12 octobre 2007

On aurait pu (dû ?) en rire

Oui, on a toujours ce luxe incroyable de pouvoir rire de tout, de tourner en ridicule toute chose de notre existence au point même de faire preuve d’irrévérence avec n’importe qui, et surtout n’importe quoi. Le comique a ce pouvoir d’amener le sourire là où on ne l’attend pas, qui plus est sur des thèmes dérangeants. Quoi de plus infâme et sinistrement amusant que de plaisanter sur la famine africaine, quoi de plus terrible que de rire aux éclats concernant les camps de concentration ? Pourtant, le rire doit faire son chemin, tout comme l’évolution du monde ne cessera jamais de faire disparaître des acteurs pour en créer dans la foulée de nouveaux.

Rire de la vie, de la mort, de la souffrance humaine, c’est un récurrent, un comique de répétition depuis qu’on a eu l’audace de désacraliser l’existence. Ecoutons-nous discuter de ce qui ne nous touche pas directement, et remarquons avec quelle indifférence l’on traite le cancer, la violence conjugale ou le racisme. Impressionnant, là où l’humour est supposé offrir une échappatoire il devient outil de banalisation. Bien sûr, taire et rendre tabou les choses n’est rien d’autre que faire acte de rétrogradation ce qui à mon sens est une erreur, mais pour autant, rire de tout nécessite une certaine part de prudence. Desproges disait (oui je sais je vous gonfle avec lui… mais je remets le couvert !) « On peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui », et pour ma part je retire avec véhémence la seconde partie de cette assertion tant la provocation est indispensable dans certains cas. Refuser de se moquer du cancer, c’est aussi renier quelque part que des gens vivent avec, ou survivent plutôt et pour autant ne se ratatinent pas sur eux-mêmes. L’honnêteté et la droiture morale voudrait donc qu’on leur offre une tribune comme à n’importe qui, et l’humour en est une plutôt efficace non ? Malheureusement, quand ça nous touche (tôt ou tard de toute manière), on devient moins réceptif à des propos provocateurs comme « Noël au scanner, Pâques au cimetière »…

L’atroce, l’innommable semblent être des chasses gardées de l’image ou de la presse, comme si rire avec cynisme de nos propres excès nous étaient interdits. Plaisanter sur une chambre à gaz ça mène généralement à un rejet des bien-pensants qui vous taxent alors d’irrespect pour les victimes. Pour autant que je sache, se moquer du procédé n’est pas un acte d’antisémitisme ou une négation de l’existence des camps, c’est simplement savoir avancer en déclarant ouvertement que « oui ça a existé, non on n’en veut plus et oui il faudrait savoir en rire ». Si je dis rire jaune, de suite je vais avoir le droit aux quolibets les plus infâmants sur mes tendances politiques… bref, rire n’est pas à la portée de tout le monde.

Là où je ris franchement c’est quand je suis face à un quelqu’un qui a un détachement incroyable avec son malheur. Un tétraplégique qui met sur son répondeur « Parti faire un footing », ça mérite les bravos et le rire joyeux ! S’entendre dire que c’est malsain comme attitude, c’est faire preuve d’une bêtise sans nom. Moi j’en ris, lui aussi malgré tout, alors laissez lui le loisir de se payer avec humour sa propre trombine ! La réalité c’est qu’au fond, rire de soi est difficile et rire aux dépends des autres est autrement plus simple…

J’avoue m’esclaffer face à certaines inepties du monde : la politique est un de ces domaines où l’humour d’un degré de profondeur jamais atteint ailleurs me chatouille les zygomatiques. Quand je vois un homme politique s’agiter, gesticuler, mimer l’obséquiosité avec un homologue devenu fréquentable alors que six mois avant c’était le diable en personne, j’en ris avec une gaieté qui n’égale que mon cynisme de façade. Et oui, l’humour est une des armes favorites du politicien : il vous prêtera son sourire pour vous refaire le portrait, puis il rira de votre air dépité, mais tout seul cette fois-ci. Reconnaissons leur une franchouillardise bien évidente, quand, sans ciller, ils vous annoncent qu’ils vont (je cite) « nettoyer au Kärcher », épurer les banlieues ou mieux encore « assainir l’économie ». Un pince sans rire n’arriverait sûrement pas à affirmer de telles grossièretés sans partir dans un fou rire incontrôlable.

Le monde est comme une seule personne prise à part : chatouilleux, il aime à ce qu’on plaisante de lui sans pour autant qu’on soit trop moqueur. Il y a des chasses gardées où pourtant l’humour serait salvateur. Quand un vendeur d’armes arrive à faire passer un hélicoptère et son armement de manière séparée pour des raisons éminemment administratives, c’est du système tout entier qu’il se moque. Quand un grand patron licencie à tours de bras pour augmenter la marge bénéficiaire, c’est des salariés qu’il se moque, et quand nous, pauvres individus avachis nous regardons avec le sourire un vidéo gag minable, c’est de nous-mêmes que nous rions. Comme quoi, nous arrivons à nous marrer quand un gosse se casse le nez en tombant de sa chaise, quand mémé se vautre en tentant une danse endiablée lors du mariage de la tante machin, et même suprême ironie nous nous foutons ouvertement de « papa se prend la porte du garage qu’il essaye de réparer depuis trois semaines ». Nous sommes ainsi, moqueurs, égocentriques… et j’aime en rire !

Rions de moi deux minutes, juste histoire de rendre l’équilibre à ma balance ironique : S’il y avait plus idiot que moi, ce serait celui qui tenterait de peindre des roses en violet avec de la peinture à l’eau », ou bien « Oui j’avoue, je suis au moins aussi con que je suis grande gueule », et une petite dernière pour ceux qui, comme moi, viennent de se payer une franche rigolade « Le jour où l’on mettra tous les cons en orbite, je crois que je serai le dernier à redescendre » (Merci à vous, monsieur Michel Audiard…)

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