23 novembre 2007

On ne se moque pas !

Il y a des règles comme ça, de celles qu’on établit pour la bienséance ou pour s’éviter la vindicte populaire, et pourtant il existe bien des sujets qui tombent sous le coup de la décence de bon aloi alors qu’on aimerait tous autant que nous sommes les dédramatiser. Rarement civilisation ne fut aussi puritaine et effrayée par la possibilité d’exprimer la moquerie sur les sujets sensibles, comme si jouer la comédie de la personne affectée et triste pouvait changer en quoi que ce soit la donne. A mon sens il est plus probable de mourir d’un cancer que d’une crise de rire, tout comme il est plus certain que la mort est un service obligatoire alors que la naissance elle est optionnelle.

On ne se moque pas de la maladie, quelque soit celle-ci. On ne doit surtout pas traiter des maladies graves comme on pourrait traiter d’imbécillité coutumière de nos voisins, de la bêtise d’un chef d’état éloigné ou encore des bafouillages inélégants d’un politique local. Cancer, Sida, sclérose ainsi que Parkinson se doivent d’être traités avec une compréhension et une prudence digne d’un démineur dans le désert libyen. Pourquoi. ? Tous nous sommes condamnés par la grande faucheuse à aller renouveler la quantité de manière organique dans le sol et tous, êtres de chair, d’os et de cholestérol nous nous préparons à rejoindre la boîte en sapin (ou en isorel en cas de crise majeure). Bref, en quoi est-il si choquant d’oser proférer des imbécilités contre le sida ou le cancer ? La mortalité mondiale est au moins aussi grande par ces deux monstres biologiques que par l’utilisation intensive d’armes à feu ou de machettes, et paradoxalement se moquer ouvertement des tribulations de bourreaux au milieu de la forêt rwandaise ne semble pas choquer outre mesure. Compréhension à deux vitesses ou refus poli mais ferme d’être concerné ? A chacun de savoir où il met les pieds. Pour ma part, n’ayant pas spécialement eu d’entretien avec le passeur du Styx, je crois qu’il me faudrait quelques décennies pour me faire pardonner de lui toutes les profanations verbales et verbeuses proférées par mes soins lors de babillages vains et prétentieux. Toujours est-il que dans l’absolu, cancer, sida, hémophilie, la Mort guette, et s’en moquer comme de ma première paire de chaussettes me semble être un acte de salubrité publique. Moquons nous de la Mort, elle nous fait payer le passage bien assez cher comme ça !

Etrangement, on ose plus facilement se moquer du handicap, l’humour noir et limite sadique semble être entré dans les mœurs alors que chacun est susceptible de découvrir l’existence d’une manière différente à travers la possibilité d’un accident automobile, l’échec d’un suicide ou mieux encore l’impact d’une balle ennemie entre deux vertèbres. L’infamie est donc à deux vitesses, puisque la majorité rigolarde ne se sent pas spécifiquement concernée par les clous perçant les roues d’un fauteuil ou par l’obligation d’essuyer la bave à la lèvre d’un « légume ». D’ailleurs, le terme est plus que péjoratif alors que dire un « cancéreux » n’a rien de malsain. Pour ma part, je ne mésestime ni l’un ni l’autre, les deux ayant la même part de responsabilité dans la future extinction de l’espèce humaine. Tiens, rien qu’en disant ça je risque déjà les foudres de nos chers rêveurs croyant que l’Homme a un avenir radieux et que Lui (pointez le ciel ou le plafond du doigt en proférant de telles assertions) a de grands projets pour nous. Pures conjectures pourrait alors arguer l’agnostique ou l’athée, et à la limite l’infidèle et même l’hérétique, tout dépendant d’une question de dialectique. Bref, se moquer d’une minorité qu’on voudrait invisible pose moins de problèmes moraux.

Faire preuve d’un langage péjoratif est aisé, mais pas sur n’importe quel sujet. Je suis tout particulièrement gavé qu’on m’interdise de me moquer en vrac du nazisme, du traitement des juifs dans les camps, de la politique d’immigration pratiquée après le conflit en Algérie, l’utilisation de la bombe atomique… bref de tout ce qui force à faire jouer la « mémoire collective » et la « moralité personnelle ». Moralité ? Mon c.. pardon mon œil ! Dois-je porter le brassard noir de la honte pour l’exploitation et la torture d’esclaves par l’état royal avant la révolution Française ? Suis-je le digne héritier de la culpabilité des fascistes dans tous les pays du monde ? Vais-je donc alors faire mes excuses publiques aux peuples Polonais, Roumains, Français, Italiens, Espagnols et j’en passe ? Hors de question que je porte sur mes épaules ce qu’autrui a fait. On se pose en tortionnaires sans avoir même levé la cravache et en face on nous incite à courber l’échine sous prétexte que ce sont des ancêtres, nos ancêtres qui s’en sont rendus coupables. Mes ancêtres ? N’étant pas français de souche je suis bien incapable d’affirmer qu’un quelconque « ancêtre » ait été à quelque époque que ce soit un négrier, de même que je doute qu’aucun de mes aïeux ait appartenu à une force de colonisation. Je suis donc péjoratif, provocateur sur ces sujets et je le resterai. Comme l’avait dit mon « maître » avec beaucoup de justesse « on peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui ».

Bien des médias se sont lancés avec plus ou moins de bonheur dans une certaine forme de dédramatisation afin de vulgariser l’information et la rendre accessible. Bien leur en prenne, sauf que systématiquement le discours rigolard est un discours militant et même partisan. On se paie bien la tête du président iranien en oubliant poliment qu’au fond rien ne devrait lui interdire de bâtir des centrales nucléaires, tout comme l’on se paie la tête de G.Bush qui a été élu démocratiquement… Ca y est, je sors encore du cadre puisqu’on ira me dire que le premier n’est pas un démocrate et le second n’est pas un président. Et ? Est-ce à nous de juger à la place des peuples en question ? Le plus comique c’est qu’on trouve ensuite le moyen de râler quand ces derniers se paient notre tête en faisant des français des clichés à la baguette sous le coude. C’est un échange de bons procédés, non ?

Enfin, après tout se moquer c’est avant tout savoir se moquer de soi-même, chose la plus difficile entre toutes. Osez donc vous flageller pour de rire, vous rirez du reste avec bien plus d’aisance…

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