21 octobre 2009

Anticipation et désastre écologique

Cela fait quelques temps que je n’ai pas usé de ma plume pour rédiger une nouvelle, d’autant plus que c’est un format acrobatique et dangereux. En effet, ne me relisant quasiment jamais avant publication, je suis toujours susceptible de me tromper dans la trame, ou d’en perdre le fil au fur et à mesure de la rédaction. Là, je ne sais pas trop pourquoi, j’ai envie de me relancer un peu dedans… Donc, bonne lecture !

Ce monde nous appartenait.

Nous l’avions traversé d’un pôle à l’autre, exploré jusqu’au moindre de ses secrets, cartographié tant et si bien qu’il n’y eut plus rien à découvrir. Nous y avons appris à vivre, grandir, respirer et aimer. Sous son ciel tantôt azur, tantôt grisonnant, nous y avons subi les colères de la nature et appréciés les miracles de la Vie. Ce monde, c’était le nôtre, nous le partagions tous, sous ce même soleil, ces mêmes nuages, parfois à l’ombre d’un chêne, parfois allongés sur du sable brûlant. Et ce monde, nous l’avons réduit à néant, lentement, inexorablement.

Nous savions. Nous avons fait mine d’ignorer les signes. Les yeux clos sur la réalité, nous ne nous sommes pas arrêtés dans notre course, lancés à toute vitesse vers le néant. Quel néant ? Nous nous moquions des conséquences, comme si elles seraient mieux gérées par notre descendance. Qu’ont faits les héritiers des précédents ? La même chose, les mêmes désastres, les mêmes échecs. Peu à peu, le ciel devint uniformément gris. Les gens firent leur parti de ce changement, et apprirent à vivre avec la pollution constante. On se mit à accepter sans difficulté le fait d’aller dans la rue avec un masque, on ne se rebella plus quand on décréta que les allergènes végétaux devenaient trop dangereux pour la santé publique. A force d’aseptiser notre vie, l’humanité devint plus sensible que jamais au monde extérieur. Asthme, toux persistante, problèmes cutanés, chaque chose se dût d’être stérilisée et contrôlée. Et personne n’en vint à se plaindre quand, lentement, de grandes forêts naturelles furent remplacées par des arbres génétiquement modifiés. Soi-disant moins nocifs, ces hybrides se révélèrent toxiques, rejetant toute biodiversité à travers une sève acide et nocive. De loin, la canopée verte prit de l’ampleur, en dessous, de grands déserts de pénombre sèche et hostile.

On se prit de goût pour l’écologie. Quelle écologie ? Nous remplaçâmes temporairement le pétrole par des biocarburants, ceci au prix de surfaces agricoles monstrueuses. La terre fut appauvrie et devint de fait aride et stérile. Ensuite, on se rabattit sur diverses technologies, depuis le solaire en passant par les nanomachines, jusqu’au retour incroyable à la traction animale dans les nations les plus pauvres. En vain. Les bouches à nourrir se multiplièrent, mais pas les ressources. La faim, les changements climatiques majeurs chassèrent des millions de personnes, créant ainsi les premiers réfugiés écologiques. Des conflits éclatèrent entre les pays, ceci pour décider du devenir de ces populations poussées au nomadisme par notre incurie à tous. D’escarmouches frontalières des guerres naquirent, allant jusqu’à user d’armes qu’on supposait disparues ou proscrites par la morale : gaz de combat, armes bactériologiques et même l’atome. Les zones autrefois fertiles et riches en eau devinrent alors inhabitables, irradiées pour des siècles. On parla alors d’apocalypse, mais il n’en était rien. Nous ne faisions que passer le premier des cercles de l’enfer.

De grandes entreprises se substituèrent aux gouvernements devenus impuissants. Le pouvoir des sciences et de l’argent prit le relais des pouvoirs politiques. Ils imposèrent le rationnement, la fermeture des frontières, ainsi que des marchés de dupes. Le tiers monde devint alors la norme, et les riches se réfugièrent dans des cités prison, bien à l’abri derrière du béton et des armes. La mort d’un humain ne menait plus à rien d’autre qu’à de l’indifférence. Les régions les plus dévastées virent le retour d’un fonctionnement tribal, de zones sans police ni loi où chacun pût décider du sort d’autrui à sa guise. Cependant, les plus puissants estimèrent qu’il n’y devait pas avoir de zone de non droit, leur droit à eux. Des armées privées se lancèrent à la chasse de ces nouveaux nomades, ces errants en quête de nourriture et d’un futur plus clément. L’éradication devint, elle aussi, une norme de combat. Les conventions internationales furent annulées, et la brutalité devint force de loi. Il n’y eut pas de prisonniers pendant ces conflits.

