28 septembre 2007

Câblé

Dans un monde où l’information traverse les océans plus rapidement que le plus rapide des avions, nous sommes à présent confrontés à l’affrontement virtuel entre les médias informatiques et les anciens supports de l’information. En étant réducteur, on pourrait alors dire que le journal se retrouve peu à peu sous la coupe du réseau et que le réseau devient quasi omnipotent. Pour autant il ne faut pas amalgamer ce phénomène avec l’édition dans son ensemble car le livre n’a jamais été autant utilisé. Pourquoi se priver du plaisir de la matière et du confort inaltérable de détenir un livre et non un fichier susceptible de disparaître ? L’Information est une chose mouvante, volatile et qui supporte facilement la contradiction ainsi que la mutation. En se posant les questions suivantes on peut déjà confronter ces affirmations au concret : un attentat arrive, on l’annonce. C’est un fait. Quelques heures plus tard on précise le nombre de victimes, le fait est donc affiné. Les premiers jours passent et chacun va de sa spéculation, l’information mute donc tout en gardant un fond d’exactitude. Finalement l’enquête révèle et pointe du doigt des responsables supposés : l’information originale s’est vue modifiée, triturée et alimentée d’autres données totalement différentes. Le réseau est à l’image de l’information, il bouge et tremble au gré des évènements parfois totalement dissociés mais qui mènent à des réactions mutualisées.

Si l’on parle de politique, on peut bien évidemment chercher une incidence du réseau sur les décisions et les réactions des gens au titre que les opinions et les informations (parfois invérifiables, souvent détournées, rarement explicitées) permettent de faire des analyses personnelles poussées. Pour le moment nous en sommes cependant qu’aux balbutiements d’un nouveau monstre sans cœur ni tête, une nouvelle bibliothèque d’Alexandrie à laquelle l’on aurait ajouté une conscience collective. Ne rechignez pas face à cette idée, elle est on ne peut plus réelle et c’est justement ce qui rend le réseau passionnant et potentiellement dangereux. Comparons les deux références : la première permettait de stocker les informations les plus précieuses provenant de tous les empires, le tout sous la coupe de gens lettrés et cultivés, alors que le réseau lui est une accumulation de pensées hautement personnelles, et qui dit personnelles dit sans contrôle et sans critique. Par conséquent, la bibliothèque devait supporter la chronique alors que le réseau s’est émancipé de cet interventionnisme parfois salvateur. Qu’on me comprenne bien, je ne prône pas la censure, loin de là, je parle simplement de faits. Par conséquent, le réseau est tentaculaire et mouvant parce que chaque élément pris séparément véhicule des messages qui se retrouvent exposés et libres d’être entraînés par tout autre acteur de l’information.

Une fois ces postulats placés, on comprend donc que le réseau est d’une part une manne d’informations gigantesque, et d’autre part une masse informe et dénuée de consistance pratique. Tout est présent sans vraiment l’être totalement, et bien souvent il s’agira de recouper les raisonnements à partir d’un grand nombre de sources de manière à être au plus proche de la réalité.

Appliquons nous, à présent, à prendre cette situation et la pousser à son paroxysme, c'est-à-dire en développant les interactions humaines avec le réseau jusqu’à un point supposé lointain… du moins pour les plus optimistes. Si le réseau peut avoir une influence sur les communautés c’est qu’il se fait porteur des messages, sans pour autant imposer ses vues car celui qui est influencé était déjà chercheur et sensible aux sujets. Quand on me dit que les sites communautaristes et extrémistes sont dangereux, c’est oublier que ceux qui les cherchent et les consultent et s’en imprègnent étaient déjà déterminés à les lire. On peut donc heureusement dire que le réseau n’est qu’un messager et qu’il est plutôt un catalyseur, un peu comme le serait un « messie » au milieu d’une foule sensible à ses opinions et à des discours.
Je parlais d’aborder un extrême, une sorte de fusion entre les esprits et le réseau. C’est d’une manière générale une ineptie selon des analystes, mais c’est à mon sens notre avenir, et il est moins lointain qu’on veut bien l’admettre. Quelles seraient les conséquences d’une telle capacité, quels seraient les moyens techniques mis en œuvre, c’est là les questions pertinentes à se poser.

