20 mai 2009

Petite analyse d’un futur 3.0

Sur fond de crise mondiale annoncée, revendiquée, et instrumentalisée tant pour licencier qu’effrayer la ménagère de moins de cinquante ans, l’avenir proche est pourtant soumis à des critères plus larges que la seule perspective financière. En effet, que l’on soit au Bengladesh dans une case de tôle, ou bien à Paris dans un quartier huppé, les perspectives d’avancées majeures en terme de technologies auront un impact identique. Que l’on ne se leurre pas : l’avenir sera bâti autour et avec la technologie de l’information, et les conflits se déportent déjà sur le domaine de l’informatique et des réseaux, ceci en concurrence directe avec les batailles à coups de canon.

L’actualité ne saurait faire mentir ces affirmations : depuis quelques mois, la Chine s’est « apparemment » (euphémisme de rigueur sans preuve tangible des dires de nos chers grattes papiers) lancée dans un véritable assaut de masse contre les systèmes de l’information des autres nations du monde : USA, Australie, Nouvelle-Zélande, et très certainement toutes les autres nations susceptibles de détenir des données intéressantes se vont vues agressées par le biais de l’électronique. Le piratage à échelle industrielle n’est plus une lubie de maniaque de la science fiction, il s’agit d’une nouvelle réalité qui ne saurait disparaître à coups de bonds technologiques.
Je me dois toutefois de moduler le propos : l’espionnage de l’information n’est pas un fait nouveau, ce sont les méthodes et l’ampleur des résultats qui le sont. Echelon, célèbre système d’écoute des satellites, ne date pas d’hier, mais plutôt de trois voire quatre décennies. A l’heure de l’usage de la fibre optique, les moyens changent, pas les méthodes dans leurs concepts : écouter, trier, et finalement… savoir. En tout état de cause, Echelon remplit au jour le jour son rôle d’oreilles des USA (à travers des installations disséminées sur nombre de nations du Commonwealth et de pays adhérents officieusement au système), et leur offre une certaine suprématie sur la quête et la connaissance de l’information. Nous sommes donc potentiellement sur écoute, potentiellement surveillés dans nos activités, et donc finalement potentiellement considérés comme des agents d’une subversion quelconque. Tenez, avec mes propos, m’est avis que j’ai sûrement été lu à mon insu, analysé et … raillé dans mon impuissance de râleur indépendant.

Revenons donc au futur : à aujourd’hui, la donnée n’est pas encore totalement fondamentale. Quoi qu’on en dise, nous sommes encore tributaires du papier, du traitement manuel, de la lecture et de l’interprétation humaine. A un horizon pas si lointain, la donnée va, et sera forcément, l’élément le plus important du quotidien. Au sens large du terme, la donnée unitaire recouvre finalement tous les périmètres possibles et imaginables : téléphonie numérique, télévision quittant l’antédiluvienne technologie hertzienne, informatique, jeux vidéo, presse sur le network, enfin bref, tout va être réductible à une série de données enchaînées les unes aux autres. Bonheur de l’interopérabilité des systèmes ? Imaginons un peu ce que c’est, l’interopérabilité, ceci par l’exemple : vous vous levez, et vous voulez un café. Le réveil sonne, et, connecté au réseau local de votre habitation, informe que vous avez interrompu son cri strident. La cafetière démarre donc pour vous mettre une tasse à disposition, tandis que la climatisation rectifie la température ambiante, ceci pendant que les stores s’ouvrent pour laisser filtrer la lumière du jour qui naît. Une fois le petit déjeuner, la douche et l’habillement finis, vous quittez les lieux sans fermer à clé. Votre téléphone portable, en s’éloignant de la maison, prévient que vous quittez le périmètre. Les lieux se voient donc verrouillés, mis sous surveillance de l’alarme, les éventuels appareils électriques ou lumières oubliés s’éteignent pour économiser de l’énergie. Qu’en pensez-vous ? sur l’aspect domotique pur et dur, un vrai petit plaisir de vous débarrasser des corvées, mais quid de votre vie privée ? Hé oui, qui dit donnée dit stockage, donc historique de vos faits et gestes, avec, à terme, la capacité pour nombre d’entreprises d’analyser vos mouvements pour en tirer des habitudes de consommateur potentiel. C’est déjà un peu le cas avec la publicité ciblée sur le web, mais dans une moindre mesure heureusement.

