18 novembre 2008

Nature urbaine

Toi qui déambules entre les arbres de béton, qui se penche sous leurs branches d’acier, toi qui te protèges sous le nénuphar de verre de ton abribus, pense à la verdure. Observe donc ces façades anonymes, écoute le chant des téléviseurs venus remplacer celui des oiseaux et demande toi ce que tu fais ici. Je ferme les yeux et je vois, je ressens, ma sensibilité s’évapore et je suis loin, loin du bitume, loin de l’entassement humain. Je m’assois sous le vieux pommier qui courbe sous le poids de ses fruits mûrs, mes narines frémissent à la saveur étrange des orties fraîchement fauchées, et mes mains se régalent au contact de l’herbe déjà haute. Suis-je là, est-ce l’été ? Peu m’importe, mes yeux se posent sur un champ de maïs aux épis encore vêtus de leur robe de pousse au toucher proche d’un velours râpeux.

Je m’éveille au bruit d’une voiture trop pressée ; les flaques reflètent les étoiles artificielles des lampadaires, les néons se disputent le ciel tandis que les maisons commencent déjà à fumer leur réchauffement par des cheminées lancées vers la grisaille de l’hiver qui s’approche. Le col remonté je frissonne légèrement en heurtant les quelques pavés de ma semelle épaisse. Au loin les gens s’empilent et se disputent une place dans un bus bondé. Qu’ils se battent, je préfère passer mon tour et attendre patiemment le prochain. Le livre en main je rêve et fais traîner mes yeux sur les lignes qui se brouillent. Sensation de papier usé sous les doigts, je reviens à ces champs qui sont autant de sillons alignés face à moi. Il a beau faire assez chaud la brise remue les plantes sauvages et vient se glisser le long de ma nuque. Je marche, seul, silencieux, souriant, heureux de vivre dans les effluves d’un monde qui se devrait d’être celui de tous, un environnement où la nature n’a pas à disputer sa place aux constructions.

Ca y est, je suis à bord de ce vaisseau bariolé en compagnie d’inconnus tout aussi perdus dans leurs pensées qu’ils semblent chercher à se cacher d’avoir quelque pensée que ce soit. Canne posée sur les genoux un vieil homme essuie la buée de la vitre et observe sa ville qui mute sans arrêt, où les immeubles s’effondrent sous les pinces meurtrières d’un engin, pour voir ensuite renaître un autre bloc aussi monstrueux que le précédent. Est-il nostalgique ? Je ne sais pas, il ne semble pas vouloir refléter sur son visage la sensation de vide que laisse un logement habité des années durant et condamné au néant par le progrès si mal nommé. Je m’éveille encore, assis sur un tas de paille sous le toit de chaume d’une grange à la charpente noircie par le temps. Il y fait chaud, la poussière semble suspendue en nuages et les épis dénudés du maïs de l’année dernière ont pris la couleur du grenat. De la main j’en saisis un, léger, presque friable et le lance sur le tas au loin. A mes pieds un tas de charbon abandonné trône là dans sa noirceur perpétuelle, prêt à servir mais jamais utilisé depuis des années. Pendus aux murs faits de planches disjointes les outils du paysan sont en bois, façonnés et ouvragés comme on ne sait plus réellement le faire sans copier. Il y a une franchise dans ce manche de pelle, une sorte de respect pour l’outil avec ses faces polies par le frottement de mains calleuses et besogneuses.

Je descends, les portes se referment et le bourdonnement répétitif du moteur s’éloigne. Les gens se pressent, ils referment des boutons sur leurs manteaux. Moi, j’avance lentement, revoyant le jardin tout en longueur avec au loin une haie cachant un portillon délabré. Fait-il frais ? J’ai remonté tant de fois ce chemin sous la pluie qu’elle en devient une compagne habituelle. Si je prends à gauche ce sera pour aller vers de la famille, si je tourne à droite ce sera pour aller observer les bovins laissés en liberté dans le pré adjacent. Quelle importance ? Là je tourne à côté d’un trophée à la bêtise et à l’urbanisme sauvage, pavé carrelé supposé rendre plus esthétique nos déchets en les camouflant derrière du béton. Pourquoi n’y a-t-il que de l’herbe ? Pourquoi laisse-t-on qu’une essence d’arbre ?

J’avance sur la route, la déroulant dans ses nœuds et courbes pour le plaisir de me noyer dans la forêt. Chênes, noyers, peupliers, sapins, chaque arbre représente des décennies de vies, d’histoire, de fin d’ères dont ils se moquent totalement. Toi qui commenças ton existence avant la mienne et qui la finira probablement après mon trépas, n’es-tu pas ironique en nous voyant nous agiter ? Je m’arrête, j’écoute les branches qui tremblent, les bosquets qui s’agitent à la fuite d’une bête et je me laisse charmer par ces chants d’oiseaux, si nombreux, si loin, si proches... Sous mes semelles ce n’est pas l’asphalte qui sonne, ce sont les branches mortes qui bruissent. Feuilles en tas, pousses éparses, soleil tamisé, tu es maison abri et lieu de vie.

Et cet immeuble pathétique à la façade décorée d’un semblant de naïveté supposée rappeler qu’il fut un temps cet endroit était arboré...

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