D’un point de vue technique sous sommes dans un cycle évolutif très rapide, en ce sens que nous sommes déjà capables d’interfacer un homme avec une machine, notamment des membres artificiels. Les expériences actuellement menées dans le monde nous laissent peu de doutes sur la capacité prochaine de remplacer un membre, un œil ou une oreille par son équivalent cybernétique. Ca en a fait sourire plus d’un, jusqu’au jour récent de la démonstration que ça fonctionne réellement. Dans le même ordre d’esprit, on peut donc redouter que si l’on sait connecter un bras, on saura connecter un accès au réseau de manière cérébrale, ce qui implique que ce sera notre esprit et non nos membres qui piloteront la connexion. Schématisons : ce que nous voyons est notre « monde », un environnement de perception, de sens, de réactions où la cohérence tient plus à notre acuité à dire « c’est cohérent » qu’en la cohérence même de l’évènement (par exemple un chien qui s’assoit nous parait naturel, un homme s’asseyant par terre et aboyant nous parait absurde). Maintenant, imaginons que nous puissions remplacer notre perception par « autre chose », sous entendu que notre vue, notre ouïe et même le toucher se trouveraient pris sous la coupe d’une application : on aurait donc des résultats assez étranges comme voir des fenêtres et du texte droit dans nos yeux sans que ça nous paraisse imbécile. Dans la même lignée, se balader virtuellement dans une reproduction fidèle d’un lieu disparu semblerait parfaitement normal… mais dans quelle normalité se trouverait-on ? Celle du monde ou celle du virtuel ? L’esprit souffrirait vite et serait même enclin à ne plus se déconnecter. La séduction d’un monde dénué de haine, de violence, pouvant autoriser un être humain à voler sans aile, à se téléporter, le tout sans même se mouvoir, ça amènerait l’esprit faible au bord du gouffre.

Si le comment est intéressant en soi, les conséquences et le pourquoi pourraient aussi bien nous amener au naufrage. Je parlais de rêves accomplis virtuellement, d’évènements « impossibles » rendus vivants par le réseau, mais ceci n’est qu’accessoire par rapport à la suite que pourrait donner le réseau connecté sur chacun de nous. Potentiellement l’information se diffuse uniquement par le bon vouloir de chacun, sauf que le réseau lui fonctionne à l’envers, c'est-à-dire comme des bouteilles à la mer : on laisse la donnée là où on le souhaite, chacun peut tomber dessus ou la chercher, et chacun peut en tirer ce qu’il désire. Admettons donc que nous n’ayons plus à préciser et taper nos réflexions, le tout se stockant au fur et à mesure de nos divagations intérieures. Comment consulter ces milliards d’idées disjointes ? L’information deviendrait flux, comme des fleuves dans lesquels se déverseraient chacune de nos envies ou colères, et a fortiori sans tri réel ni censure. Par conséquent, la gangrène fasciste, les névroses graves pourraient donc corrompre l’eau à laquelle on irait mentalement s’abreuver. La barrière de la langue disparaitrait puisqu’après tout, nous fonctionnons tous sur le même principe, ce sont nos âmes et nos pensées qui nous distinguent bien plus que notre physique. Le poison des idéologies se mêlerait donc et viendrait nous imbiber sans que nous le désirions.
Là où le risque devient terrifiant c’est la possibilité qu’aura toute personne mal intentionnée de détourner la richesse au profit de ses vues : on a bien constaté que le discours terroriste arrive à séduire toutes les couches sociales, que l’anarchisme n’incombe pas qu’à des populations en position de réagir. Les brigades rouges tout comme Al Qaeda ont les unes comme les autres séduites plus d’un étudiant, docteur ou architecte. Il est donc évident que les discours utopiques ou dangereux sauraient trouver un écho favorable dans les rêves de chacun. Dans quelle mesure pourrions-nous protéger notre intégrité puisque chacun ne serait qu’une portion congrue de l’unité universelle du réseau ?

