21 septembre 2009

Héroïsme

Je l’avoue, je n’ai pas vérifié si j’ai, ou non, déjà abordé ce thème. Peut me chaut en fait, car il y a certaines qui doivent être répétées sans cesse de sorte que, peu à peu, cela puisse se graver dans l’esprit du tout à chacun. Partant d’une publicité télévisuelle pour Internet par Orange, j’ai trouvé très judicieuse l’idée de mettre en perspective le même mot pour deux situations distinctes. La plus belle des réflexions est sur « un combat » : d’un côté, un ring, de l’autre une femme réapprenant à marcher. Me concernant, je suis toujours ému par l’héroïsme. Attention, je parle bien d’héroïsme, l’anonyme, le vrai, pas celui qui, sous couvert de patriotisme puant finalement le nationalisme et le fascisme à plein nez, nous vend le courage et l’abnégation de nos soldats. L’héroïsme, c’est quelque chose qui est ordinaire, qui se doit de l’être, et qui ne nécessite pas la fanfreluche ou les honneurs.

Quand le commun des mortels songe au mot héros, il voit immédiatement un bidasse étripé soutenant ses camarades en sacrifiant sa vie. Alors, n’est-ce pas de l’héroïsme d’être un père ou une mère célibataire ? N’est-ce pas là du courage et du sacrifice quotidien pour que ces enfants aient le droit aux mêmes chances que les autres ? J’ai en horreur ces clichés modelés par l’imaginaire hollywoodien, je hais l’idée même que tout peut être ramené à des conflits. Chaque matin, cette fille mère se lève pour aller travailler. Chaque soir, elle prend soin de son enfant sans réfléchir à elle-même. Et souvent, on lui reproche d’être seule, d’avoir enfantée trop tôt, d’être une irresponsable et j’en passe… Et vous, les couples propres sur eux, ces salauds ordinaires qui tabassent leurs gosses, qui tiennent ouvertement des propos racistes, n’êtes-vous pas la lie que l’on devrait écumer sur notre société déjà trop mal en point ? Audiard avait raison : « Mieux vaut fermer sa gueule et passer pour un con… que de l’ouvrir et ne laisser plus aucun doute à ce sujet. »

Pour nous, valides, heureux d’être sains de corps, probablement à peu près sains d’esprit (et encore, j’en doute fort vu le niveau inqualifiable atteint par l’éducation nationale et les lettres de motivation en entreprise… bon passons), donc nous, êtres ordinaires, nous pouvons à peine observer ce qui nous entoure. Marcher n’est pas un calvaire, parler est banal, et lire semble tout à faire naturel. Quid des écorchés de la Vie, de ceux qui, par naissance ou par accident, découvrent ce que c’est d’être immobile, ou prisonnier dans un mutisme involontaire ? Nous ne les voyons que trop rarement, nous les observons de loin avec condescendance, et surtout l’ignoble soliloque insultant du « Les pauvres ». Salauds, quels pauvres ? Ne méritent-ils pas d’autant plus le respect qu’ils font l’effort de vivre malgré tout ? Je croyais que traiter l’handicapé en paria n’était plus. J’avais tort. Nous stigmatisons ces populations en leur jetant au visage leurs difficultés : lieux publics inadaptés, commerces incapables de gérer ces clients potentiels, et je ne compte même pas les lieux de loisir infoutus d’accueillir dignement ces personnes. Oui, ce sont des personnes, pas « ça », ou encore « eux ». Ils SONT, comme vous et moi. Ils pensent. Ils vivent. Et ils sont héroïques de supporter, chaque jour, notre validité et notre total manque de considération pour autrui. Honte à nous.

Les gens portent facilement un regard attendri, mais temporaire, sur le monde. Ah, les orphelinats Roumains, ces enfants de Ceausescu… Choquant et honteux pour l’humanité n’est-ce pas ? Qu’ont ressentis ces laissés pour compte d’un système scandaleux et déshumanisé ? Ils virent les caméras, eurent le droit à l’attention du public. Puis, plus rien. Les caméras parties, les bonnes volontés évaporées, combien s’en sont sortis dignement ? Héros silencieux que ces femmes et ces hommes qui, au quotidien aident, sans relâche ni critique, ceux qui les entourent. Rendre sa dignité à un homme pris au piège par la boisson et la rue, rendre sa stature à une femme battue et souillée par un mari indigne, rendre son envie d’étudier à un gosse condamné au béton des cités ou aux tôles ondulées des favelas, n’est-ce pas de l’héroïsme, ça ? On ne s’en préoccupe que quand la mort les frappe, que quand la situation devient ingérable, que quand la haine prend le pas sur la résignation. Tout ça parce que nous glorifions des statues au lieu de glorifier l’âme humaine.

Et puis il y a ce à quoi nous croyons tous avoir le droit. « Nous » payons des impôts, des taxes et autres prélèvements, et « nous » pensons avoir tous les droits : sécurité sociale, protection des biens et des personnes et j’en passe. Non. Le devoir de chacun, c’est de respecter autrui. Autant l’infirmière a des obligations inhérentes à son métier de soin, autant le patient se doit de la respecter et de la traiter avec honnêteté. « Nous », tous autant que nous sommes, exigeons, plus que nous exigeons de nous-même. En quoi devrait-elle baisser la tête ? Est-elle responsable de notre état de santé, ou de notre accident domestique ? Jamais assez vite, toujours mal fait, voilà ce qui ressort des personnes qui parlent des hôpitaux. Qu’ils aillent donc soigner le pauvre type mutilé pendant un accident de voiture, dix fois dans la nuit rassurer la femme en phase terminale d’une maladie affreuse et douloureuse, ou encore supporter les cris des enfants ayant subi les mauvais traitements de leurs parents indignes. Tiens, plus de candidat pour la gériatrie ou la pédiatrie. Et l’on ose encore exiger quelque chose ? De la même manière, les policiers se voient systématiquement insultés, rabaissés, jamais respectés, mais ces mêmes détracteurs ne se privent jamais de les appeler pour jouer de la délation avec un voisin un tantinet bruyant… au lieu de lui parler calmement avec respect. Sales cons ! Voilà ce que nous sommes, des sales cons, et il est héroïque de nous supporter. Depuis quand un pompier doit-il tolérer d’être lapidé alors que sa devise est « Sauver ou périr » ? Qu’ils périssent, ces cons qui hier les agressaient et qui, ce soir, brûlent dans leur appartement !

J’ai honte de faire partie de l’humanité, non parce qu’individuellement l’Homme peut être magnifique, mais parce que la somme des individualités est une insulte aux qualités humaines.

Aucun commentaire: