19 août 2010

Instrument de musique

Je me suis souvent posé des questions existentielles concernant le choix d’un instrument de musique. En effet, depuis que l’accès à la culture n’est plus réservé à une élite de demeurés pédants et prétentieux, tout gosse un peu dégourdi, et pourvu de parents de bonne volonté, peut se mettre à la musique. Les conservatoires sont d’ailleurs constructifs : location ou prêt d’instruments d’occasion, professeurs généralement sympathiques et motivés, le môme qui veut apprendre peut alors, sur son temps libre, s’enfourner les gammes, le système diatonique, et espérer, à l’adolescence, faire le malin sur sa guitare en enchaînant les premiers accords de hôtel California des Eagles. Ah ça, ça a de la gueule, de pouvoir balancer une mélodie en plein milieu d’une réunion de potes. Et puis, on a la classe, avec la guitare sur le dos. Personne ne se paierait la fiole de Keith Richards, ou de George Brassens.

Et pourtant…

Qu’on m’explique ce qui a pu traverser l’esprit mal formé d’un mioche quand il annonce à ses parents « j’veux faire du trombone », ou encore « J’ai envie d’apprendre à jouer du bombardon ». Bordel ! Déjà que le supplice du mouflet martyrisant son instrument lors de sa phase d’apprentissage relève des plus subtiles tortures du KGB, si il faut qu’au surplus ce petit tordu vous choisisse un bidule obscur… Ce n’est pas possible, il y a forcément une explication rationnelle à ces choix hallucinants. Le piano, je vois bien : c’est la classe, ça fait tourner les têtes, et puis un piano droit dans le salon, même chez le prolo désargenté, ça en jette. La guitare, c’est encore le must, le truc qui jamais ne se démode. Que le môme massacre les classiques de la chanson française, ou s’échine à tenter les solos de Van Halen (en vain, bien sûr), la guitare offre la notoriété d’un instant, et en plus, elle se transporte jusqu’en vacances. Ca n’a l’air de rien, mais si le mouflet devient fainéant, il n’aura pas l’excuse de ne pas pouvoir emmener son instrument pendant les vacances d’été. Efficace, et pédagogique. Mais le morpion, là, celui à la mèche rebelle, il a quoi dans la fiole pour demander un violoncelle, ou encore une mandoline ?!

Je crois que le futur Mozart hérite des désirs castrés de ses parents. C’est obligé. Un môme n’a PAS envie de savoir jouer de la trompette. A six ans, on ne fait pas des bonds en entendant parler de Louis Amstrong. Un gosse, à six ans, ça n’apprend pas la clarinette pour faire comme Sidney Bechett ! A six ans, on a, au mieux, envie de savoir jouer du Henri Dès, ou à défaut, des trucs que nos parents écoutent en boucle. Alors pourquoi diable irait-il jouer de la viole de gambe, le petit salopard ? Parce que ses parents rêvent d’un artiste, mais pas un chevelu crado qui va ensuite jouer sa « musique » dans les couloirs du métro. Le violon, c’est quand même plus classe que le type qui gratouille Stairway to heaven métro Barbès. Alors, ces damnés parents, sadiques, martèlent le crâne mou de la fontanelle du gosse, en lui disant que c’est bien de savoir jouer du saxophone, que ça fait classe de savoir jouer du Bach, du Mozart ou du Haendel, alors que le mioche, lui, aurait juste aimé faire quelques notes pour se marrer.

Je suis convaincu que cette projection massacre énormément de vocations. D’ailleurs, je serais curieux de savoir combien abandonnent, une fois arrivés à l’adolescence. Parce que le bazar encombrant et bruyant, jusqu’au collège, pas de souci, mais une fois goûté aux petits groupes de potes pour « faire un bœuf », difficile d’aller dire à ceux qui font du punk « Dites, y a de la place pour un joueur de clavecin ? ». Ridicule. Sans compter qu’un enfant et discipline, c’est comme associer dans le même propos intelligence et raciste. De là, c’est quand même navrant d’imaginer tous ces beaux instruments, payés à prix d’or, finir dans des brocantes, ou au grenier pour prendre la poussière. Les dépôts vente regorgent de ces instruments dénigrés et oubliés, et attendent parfois longtemps un repreneur de bonne volonté… jusqu’à la prochaine revente.

Mesdames, messieurs, foutez la paix aux gosses. Donnez leur la chance de choisir à l’oreille, en leur faisant savourer quelques beaux morceaux, de sorte à ce qu’ils prennent connaissance de la musique. A six ans, on ne connaît rien à la musique, si ce n’est celle des émissions de télévision, et celle des disques de papa ou maman. Alors, arrêtez de les faire chier avec vos fantasmes de grand musicien, parce que pardessus le marché, si par malheur le loupiot s’avérait être un virtuose, aussitôt la morale bourgeoise se manifestera pour lui dire « la musique c’est bien, en vivre, c’est mieux. Alors tu finis tes études et tu fermes ta gueule avec tes rêves de festival rock dans la Creuse ». Choisissez : vous les voulez musiciens, oui ou non ? Si oui, alors aidez les à s’accomplir, et pas à les tenter d’un côté, pour les castrer de l’autre.

Bonne musique à tous !

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