Ce premier abord n’est qu’un survol de la vie chez vous, maintenant poussons le vice au-delà : publicité modulaire détectant votre présence, analysant votre identifiant unique de téléphonie mobile, et vous restituant vos favoris Internet, ainsi que de la publicité supposée vous correspondre. Lieu de travail : gestion pointue des horaires, analyse de vos mouvements dans les locaux, et ainsi optimisation du positionnement des équipements pour réduire au maximum les délais. Tout serait donc lié à vos données, vos informations… votre vie. L’état civil est au courant de la naissance de votre fille ? Alors comment diable cette société qui vend des layettes est au courant ??? Cela vous semble caricatural, mais réfléchissez à une chose déjà existante, et heureusement pas exploitée car interdite : lorsque vous faites des achats, vous usez souvent de la carte bleue. Donc, au moment du passage à la caisse, chaque référence produit est lue, et l’information stockée pour gérer les quantités vendues. Lions donc ce que vous avez mis dans votre caddie et votre carte bleue : après quelques mois de consommation, n’importe quelle entreprise pourra déceler que vous aimez boire du vin, que vous achetez souvent des films, que vous avez des couches pour le petit dernier, et qui plus est, que vous recevez probablement souvent vu que vous achetez pas mal de biscuits pour l’apéritif.

Tous ces propos ne restent que sur le domaine de l’économique, passons à autrement plus important et plus grave, nos libertés individuelles. Vous allez sur l’internet comme d’autres se baladent dans les musées. Très bien : les nouvelles lois mises en œuvre contre le piratage permettent également la collecte de vos mouvements virtuels, et donc d’en tirer des profils politiques. Nul n’est à présent à l’abri de la surveillance numérique, et par recoupement il devient dorénavant assez simple de dire qui vous êtes, où vous travaillez, avec qui vous sortez régulièrement. Prenons quelques exemples dissociés, que l’on va regrouper pour en faire une trame de surveillance indirecte. Tout d’abord, prenons votre historique bancaire, ajoutons y un soupçon de sécurité sociale, et enfin couvrons le tout avec l’état civil. Jusque là, nous savons que vous êtes monsieur ou madame X, que vous demeurez à une adresse donnée, et que votre numéro de sécurité sociale est XXX-XXX. Maintenant, recoupons avec qui paie vos cotisations, en l’occurrence votre employeur. Donc monsieur ou madame X travaille pour la société Y, avec un revenu mensuel donné. Fort bien. Suivons maintenant la piste bancaire : vous êtes allés ce mois-ci dans un bar, puis la semaine suivante au cinéma, et avez mangé dans un restaurant. Prenons ces dossiers, recoupons les en terme d’horaires avec tous les clients ayant été client des mêmes lieux que vous. Si une personne ou plus ressortent, c’est donc que, potentiellement sauf hasard grandiose, vous étiez ensemble à table, ou côte à côte dans un fauteuil de velours rouge foncé. Donc : Monsieur X, habitant …., salarié de la société Y, avec pour salaire nnnn Euros, sort souvent avec mademoiselle A, qui elle-même habite à une adresse, travaillant pour quelqu’un… et ainsi de suite. Stupéfiant, non ?