On parle du cyber terrorisme comme d’une activité allant de la copie illicite au détournement de fonds par le piratage de données bancaires par exemple, alors que ce ne sont que des actions « financières », un peu comme pourrait le faire un braqueur avec un guichet de banque. Le terrorisme cyber n’existe pas encore, quoi que bien des nations se sont lancées dans des affrontements virtuels de manière à tester et éprouver les sécurités de l’adversaire. Dans cette guerre virtuelle, c’est avant tout l’information, celle qu’on cache à l’ennemi qui est recherchée. On peut aussi envisager un terrorisme basé sur du sabotage de serveurs, comme pour paralyser des offices bureaucratiques par exemple. L’idée séduirait facilement un groupuscule quelconque, car cela pourrait tétaniser le Pentagone, ou bien des services comme une perception régionale des impôts. Tout cela n’a aucune envergure finalement, ça n’est qu’une simple mise en bouche en comparaison de ce qui pourrait arriver si l’on ne réussit pas à parfaitement sécuriser le réseau neuronal.

Perfection ? Cela existe ?

Faisons-nous peur : une action d’envergure est lancée contre les cerveaux câblés d’une nation, par exemple les USA qui sont une cible évidente. Imaginons maintenant que l’attaque consiste à bloquer la déconnexion, comme si l’esprit ne pouvait plus reprendre le contrôle du corps de sorte à devoir maintenir perpétuellement l’utilisateur dans le monde virtuel. Coupons alors toute capacité d’alerter l’extérieur. Prisonnier mental, on pourrait envisager une gigantesque mortalité puisque le tout à chacun serait potentiellement pris dans ce piège pernicieux. Ce serait d’une efficacité sans précédent, moins risqué que poser des bombes, et plus dévastateur que n’importe quel avion envoyé contre un immeuble. A l’échelle d’un continent, on dénombrerait rapidement des milliers de morts, des anonymes vivants seuls, des familles jouant à un jeu mondialement connu, des bureaux où tous les employés seraient donc morts de ne pas pouvoir s’entraider.

Autre scénario qui saurait terrifier tout analyste, l’action de dégrader les pensées, car si dans un sens nous pourrons stocker des données, nos cerveaux seront probablement des aires de stockage. Chacun a cette mémoire qui lui permet de dire qu’il se souvient, qu’il voit mentalement un évènement donné, mais à terme, insérer dans cette mémoire « interne » des informations « externes » pourraient créer des réactions très étranges et dangereuses. N’allons pas jusqu’à parler d’embrigadement, je doute qu’on puisse réellement manipuler jusqu’au bout un être humain, mais jouons avec les opinions en ajoutant des contre vérités. Rien ne serait plus pervers que d’écrire « le président est responsable de la mort de milliers de personnes » avec forces démonstrations absurdes certes, mais présentes en soi. Qui pourrait alors revendiquer du respect pour cet homme ? Manipulation et propagande se feront forts de venir se mêler à ce nouveau monde totalement impossible à contrôler dans sa totalité, mais si facilement influençable…
Revenons au présent : des milliers (millions ?) de personnes ont vus les vidéos truquées du 11 Septembre, celles où l’on aperçoit (soi-disant) des visages, des explosions, des cornes de démon, que sais-je encore… Les auteurs de ces canulars, cet ensemble sans teneur, ces gens, ces unités vivantes, étaient ils tous convaincus de détenir une Vérité ou bien ont-ils détournés la Vérité pour en faire un canular ? La question se pose vu le sérieux mis par certains pour expliquer ce qu’ils ont « vus » ou crus voir. L’important est donc de discerner les risques et de les voir démultipliés par l’ajout de l’homme dans le réseau. Aujourd’hui nous ne sommes pas dedans, nous l’utilisons et c’est une sacrée différence.

Je ne crois pas qu’il soit judicieux d’espérer l’accouplement total entre l’homme et la machine, au titre que l’homme est trop sensible à l’influence extérieure, et qu’il subit bien plus souvent l’information qu’il n’en est la source. Pour ceux qui ne croient pas à ce scénario d’homme « câblé », qu’il se demande pourquoi les téléphones portables permettent de prendre des photos, écouter de la musique et même d’aller sur internet. C’est ce qu’on appelle la convergence numérique, et il ne manque finalement que peu de choses pour que nous-mêmes soyons les derniers maillons à se brancher directement sur le monde.

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