégradation du débat

En deux décennies, la notion même de débat politique a été reléguée du statut « d’indispensable discussion pour permettre le progrès » à « scène tragi comique ne servant plus à grand-chose ». A mon sens, le concept de débat n’est plus qu’un pauvre ersatz de ce qu’il devrait être, d’autant plus qu’il s’est vu affublé d’ajouts au mieux inutiles, au pire retors. Qu’on soit convaincu ou pas par un « dogme » politique quelconque, il n’est pas difficile de percevoir la déliquescence médiatique et sociétale de l’importance du débat politique au quotidien.

Je crains que, notamment en France, la vision de la politique au sens large n’ait été volontairement réduite à une vaste scène comique, ceci afin de se débarrasser des questions et des débats qui dérangent. Deux décennies en arrière, les gens n’hésitaient pas (les ouvriers surtout) à défiler, à harceler les gouvernants, quitte à en découdre avec la police. Aujourd’hui ? Ces manifestations sont tournées en ridicule, ou alors si peu médiatisées qu’elles ne pèsent plus dans la balance. Pourquoi je parle de scène comique ? Jusqu’à l’apparition du satirique à la télévision, les débats restaient suffisamment élevés pour offrir aux avertis la possibilité de lire les cartes. Dorénavant, nombre de spectateurs analysent la politique intérieure et extérieure de la France à travers les guignols de l’info par exemple. Est-ce judicieux ? L’humour, la chronique moqueuse peut sembler utile à une démocratie, mais il n’en demeure pas moins vrai qu’il n’existe plus de vraie émission de débat sur les chaînes hertziennes ! Inquiétant, d’autant plus que les seuls débats qui arrivent dans la lucarne sont d’un niveau affligeant : Madame Royal, n’a-t-elle pas perdue toute crédibilité et poids face à monsieur Sarkozy, lors du fameux débat de l’entre deux tours ? Le populisme au service de la cause présidentielle, l’incompétence à charge pour l’autre candidat. Faites vos jeux…

Un second aspect est dérangeant sur l’absence même du débat politique au sein des médias, et par voie de conséquence, dans la population. La désinformation. En moins de deux décennies, les populations mondiales se sont rabattues sur l’Internet pour palier à l’absence quasi-totale d’impartialité de la part des journaux et de la télévision. Guerre d’Irak présentée comme des jeux vidéo (1990), guerre en Somalie présentée comme un spectacle Hollywoodien (1992), le matraquage mondial de la « cause Américaine » (depuis le 11/09/2001), difficile de croire à une honnêteté et même une légitimité de la part des grands réseaux d’information. Se serait-on attendu à des débats contradictoires, des analyses fondées sur le risque d’aller en guerre à l’étranger ? Aucune trace, pas le moindre esclandre médiatique. Au contraire : à chaque étape délicate, l’opinion publique s’est vue réorientée vers le « people », le « star system », quitte à noyer honteusement le poisson. 1998 a été faste… pour le football Français, certainement pas pour la prise en compte de l’opinion publique pour ses institutions.

Et ce fut l’escalade : augmentation graduelle de l’abstention, maintien de l’électorat des extrêmes qui, eux, connaissent l’intérêt de voter en situation de crise (noter le passage d’Adolf Hitler grâce à l’abstention pour saisir tout le risque du refus de vote), et surtout effondrement des organes politiques historiques, comme celui du PCF. Point culminant du naufrage : les élections de 2002. Quoi qu’on en dise, la France était très malade, et elle l’est toujours autant. Monsieur Le Pen s’est retrouvé au second tour non parce qu’il était plus attirant qu’un Jospin ou un Robert Hue, mais juste parce qu’une part non négligeable de l’électorat de gauche a choisi soit l’abstention (méthode Coué : « Même sans mon vote, il sera élu »), ou le vote contreproductif (« Faisons les chier, de toute façon Le Pen ne passera pas le premier tour »). Miracle ou désastre de la démocratie ? Tout dépend qui regarde, mais encore une fois, pas de débat important, si ce n’est les manifestations pathétiques de ceux qui n’avaient pas fait leur devoir civique, et qui se plaignaient de la présence de Le Pen sur l’échiquier ! Ah ça oui, c’est plutôt ennuyeux quand on a une sensibilité de gauche, de devoir choisir entre Chirac et Le Pen… Et ce constat n’est pas terminé pour autant !