Nombre de personnes se supposent hors de la cible de la surveillance 3.0 qui nous attend. Qu’elles soient rassurées, c’est juste que nul ne sera exclu de la cible, bien au contraire même. Chacun d’entre nous est potentiellement ciblé, ne serait-ce que par principe de précaution. Ces recoupements semblent fallacieux, inexistants en démocratie, et ne sont que du fantasme selon vous ? Alors pourquoi les opérateurs de téléphonie mobile disposent-ils d’un historique de vos déplacements ? Vous ne me croyez pas ? A chaque mouvement, à chaque appel, vous passez de relais en relais téléphonique. De fait, cet historique est soigneusement stocké et exploitable pour les forces de police. Nombre de cas criminels furent résolus grâce à la géo localisation tacite des téléphones portables… mais cela permettrait aussi de dire « tiens, madame Y est restée à l’adresse de monsieur W depuis hier soir ». C’est tout de suite bien moins agréable et discret.

Nombre de personnes finissent aujourd’hui par confondre vie publique et vie numérique. Il faut bien distinguer ces deux modèles sur l’aspect sociologique, et ce contrairement aux affirmations de nombre d’analystes aussi compétents en psychologie que je le suis en biologie moléculaire. La personne numérique et celle physique n’ont de commun que celui qui tape sur son clavier, et rien d’autre. En effet, le web et son pseudo anonymat (en tout cas celui qui est espéré par bien des utilisateurs) permet d’être « différent », et de s’offrir une visibilité ainsi qu’un tempérament aussi fantasmé qu’inapplicable dans le quotidien. Le phénomène Blog et plus récemment Twitter en sont la preuve : je me mets en scène, je décris mon quotidien comme dans un carnet secret, mais accessible de tous. J’ai un coup de gueule temporaire ? Vite un message sur Twitter ! De fait, chacun s’expose volontairement à l’œil observateur et critique de la foule, tout en oubliant que celui qui lit n’est pas forcément lecteur anodin. Vous consommez des substances illicites ? Vous avez des propos injurieux envers les institutions ? Dommage que vous ayez l’indécente bêtise de le faire en live, sur le web, sans même penser un instant à camoufler votre visage ou votre adresse. Des cas d’arrestations sur la foi de vidéos Youtube existent déjà, et il est, à n’en pas douter, certain que la méthode va être de plus en plus exploitée à mauvais escient.

Alors quoi ? Censurer ? Freiner le développement du web et de la donnée pour s’assurer une certaine quiétude numérique ? Certainement pas, la machine est lancée à trop grande ampleur pour prétendre la freiner ou même légiférer dessus. Toute loi créée aujourd’hui sera obsolète au moment de son application, d’autant que les armes choisies seront toujours utiles… pour la génération précédente d’utilisateurs. L’expansion phénoménale du réseau, alliée avec une maturité croissante des utilisateurs, nous amène donc à un futur numérique aussi sombre qu’il peut être très éclairé. En effet, autant l’espionnage du quotidien deviendra un fait avéré et inévitable, autant nous pourrions assister à une nouvelle résistance, celle de l’homme numérique, qui, troquant son uniforme de maquisard pour celui du bidouilleur fou, viendra saboter les systèmes de surveillance, tentera de fédérer une riposte à l’assaut des espions, et fera probablement transiter ses informations vers tous ceux intéressés par le pourquoi de la surveillance. Le terrorisme numérique est encore du domaine du fantasme d’amateur, mais cela ne saurait être une idée à rejeter dans les années à venir. Il est plus que probable que les grands groupes de la finance, les sociétés les plus impliquées dans la mondialisation, seront des cibles de choix pour celles et ceux décidés à casser le modèle ploutocrate vers lequel nous tendons actuellement. D’ailleurs, c’est aussi pour cela que nombre de solutions viables économiquement apparaissent en riposte au tout payant : systèmes d’exploitations communautaires, ouverts et libres, outils gratuits (ou tout comme, ceci à travers des méthodes rigolotes et décalées de paiement tels que la fourniture d’une pizza commandée par le net en échange d’une clé de licence du produit), mais aussi explications et méthodes pour trouver un anonymat « plus grand » sur le réseau, hébergement décentralisés, réseaux de partage… et j’en passe. Avec l’explosion de l’offre d’information sur Internet, tant le quidam que le surveillant vont devoir apprendre, prendre pied sur la montagne des données, et ainsi identifier comment surveiller… et comment bander les yeux au voyeur.

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