23 janvier 2009

L’éveil

Si l’on ouvre les yeux sur le destin, bien souvent c’est sur le néant qu’on pose son regard. On se demande si l’on a fait les bons choix, si l’on a suivi le bon messie et surtout si l’on n’a pas sa part de responsabilité dans le naufrage général. Assis entre la vie et la mort on soupire, on hésite à reconnaître ses erreurs et, tant par lâcheté que par désespoir on se déleste du drame sur un autre responsable. Honteux, effrayés par l’avenir, chacun hésite et n’ose plus avancer en craignant les représailles de ceux qui ont soufferts par notre faute.

Ainsi, à l’aube d’un jour sombre où un empire s’écroule sous les coups de bélier d’un ennemi croyant se battre pour une juste cause, le soldat s’assied, attend et parfois même prie pour son salut. Doit-on faire payer le prix du sang à ces gens qui ne savent plus ni ce qu’ils sont ni ce qu’ils croient ? Les savoir errer dans le doute et le drame d’assumer leurs responsabilités n’est pas suffisant ? A chaque fin de conflit il y a ceux qui pensent avoir vaincus, ceux qui ont choisi de baisser pavillon, et ceux enfin qui, placés entre les belligérants, tentent de panser leurs plaies. A-t-on seulement conscience de cette infinie détresse quand on passe à côté d’eux, juché sur un char, à pieds avec son bataillon, ou simplement en les survolant de très loin ? L’homme est de ces animaux qui ignorent le pardon tout en prétendant être capable de savoir le faire.

L’éveil, la sortie de la lourde torpeur du sommeil qui leur aura tant manqué, cette sensation affreuse de fatigue qui ne disparaît pas, et cette poussière qui a envahi la peau et les cœurs. De partout affluent les réfugiés, les gens devenus rats dans les ruines, les enfants adultes qui ont le regard brisé et vide. Pourquoi se lever ? Pourquoi marcher et aller quémander un peu d’eau ? La soif et la faim tiraillent, les mères ne peuvent plus allaiter et les corps s’amoncellent. On creuse des fosses, on enterre à la va-vite en déclamant quelques vers, puis une croix de bois est plantée. Les larmes n’existent plus, elles sont sèches, le cœur devient aride car la seule priorité est de survivre, vivre malgré tout, défier la mort qui est aussi présente que pendant les combats. Les canons sont silencieux pourtant la faucheuse fait encore sa récolte.

On s’assoupit enfin, les refuges s’encombrent vite et le froid, mordant, cruel, implacable terrasse les plus faibles. Sans rêve, chacun se noie dans un océan noir. Les paupières closes certains hurlent leurs frayeurs et les autres acceptent, las, usés par tant de peines accumulées en si peu de temps. Où sont les parcs ? Où sont les avenues clinquantes et un peu artificielles ? Pourtant certains continuent à sourire, ils espèrent, eux ils maintiennent un semblant d’envie d’exister. Aucune menace n’a su les briser, ils s’éveillent avec le défi qui les taraude, celui d’offrir une perspective à tous ceux qui flanchent, de bâtir un nouveau monde sur les ruines de celui qui vient de disparaître. A ceux là on devrait donner une médaille, les aider, leur tendre la main… Pourtant c’est souvent un labeur solitaire où la passion pour les autres est rarement récompensée.

La haine n’est plus, même l’ennemi d’hier offre ses rations et tend une cigarette à ceux qui la demandent. Fraternité ? Chaleur humaine ? Quelle importance ? Ce qui compte c’est que c’est l’espoir et le pardon qui tentent désespérément d’émerger du néant, qui luttent contre l’oubli et la colère. La vengeance est souvent dans le cœur mais il arrive parfois que ce désir brûlant disparaisse au profit d’une envie plus impérieuse encore : la rédemption. L’éveil à la Vie est un choc terrible, c’est une sensation de désintégration de soi pour le voir renaître plus beau encore, plus virulent, aussi bruyant que le cri d’un nourrisson et aussi violent que l’orage arrosant la forêt. Il pleut dans les âmes, mais le soleil perce déjà à travers l’obscurité des nuages. Donnez nous l’envie d’être meilleurs dira celui qui prie pour son salut et celui des autres. Je dis « Donnez moi la force d’être meilleur pour que les autres prennent exemple sur moi ».

Aucun commentaire: