11 septembre 2007

Ubu et nous

Les administrations, c’est comme les plaies d’Egypte : on se croit roi d’un empire, on ne croit pas que ça peut être remis en question et ça vous tombe dessus sans que vous puissiez y faire quoi que ce soit. Sans vouloir paraître méchant envers nos chers (dans tous les sens du terme) fonctionnaires, il y a de quoi leur en vouloir quand certaines situations imbéciles se créent, tout ça parce qu’il y a eu quelque chose d’imprévu dans le système. Bien sûr, on ne peut pas taxer tous les fonctionnaires de fainéants, mais certains mériteraient une séance de pilori aux frais de l’état, rien que pour leur apprendre que les gens ne sont pas des numéros de dossiers ou des matricules.

Les exemples sont légions et prêtent à rire alors qu’ils n’ont rien de drôle. Prenons un premier exemple de situation incongrue et qui semble pourtant commune à bien des bureaux de sécurité sociale. Une personne se présente, prend son ticket, attend patiemment puis s’assoit avec un dossier somme toute assez simple : ayant perdu son attestation, le demandeur ne désire qu’une chose toute bête, qu’on lui en refasse une ou bien qu’on lui remette une carte vitale qu'il n'a bien entendu jamais reçue. Et là, le vice commence, le diable sortant par les pores de la peau du fonctionnaire emmitouflé dans ses procédures pompeuses. « Pas de numéro de sécu ? Donnez moi vos noms, prénoms, date de naissance… » et hop, l’ordinateur magique sera votre sauveur… Dommage, celui-ci renvoie aux yeux mornes de l’utilisateur une fin de non recevoir. « Vous n’existez pas ! » lance alors fièrement à votre encontre le squatteur de chaise qui sied face au « client » qui n’avait rien demandé pour être ainsi traité de « n’existe pas ». Bien sûr, la colère n’aidant pas, notre chère personne présente divers documents contenant le sésame en question… qui s’avère, lui aussi, totalement inconnu des services de la sécurité asociale. Le voilà donc paria en son propre pays, inconnu des services dont il a bien entendu jamais fait usage, la conscience professionnelle lui interdisant en effet la maladie et les interventions chirurgicales coûteuses, alors que ses paies, elles se souviennent douloureusement de la ponction lombaire effectuée entre les vertèbres du brut et la réduite du net.
Peu à peu le ton monte, l’un se moquant vertement du problème, l’autre ne saisissant même plus s’il est ou non une personne à part entière. De regards assassins de condescendance « mon pauvre, encore une erreur informatique je pense » (elle a bon dos cette satanée informatique), à la lâcheté de reconnaître qu’on s’en fout « Je cherche ! Je cherche ! » c’est le mord aux dents que l’assuré social en vient à devenir cruellement réaliste « Je suis dans la m... » songe-t-il en observant son détracteur. « Appelez moi votre chef ! » lance-t-il en désespoir de cause. En vain, le fonctionnaire EST le chef, quand bien même si c’est un mensonge éhonté… allez vérifier vous, s’il est chef ou pas. Bref, cela finit par la remise d’un formulaire de réclamation vous demandant de bien vouloir remplir les cases, de remettre le tout par la poste au service concerné, en espérant que quelqu’un de moins obtus saura vous tirer de l’embarras.

Bien d’autres services s’offrent des luxes que d’autres ne sauraient se permettre en temps normal : une poste qui vous annonce glorieusement par courrier qu’elle a perdu votre colis attendu avec anxiété, un tribunal vous envoyant des amendes d’un véhicule… vendu par vos soins depuis des années à un tiers, chose qui ne semble pas avoir été recensée par la préfecture, la mairie n’enregistrant pas correctement un changement d’adresse, ceci entraînant tout un tas de retards et erreurs pénibles… et que dire de ces impôts vous réclamant des sommes dignes d’un ISF, ou vous taxant de mauvaise foi alors qu'ils ont juste omis de vous envoyer la paperasse nécessaire ? Tout concorde à rendre fou le plus patient et le plus méthodique des êtres humains.
Les services administratifs ont un goût immodéré pour l’abstrait. Non, je ne parle pas des locaux décorés par un designer épris de sa règle et de la couleur crème délavée, non je veux parler de ces codifications obscures qui sont supposées vous définir. « Avez-vous le formulaire XBF-45701 ? », « La procédure DSZT-FERE indique que vous devriez toucher cet argent, mais comme vous êtes sous le régime 33 de l’alinéa 79 de l’article 4897-11, vous ne toucherez rien. Désolé », je doute qu’autre chose qu’un robot ou un fonctionnaire puisse comprendre quoi que ce soit à ce charabia.

L’amusant dans tout ça c’est qu’il est, en général, difficile de taxer de mauvaise foi le fonctionnaire qui est assis en face de vous. Pour lui, l’opération à exécuter tient en quelques feuillets, des références exactes, et le tout placé dans des dossiers dédiés de manière à « simplifier » le plus possible la tâche. Mais de là à simplifier la vôtre… Pour certains documents, la liste des pièces à fournir ressemble à s’y méprendre à un inventaire à la Prévert : 3 photos d’identité couleur, une photocopie recto verso de votre carte d’identité, un certificat ceci, la pièce machin, le relevé truc… » et j’en passe. Là où ça devient ubuesque c’est quand cette liste varie selon l’interlocuteur : appelez à une heure précise le matin, vous obtiendrez un résultat foncièrement différent en renouvelant l’appel dans l’après-midi… quand les deux listes ne se contredisent pas carrément : « Ah non pas besoin du livret de famille », ce qui donne bien entendu une fois au guichet (et une attente d’une heure au minimum) « Ah ! Mais sans le livret de famille on ne peut rien faire ! ».

Au final, il arrive (souvent, heureusement !) que la conscience professionnelle du fonctionnaire s’éveille, comme si la compassion ou un éclair de lucidité avait traversé l’esprit retord de votre interlocuteur. Là, par la magie de ses doigts agiles jouant avec des fiches diverses, le voilà revenant fièrement sauver votre journée et vos nerfs en vous tendant… un formulaire à remplir. Fausse joie ? Non, il est sincère, il a le sourire bonhomme et la trogne du sympathique et affable. Remplissons le, histoire de… et là vous demandez « et c’est tout ? ». La réponse est la même à chaque fois « Oui, c’est tout, on a simplifié la procédure, vous aurez un courrier d’ici dix jours ». Faites qu'il ne mentait pas...

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