08 mai 2009

Le dernier jour du dernier mois de la dernière année de ma vie.

Ce texte m’a été inspiré par la date du jour, ainsi que par la vision de nombre de documentaires diffusés à cette occasion. Le 8 Mai, jour symbolique où les combats cessèrent, où la mort décréta que sa moisson de vies devait prendre fin en Europe, où les portes grillagées des camps furent montrées dans le monde entier. Nous, génération bénie de n’avoir pas combattue, nous, enfants d’une Europe exsangue, nous ignorons totalement le sens des mots victoire et défaite. Pour nous, cela se résume généralement à un score d’un match de football, ou bien au résultat d’un tournoi entre gamins réunis pour s’amuser. Celles et ceux qui connurent l’enfer terrestre du conflit mondial peuvent témoigner à quel point notre monde pouvait plonger dans l’horreur.

Il est facile de se représenter l’esprit du vainqueur, celui qui, fièrement, peut dresser son drapeau et hurler sa joie. Il est évident de sentir la joie élémentaire de l’épouse qui sait que son mari reviendra sous peu… Mais qu’a donc ressenti cet homme qui a dû se rendre ? Qu’a-t-il donc bien pu éprouver quand on lui a annoncé la reddition sans condition, la chute de son étendard ? Qui peut prétendre ressentir et exprimer cela par des mots ? Je n’ai pas cette prétention, je n’ai pas cette hypocrisie de me croire capable d’éprouver une telle douleur, toutefois, par respect pour celles et ceux tombés, quelque soit leur nationalité, leur religion, ou leur parti politique, je tiens à raconter ce que j’ai ressenti en voyant certains visages usés, fatigués et qui gardèrent pourtant cet éclair de volonté dans le regard.

A vous tous, combattants passés, présents, et avenirs, je pense à vous.

Cessez-le-feu, drôle d’expression n’est-ce pas ? Elle est supposé nous dire à tous que l’on arrête juste de tirer, en se demandant comment l’on va se mettre d’accord pour mettre fin à une guerre. Je devrais être heureux, ravi même de déposer ce maudit fusil sur le grand tas créé à cet effet. Je devrais être enchanté de me débarrasser de cet uniforme avec cet aigle, symbole d’enfer et de souffrances. Et pourtant, je suis là, j’observe, incrédule, la foule de mes camarades qui s’alignent face aux soldats bolchéviques qui nous insultent et nous conspuent. Tous, nous sommes las, épuisés, mais tous nous avons résistés jusqu’ à la dernière extrémité face à ce que notre état déclarait être « l’ennemi mortel ». L’ennemi est toujours mortel, la mort est toujours définitive, on ne négocie pas plus avec la Mort que l’on tergiversait avec la Gestapo. Ai-je été un nazi ? Je n’ai pas adhéré, pas plus que ces millions de soldats forcés à se lever en masse pour sauver notre « Grande Allemagne ».

Ils sont tous sales, certains pleurent, nombreux sont ceux qui ne sont que des gamins tout juste sortis des jeunesses. A leurs yeux, je passais pour un père, voire même un vieillard tant notre écart d’âge est monstrueux. Moi aussi, je suis souillé de boue, moi aussi je dois probablement sentir mauvais. La seule chose qui nous distingue c’est que je ne suis plus imberbe. Je fais alors la queue, comme tout le monde, me mordant les lèvres de lassitude et de rage. Voilà quoi ressemble donc Berlin, voilà le but final des fous du Reich. Des ruines, des pleurs, des morts, des sans-abris, des femmes hurlant de folie, des gosses courant et cherchant refuge comme des rats traqués. Ca et là traînent des douilles, ça et là on retrouve des restes déchiquetés. Un peu plus loin, le brasier continue à ronger les immeubles, mais personne ne semble s’en soucier. Après tout, l’Allemagne paie sa brutalité au juste prix de la vengeance.

Cinq ans, cinq longues années à marcher, encore et encore, à porter ce barda, à sentir mes bottes tour à tour s’engluer de glaise, s’alourdir de neige, durcir par le gel, et me brûler en été. Où sommes-nous à présent ? Nulle part, dans les ruines, dans les flammes, dans la poussière des immeubles réduits à néant. Je n’ai jamais porté quelque espoir que ce soit concernant nos conquêtes, pas plus que je n’espérais un meilleur avenir pour nous tous. Que de voix furent silencieuses quand nous fûmes tous pris dans la spirale de la violence et de la xénophobie, que de penseurs s’allièrent à la barbarie pour être vus et connus. Chacun doit, paraît-il, assumer sa part de responsabilité dans une guerre. Quelle est la mienne ? Les vainqueurs en décideront, ils verront mes galons, ils verront mon âge, jugeront à juste titre que je suis un vétéran. Vont-ils m’accorder le pardon ? Me garder en vie ?

Je n’ai pas honte de ce que j’ai fait. Je n’ai pas été meilleur ou pire que ceux en face, je n’ai pas à regretter ces instants de combat, sous le feu et l’acier. Ils furent mes frères, mes camarades. Nombreux sont morts, leurs corps disparus dans des champs anonymes, d’autres mutilés à jamais par un éclat ou une balle criminelle. Vais-je pleurer sur mon sort ? Je suis encore vivant, en ce jour de fin de combat. Nous avons baissés les armes, ils sont là, prêts à décider pour chacun de nous de notre sort final. Des remords ? J’ai bien celui d’avoir vu trop d’enfants mourir un fusil pour un idéal qu’ils ne comprenaient pas. On leur a inculqué une foi religieuse dans le Führer, on leur a bourré le crâne de chants patriotiques. Et moi de devoir prendre leur plaque d’identité pour avertir leurs familles… Quelle infamie ! Certains étaient en âge d’être un fils pour moi.

Je me sens trop vieux pour tout cela, trop vieux pour pleurer comme un gosse dépité, trop vieux pour craindre un châtiment. J’ai donné mon sang, mon corps porte les stigmates d’un sacrifice perpétuel et infâmant. On a marchés côte à côte, tous, le visage droit, l’œil vif, la main assurée sur les crosses de nos armes. Parfois, nous chantions des marches qui, demain, seront taxées de racistes. Et elles l’étaient quelque part. Mais nous étions un corps, une famille, des frères, des amis, prêts à périr les uns pour les autres. En cela, j’éprouve une grande fierté d’avoir servi, non sous la croix gammée, mais avec eux.

J’ai dit que je ne regrettais rien. C’est faux, je regrette simplement d’avoir vécu tout cela. Jamais je n’aurais voulu voir mon pays réduit en cendres, jamais je n’ai désiré sentir l’odeur âcre des corps qui se consument. Jamais je n’ai fantasmé sur le bourdonnement des bombardiers nous pilonnant jour après jour. Et jamais, non jamais je n’ai éprouvé l’envie de donner la mort à quiconque. Mon cœur que je croyais lui aussi mort au combat se serre à présent. Sans cérémonial, j’ai balancé ma mitraillette, jeté au diable mes cartouches, défait mon ceinturon, puis ôté mon uniforme pour l’empiler sur le tas trônant avec vanité devant moi. Je ne suis pas humilié individuellement, j’ai perdu cette notion de dignité quand j’ai tué pour la première fois. Non, j’ai honte collectivement, honte d’avoir été le bras armé de crimes innommables, honte d’avoir perdu face aux envahisseurs, honte enfin d’avoir à me rendre au lieu d’être tombé comme tant d’autres.

Si je suis fusillé, alors c’est que j’aurais été traité en criminel. Si je suis mis en détention, c’est qu’on m’aura estimé pas assez grand ou intéressant pour mériter le poteau… et que ferai-je si je suis libéré ? Où aller ? Vivre dans les ruines ? Vivre dans la rue ? Souffrir de malnutrition ? Devoir se battre pour de l’eau ? Encore une nouvelle guerre, celle des civils, celle des victimes de notre folie à tous…

2 commentaires:

Thoraval a dit…

Prenant aux tripes, tu vois et écris juste sur le ressenti que durent avoir ces gens. J'aime ta remarque sur le bon côté ou le mauvais côté du combattant. D'idée générale, avec laquelle je suis d'accord, c'est que le nazisme est une chose exécrable. Mais, j'accuse aussi les "bons" d'avoir laisser faire. Et je pense que cette lâcheté a fait autant de morts que les foudres de la croix gammée.
Mais les victoires effacent les lâcheté et les défaites accusent le courage. Je fais de la provocation, mais ceci n'est pas dénué de bon sens. Maintenant, si un civil pacifiste, dont l'existence et le compte en banque sont remplis de tous les surplus de la vie occidentale, je lui demanderai simplement à quel cable il fut breveté. Car il demeure que ce sont les gens en uniforme qui défendent leur quotidien. A tort ou à raison.

JeFaisPeurALaFoule a dit…

Le défenseur est anonyme, celui qui prétend expliquer la défense devient célèbre. Non sens, absurdité, sacrifice et douleurs... A la mémoire de celles et ceux tombés souvent "pour rien".