15 janvier 2009

A l’ancienne

S’il y a un personnage culte parmi les auteurs que j’apprécie c’est bien Michel Audiard. La verve fine, l’esprit pointu, les jeux de mots en pagaille, ce grand nom du « titi parisien » s’est fendu de dialogues aussi savoureux et cultes que ceux du film « les tontons flingueurs » ou bien les répliques assassines des « barbouzes ». Ayant moi-même côtoyé des personnages hauts en couleurs et au verbe particulier, je n’ai pas résisté à cette influence aussi étrange que profitable où l’insulte est remplacée par la remarque piquante. En toute honnêteté m’exprimer de cette manière me vaut généralement des regards étonnés et même des questions évoquant l’incompréhension et l’inculture. Toutefois je dois hélas reconnaître quelques lacunes dans ce domaine où le grand Audiard excellait. Alors, pour mon plaisir très personnel je vous offre un peu de ce que j’arrive à rédiger « à la manière de ».

Ah les claques, ces gourbis où errent les caves en quête d’érotisme torride qui finissent généralement ratiboisés le petit matin venu, ces rades qui servent de ports aussi bien aux freluquets soucieux de se faire une étiquette à bon compte qu’aux bonnets qui hantent les nuits de la capitale, tous ces bars et boîtes de nuit me font encore soupirer d’aise. Après quelques piges à visiter ma cabine gracieusement meublée par l’administration pénitentiaire je suis revenu aux sources pour m’envoyer quelques roteuses et tailler une bavette avec les tire mousses. C’est comme ça qu’on se relance, en causant et surtout en ouvrant bien les esgourdes. Tiens, chez René, ça va être la razzia sur les cahouètes et l’obole dans la soucoupe de la douloureuse. Faut arroser pour être au parfum !
- Alors René, comment que ça roule ? Lui balançai je en posant mes miches sur le tabouret.
- Ah Jules ! Ca fait quoi ? Quatre berges que t’as mangé ?
- Oh ça tu sais, j’avais un corbeau pas très dégourdi pour la parlotte mais foutrement bien calé pour me refaire les fouilles. Ouais, quatre piges à me refaire une santé ! Et toi alors ? Ca roule ?
- On va dire ça, mais c’est fini le bon vieux temps tu sais. Depuis que la pince s’est faite sauter sur un braque y a trois ans la jeunesse respecte plus rien.
- Quoi ? Léon la pince s’est fait refroidir ? Sursautai-je en me saisissant du demi servi sans faux col.
- Refroidi, disons qu’il a pas eu l’intelligence de sortir de la turne les pognes en l’air. En même temps ses potes ont tirés sur la volaille, ça aurait fait mauvais genre, une flag’ sans résistance…
- Alors quoi ?
- Alors deux plombs dans le buffet.
- Merde alors, enfin bon, c’est un aléa du métier.
- Comme tu dis Jules. Sinon, et toi alors ? Tu comptes te recaser ?
- Recaser ? Attends ma moitié s’est pas envolée !
- Je parlais turbin, a-t-il souri cet empaffé en sirotant son jaune sans glaçon.
- Ah ! Mais c’est que le JAP me colle au train maintenant ! D’après lui faudrait que je prenne un taf, un plein temps SMIC pour me payer une piaule HLM. Tu vois le tableau…
- Ca te ressemblerait pas trop Julot, toi qu’on appelait Jules le trois pièces !
- Tiens tu m’en remets un ! Bon d’accord mais faut que je m’refasse quand même, cent sacs à la sortie ça mène pas loin et je me vois mal faire le métro pour engourdir quelques larf’s ! T’aurais pas vu Michel par hasard ?
- Si fait l’ami, il est passé y a deux plombes de ça. Il est toujours dans la course mais c’est plus un outsider qu’un premier couteau maintenant. Deux mioches, ça donne envie de se ranger faut dire…
- Ah ? Deux gosses ? Lui qui braillait qu’il aurait des marmots le jour du jugement dernier.
- La Marianne lui a mis le grappin dessus. Tu t’souviens de Marianne ?
- Ah ouais, la serveuse ?
- Non la proprio de la boutique de frusque sur l’avenue !
- La veuve ?
- Ouais, la veuve ! Ils se sont collés la bagouse et tout le tremblement ! T’aurais vu le cirque à la mairie : cette raclure de maire qui commence à déblatérer ses classiques et ce crétin de Michel qui commence à se marrer en se souvenant du gus quand il l’a alpagué avec une frangine dans un de ses claques ! Laisse tomber la couleur pourpre sur la poire du maire, il était limite syncope si tu vois ce que je veux dire ! Bon alors, tu veux réellement un boulot ? Attends une petite plombe y a Marius qui doit venir me montrer ses dernières trouvailles.
- De la jonquaille ?
- Je touche plus à ça, trop la misère, non non il aurait un plan sur de la téloche, de la couleur s’il te plait ! T’en es ?
- Va savoir… Allez j’en rince une autre !

Petites précisions :
Claque, gourbi : synonyme de bordel, maison de passe, ou bien utilisé pour des bars ou boîtes de nuit douteux.
Esgourdes : oreilles.
Ratiboiser : Vider les poches d’autrui.
Berge, pige : Année
Braque : contraction de braquage (à mains armées)
Demi sans faux col : bière (blonde pression) sans mousse sur le haut.
(Se faire) refroidir : (se faire) tuer. Se dit aussi dessouder, descendre.
Turne : boutique (ici une banque).
Pogne : main. Se dit aussi paluche.
Volaille : Police (ou poulet)
Flag’ : Flagrant délit.
Piaule : Appartement, chambre. Lieu de repos ou de repli.
Larf : Portefeuille.
Plombe : Heure.
Bagouse : Bague.
Alpaguer : attraper, prendre en flagrant délit.
Frangine : Prostituée.
Poire : Visage, tête. Se dit aussi tronche, trogne, gueule.
Mioche, marmot : enfant (à charge).
Jonquaille : Bijoux.
Rincer : Payer son verre.

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