09 novembre 2009

Souviens toi, souviens toi.

Je reprends le commentaire de « V », héros révolté et révolutionnaire du film « V pour Vendetta » que j’ai déjà chroniqué. C’est un des plus grands films sur le courage, l’oppression et la révolte. Bien qu’il y ait eu toute une population incrédule qui a traité le film comme un sous produit de la culture DC Comics, je l’estime comme étant très représentatif d’une mémoire éludée et tronquée. Les gens n’aiment pas qu’on leur montre qu’ils sont dociles et avilis, ils n’aiment pas qu’on leur jette en pleine figure leurs tares et leurs lâchetés quotidiennes. J’aime ce film pour ce poing dans la gueule… Mais j’y pense, aujourd’hui, c’est jour de mémoire, jour de repentance pour les européens ! On fête les vingt ans de la chute du mur, et nombre d’états se font fort d’en parler, voire même d’organiser des cérémonies ! Et songer à la minute de silence pour toutes les victimes de la guerre froide ? Quelqu’un va y penser ?

Souviens toi, peuple sans mémoire, adolescence sans orientation morale, souviens toi qu’il n’y a pas si longtemps tu te devais d’être silencieux et soumis, obéissant à un dogme politique sans fondement. Jeunesse, demande à tes ancêtres ce qu’ils furent, ce qu’ils firent en leur temps. Les jeunes n’ont pas le droit à la parole dans la plupart des pays du monde parce que c’est la parole de la candeur, celle qui demande sans hésitation « pourquoi ». Le pourquoi, c’est la seule chose qui puisse mettre mal à l’aise n’importe qui, c’est ce qui pèse le plus lourd dans les actes. Le où et le quand ne sont que jalons, seul le pourquoi est essentiel. Si l’on explique, on peut comprendre, si l’on justifie, c’est déjà un peu assumer ses actes. Or, combien assument réellement ? Combien font la démarche de se regarder en face ?

Les miroirs ne jugent pas, ils reflètent sans pitié ce qu’on leur présente. Les yeux de nos enfants sont notre miroir personnel, impossible à camoufler ou à déformer. Ils aiment, ils détestent, avec cette désarmante honnêteté qui peut terrifier même les pires des bourreaux. Il y a de l’inhumanité dans le regard d’un gosse, parce qu’il n’a pas encore eu le temps de pourrir son cœur au contact de l’être humain. Il y a de la froideur dans les pupilles de notre descendance, parce qu’elles n’ont pas encore eu le temps de se réchauffer au foyer doux et malsain de notre conscience. Ne soyons pas lâches, assumons, regardons en face notre monstrueuse humanité, celle qui tue, avilit, bafoue sa propre morale. Nous nous asseyons en premier lieu sur nos propres règles, parce qu’elles ne sont valides que pour soi. Homicide volontaire, guerre, torture, mort, barbarie, nous avons dû créer des mots pour décrire nos maux et nos horreurs. Quand une chose devient ordinaire, on la nomme… et nous osons nous nommer « humains ». Quelle banalité dans notre mensonge et notre force d’auto persuasion.

Souviens toi, oui, souviens toi de ces pays aujourd’hui oubliés, ou de ceux fraîchement bâtis avec le sang des civils. Souviens toi des prétextes religieux, politiques ou historiques, souviens toi de cette insulte faite aux morts quand on tire à travers les terres des lignes artificielles nommées frontières. Vois comment l’on défigure une capitale en y tirant au cordeau une barrière bien réelle pour une différence artificielle. N’oublie jamais le calvaire de tout un monde qui a eu pour seule raison d’exister celle d’affronter un ennemi aussi temporel que ridicule. Nous justifions l’édification de miradors, la pose de mines, la construction d’armes et de missiles par la peur de l’adversaire. La peur, c’est elle qui efface la mémoire, celle elle qui démolit la conscience individuelle au profit de l’inconscience collective. Au quotidien, nous craignons, tremblons et fuyons car on nous vend la peur : peur de l’étranger, peur de la différence, peur de la violence urbaine, peur du terrorisme. Avoir peur, c’est déjà oublier qui nous sommes pour devenir des animaux dociles et lâches.

N’oublie pas qui tu es. N’oublie jamais qui furent tes ancêtres. N’aie pas honte de leurs actes, assume les avec prestance sans pour autant les revendiquer. Toi, l’Allemand, l’adolescent, tu n’es pas né avec la croix gammée dans le cœur. Toi, l’Africain, tu n’es pas né avec des fers et des armes dans l’âme. Toi, le Coréen, tu n’es pas né soumis à l’étoile rouge. Toi, le Russe, tu n’es pas un Staliniste par ta naissance. Toi, l’Américain, tu n’es pas impérialiste par tes gènes. « Remember, remember » dit V en songeant à la révolte, en songeant à la sanction de celui qui s’est révolté et qu’on oublie. Ne cautionnons pas par l’oubli, n’admettons pas l’inadmissible de la perte de mémoire. Les Allemands vont se souvenir aujourd’hui, ils vont faire la veillée de la renaissance d’un état unique, d’une capitale réunifiée. Nous, il est de notre devoir de se souvenir de notre passé commun, et pas uniquement celui de notre nation, mais celui de l’humanité. Oublier, c’est offrir aux bourreaux le repos. Oublier, c’est donner la chance aux dictateurs de prendre pied dans nos nations. Oublier, C’est enfin accepter que le passé n’ait pas servi de leçon. Est-il possible d’oublier ? Nous avons pour habitude d’inhumer sous le marbre nos morts. Nous gravons sur la pierre des noms, des dates, et même des explications. Alors, pour ceux qui ont la mémoire courte, regardez les vains monuments aux morts, les inutiles stèles qu’on fleurit, parfois, parce qu’on se doit de le faire.

Le 11, on fleurira la pierre des mausolées à la « gloire » des morts de 14-18. Ils ne sont pas différents de ceux tombés avant, après, en ce moment, à tout jamais. Ils sont notre mémoire, notre honte collective, celle de devoir en venir au sacrifice de la vie pour que la Vie, justement, puisse continuer.

Souviens toi, souviens toi…

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