Les années passèrent. Les gens des villes prison devinrent de plus en plus méfiants, traitant les gouvernants avec circonspection et crainte. Lentement, la haine des opprimés prit le pas sur la soumission, et le terrorisme suicidaire apparût dans des pays où l’on aurait, quelques décennies auparavant, eut honte d’user de telles méthodes. Bombes humaines, sabotages, endoctrinement des masses laborieuses, tout fut utilisé pour lutter contre la dictature financière et paramilitaire des oligarchies. Nombre de villes autonomes s’effondrèrent et sombrèrent dans le chaos des violences urbaines et des pillages. Avoir une arme à feu devint aussi naturel qu’avoir un téléphone portable, et tuer pour sauver sa vie une obligation. Ces villes furent classées comme « jungle ». Certaines de ces cités devenues folles furent rasées. En une seule fois. En un dixième de seconde. Ce fut le troisième conflit mondial, celui de l’humanité contre l’humanité. Les pays ayant choisi de préserver un mode démocratique furent assaillis par les réfugiés, et durent s’adapter pour absorber ce surplus de population. De là, des pays se déclarèrent mutuellement la guerre, les uns à cause de la fuite de leurs habitants, les autres pour protéger les fuyards. En deux ans de conflit, le monde perdit 70% d’être humains, et 85% des terres émergées furent classées « impropre à la vie ». Impropre à la vie ? A toute forme de vie. Ces terres furent les nouveaux déserts. L’anéantissement total à ras du sol créa un phénomène étrange, celui des grands vents. Ces étendues étaient balayées par des vents dominants, levant des millions de tonnes de poussière allant obscurcir le ciel. Sans soleil, la photosynthèse diminua dans le monde entier, entraînant des famines sans précédent. L’hiver nucléaire, le cauchemar absolu. La population terrestre diminua à hauteur de moins de 500 millions.

Les communications mondiales avaient disparues, chaque pays choisissant l’autarcie pour survivre tant bien que mal. On usa et abusa des ressources maritimes, par espoir d’y trouver le salut. Temporairement, le monde des humains se crût non plus à terre mais à genoux. Seulement, en quête d’un toujours plus jamais assouvi, la pêche, la surexploitation côtière créa les mêmes phénomènes que sur les terres : épuisement, pénurie, et la faim. Les efforts démesurés de certains pouvaient être anéantis en quelques heures soit par les retombées de poussière, par les changements brusques de météo, ou encore par les pluies acides qui pouvaient tuer un homme en quelques minutes. Du masque contre la pollution, l’homme passa aux combinaisons étanches, même pour planter un pied de tomate.

On se réfugia sous terre, créant des termitières en attendant un hypothétique retour à la normale en surface. Nombre de scientifiques usèrent des derniers progrès pour tenter de reconstruire le monde tel qu’il fut, en vain. Il ne restait plus rien ou presque, si ce n’est de vastes cimetières de béton, cercueils gigantesques pour l’humanité vouée à disparaître. Certains exploraient le « en haut », croisant parfois un animal sauvage, ou un insecte, mais jamais plus de prairies, de forêts, ou encore d’étendues d’eaux salubres. L’homme avait tué la vie, aussi définitivement qu’il s’était condamné à l’errance éternelle. Un projet vit le jour, ceci après 75 ans de carnage ininterrompu. « Renaissance ». Que d’espoirs il portait ! Le monde entier s’était mis d’accord pour partager ses connaissances, et chacun donna un peu de son temps à l’accomplissement de cette tentative de la dernière chance. On préleva de l’ADN dans les herbiers, sur les animaux empaillés, sur les squelettes de musées sauvés des flammes, et, chaque jour, on programma des zones de réimplantation. Des milliers d’espèces, des millions de combinaisons, des milliards de cellules et de nanorobots se préparèrent à recoloniser une terre désertique. Certains objectèrent que nous n’avions pas à nous prendre pour Dieu. Nul n’écouta ce conseil.

Nous avons rejoint la surface. Deux décennies après renaissance, nous pûmes à nouveau respirer à l’air libre, nous croyant sauvés. On fêta avec ferveur ce miracle. Sauf que de miracle ce fut une autre forme d’horreur qui nous attendait, nous autres humains stupides et orgueilleux. Dans notre souci de recréer le monde, nous avons ajoutés une donnée dans la recréation biologique : celle d’auto préservation. Ce monde que nous avions massacré devint notre bourreau. Plantes non comestibles, insectes aux poisons mortels, poissons prêts à nous dévorer, nous étions les proies et plus les prédateurs. La nature se vengeait. On relança alors une modification massive du système, pour corriger cette ineptie.

Aujourd’hui, nous survivons. Lors de la première renaissance, la population mondiale fut réduite à moins de 150 millions d’habitants. En dessous, il y a encore des cités qui tentent de prospérer, vivant de soja et de céréales transgéniques. La viande n’y existe plus, on y fabrique des simulacres d’aliments à travers le conditionnement et les arômes reconstitués. Moi, j’arpente les ruines de cités aux noms qui me sont inconnus. J’y cherche des objets, des reliques et même des technologies qu’on aurait peut-être oubliées dans notre fuite. Nous sommes en Octobre 2109, il fait affreusement chaud. J’ai de la chance, la région a été revisitée par la dernière vague de reformation génétique, les animaux n’y sont pas trop hostiles.

Livret de bord de l’explorateur Matricule 184-AA-69874.

1 commentaire:

Thoraval a dit…

Ce Monde ne nous a jamais appartenu, JFPALF. Deux humanités l'ont simplement cru entre deux grandes précessions d'équinoxe. La deuxième est la nôtre.
Attends encore un peu et tu ne seras plus obligé d'écrire les maux de l'Humanité. Elle n'existera plus. Qui sait, peut-être que tes écrits survivront et que tu seras le prochain ecclésiaste ("Celui qui s'adresse à la foule") de l'Âge à venir. Ce qui serait sans doute un bon départ pour les survivants.