2007 : le futur président Nicolas Sarkozy ratisse large, use du populisme le plus grossier, et s’adjoins même des sympathies dans l’opposition en formulant l’envie de prendre dans son gouvernement « toute personne compétente. La couleur politique ne présume pas de la compétence ». Ainsi Kouchner qui fut lynché par ses camarades de gauche pour « haute trahison ». Des débats ? Ah ça oui, un seul : l’entre deux tours. Ridicule, lamentable, indigne d’un futur président. Mais là ne s’arrête pas le problème, au contraire. A l’annonce de l’élection de Nicolas Sarkozy au poste de président, des émeutes ont éclaté en France avec incendie de poubelle et dégradations en pagaille. Résultat ? Plébiscite de la politique sécuritaire du nouveau président qui s’est vu légitimé dans son rôle de « nettoyeur au Kärcher des banlieues ». La revendication ? Le débat ? Aucune trace en amont, rien qu’une réaction d’incendiaire, de violence gratuite, propre à conforter les opinions les plus dures des gouvernants.

Depuis l’élection, nombre de lois se sont alignées à l’assemblée nationale, et ce ne sont que les derniers gardes fous du système (sénat et conseil d’état) qui freinent l’action liberticide. Force est de constater que peu d’intervenants se sont opposés à la détention de protection de madame Dati, que la foule n’a pas été motrice dans une action coordonnée contre la censure et le contrôle d’Internet, et qu’à aujourd’hui les partis de petites tailles disparaissent corps et biens. Le constat est alarmant : la diversité politique Française qui va de l’extrême gauche rouge à l’extrême droite nationaliste se réduit peu à peu à la bipartie à l’américaine. PS contre UMP ? Et les autres ? Le PCF n’est plus qu’un corps exsangue avec des militants de plus en plus datés, la NPA n’apparaît que par « l’aura » de monsieur Besancenot, mais sans poids réel, et même le FN commence à pâtir sévèrement de l’inévitable mise en retraite de monsieur Le Pen. Je suis encore plus inquiet par l’effondrement même de l’opposition, c'est-à-dire le désastre du PS avec ses trop nombreuses têtes d’affiche, l’excès d’ambition de chacun d’eux, et la perte même de l’essence qui faisait le parti socialiste. Le PS au pouvoir ? Un parti de gauche faisant une politique de droite.

Des solutions ? Tant que le débat sera volontairement rabaissé au niveau de la presse people, et que le peuple s’en contentera, il ne sera fait aucun retour en arrière. « Nul n’est censé ignorer la loi » me semble fort à-propos en l’appliquant sous la forme « Nul n’est censé ignorer ce qui se passe dans sa nation ». On ne peut décemment plus tolérer de trouver plus d’informations complètes sur la politique Française dans les médias étrangers que dans les médias nationaux ! La France, sous ses dehors de « démocratie » (les gens sont convaincus de cela… effrayant), pratique une politique envers les médias nous plaçant au 44 eme rang mondial concernant les libertés de la presse. Cela laisse songeur, non ? Réfléchissons ensemble : l’indispensable confrontation des idées doit se faire dans les grands médias, et pas uniquement lors d’apparitions des élus sous la forme de véritables shows publicitaires. Tout récemment, monsieur Chirac a été invité sur le plateau d’une émission de télévision animée par Michel Drucker. Intérêt ? Néant. Informations ? Néant. Résultat ? Publicité et conformisme à outrance. Le « bien penser » est une norme, essayons de la fuir !

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