29 octobre 2010

Série ambiance Volume 3 : cybermonde

Nuit noire dans le ciel, lueurs de néons et de lasers au sol. La ville tentaculaire respirait son air vicié et constellé d’éclairages de publicités, tandis qu’en ses veines pulsaient le flux d’humains interconnectés et toujours trop pressés. Automatisés, régulés, gérés à outrance, les êtres étaient devenus des modules de connexion, des relais de l’information numérique, voire même de simples réceptacles louant de l’espace de stockage à la durée. Depuis l’avènement des connexions neuronales, rares étaient ceux qui déconnectaient, à tel point qu’il y eut des cas de décès par inanition, l’humain interfacé oubliant littéralement de prendre en compte ses besoins physiologiques. Les réseaux sociaux globaux étaient devenus les maîtres incontestés de l’union des peuples, surpassant même le pouvoir des gouvernements. Les grandes entreprises ayant ainsi la main mise sur leurs clients, purent aisément s’immiscer dans les décisions relatives aux états. Certains crièrent au génie par la fin de certaines guerres, d’autres au scandale tant il fut évident que les inscrits aux réseaux globaux n’étaient plus des citoyens, mais des clients de services virtuels.

On ne censurait plus l’information, c’était devenu inutile de par le principe même de la masse. En effet, inutile d’interdire la diffusion de critiques, puisqu’il suffit de la noyer au milieu d’une information formatée, prompte à encenser les réseaux, ceci sous couvert d’être des opinions émises par les membres de la communauté. Se déconnecter ? Pourquoi ? Est-ce utile d’être déconnecté ? Ce furent les grandes tendances sur la toile cérébrale : à quoi bon sortir du virtuel puisqu’il peut s’insérer discrètement et efficacement au réel ? Depuis la publicité s’imprimant dynamiquement sur des espaces vides prévus à cet effet, jusqu’à la prise automatique de commande de produits frais livrés à domicile, n’importe qui serait séduit par l’aisance et l’efficacité des ces réseaux de neurones. Mieux encore, au lieu de subir l’insupportable obligation d’antan de se servir d’un clavier, chacun pouvait rédiger des billets, juste en y pensant, et qui plus est corrigés par le système ! Chacun put se prendre pour un puit de science, citant à l’envi des philosophes obscurs, des auteurs talentueux, et ainsi menant soi-disant la civilisation à son firmament. La violence ne fut plus à l’ordre du jour pour la majorité des « élites », et on se prit à rêver d’un nouvel Eden.

Des pas rapides dans les flaques, des heurts métalliques à une intersection. Ils sont en uniforme, ils courent vite, cherchant à pointer leur cible qui n’arrête pas de leur échapper. Pas marqué, pas fiché, pas de connexion neuronale, impossible à traquer numériquement. Une plaque d’égout glisse et se referme presque aussitôt, tandis que la foule hébétée continue sa déambulation, sans même se préoccuper de cette silhouette vêtue de gris qui vient de disparaître dans une trouée de l’asphalte. La milice cherche, examine, interroge les systèmes de sauvegarde des passants, en vain : le fuyard a brouillé son passage dans la mémoire numérique des soumis au réseau. Plus qu’un pirate, un fantôme, même les caméras de quartier sont devenues aveugles à son passage. Le réseau s’agite alors, les connexions se multiplient, et déjà des hélicoptères scrutent la foule à l’aide de faisceaux très puissants, et nombre de serveurs lancent une recherche heuristique de toute information sur la proie. Rien. Néant. Le démon déconnecté est invisible, il parasite le système sans qu’il soit possible de l’y piéger.

Les gens n’eurent qu’un pas à faire pour céder leur liberté aux majors de l’information sociale. « Laissez nous vous aider à vous regrouper et à vous fédérer, sans frontière de langue ou de culture. Devenez cyberactifs » disaient les publicités. Certains s’offusquèrent, mais même les réticents plièrent et s’inscrirent. Après tout, chaque service, chaque commerce, chaque banque, chaque personne finissait par avoir son point d’entrée dans la tentaculaire banque d’informations ! Pourquoi continuer à jouer les Cassandre, puisqu’il n’y avait pas là de quoi s’inquiéter ? Et puis au pire, on pensait pouvoir couper le flux, se débrancher. Or, personne ne le fit, pas même pour dormir. Les programmes annexes se multiplièrent : activités ludiques, voyages virtuels, thérapie comportementale par connexion directe du praticien au patient, et même simulations sexuelles pour atténuer les frustrations de la foule. En deux ans, ce fut quasiment le monde entier qui devint tributaire, et l’on se mit à équiper les pays du tiers monde, ceci pour leur vendre du bonheur électronique.

Course dans les égouts infestés par la vermine et les rats. Les pas piétinent les déchets du dessus, et se rejoignent finalement. Il fait noir, pas de lumière, pas de bruit. La conversation est informatisée, ils se connectent entre eux mais en dehors des mailles du filet de la cité, ils sont une dizaine et ils partagent leurs idées en quelques nanosecondes. Ils sont prêts à passer à l’action, même si leur plan semble avoir été quasiment éventé. Il faut faire vite, avant que les services de la sécurité virtuelle corrigent les failles de sécurité du réseau. La rapidité est la clé, sinon c’est la mort. Un signe de tête, quelques poignées de main, et l’affaire est entendue. Ils se séparent et prennent chacun une direction différente, en avant pour l’action qu’ils espèrent finale et définitive.

Peu à peu, les opinions se lissèrent dans la toile. En effet, l’afflux massif de propagande millimétrée, ainsi qu’une action aussi rapide qu’efficace contre les critiques permirent au système d’endiguer toute forme de critique. On offrit des moyens illimités aux services dédiés à la traque des résistants, et on leur diffusa des micro programmes spécifiquement conçus pour déformer et reformater les opinions, mais ceci si subtilement que presque personne ne se rendit compte de l’acte barbare que cela représentait. On reconditionna des millions d’humains, faisant d’eux de dociles salariés et consommateurs. Pourtant, une petite population émergea. Discrète, s’organisant vite et efficacement, ils devinrent les nouveaux résistants face à l’omnipotence et l’omniscience de la toile cérébrale. Ils devinrent également la terreur absolue des despotes en col blanc, ceci en réussissant des coups d’éclat comme le sabotage de certaines campagnes de conditionnement, en détournant les mécanismes de publicité, et, leur plus grande réussite jusqu’alors, à immiscer le doute dans nombre d’esprits propices à la réflexion. Bien qu’encore convaincus des bienfaits de la toile, on constata alors que certains se mirent à essaimer les idées de liberté, de droit à la vie privée, voire même de révolte contre le système. On en neutralisa certains, mais les plus « visibles » furent laissés en paix. Un leader d’opinion, aussi factice qu’il soit, ne doit pas être déposé sans raison apparente... du moins pas sans une excellente justification.

Elle est brune, élancée, les cheveux courts, vêtue de sa combinaison grise. D’une mains décidée, elle pose un boîtier contre un chemin de câbles, et bascule un interrupteur. L’appareil bourdonne, vibre et deux voyants clignotent. Elle réitère l’opération à plusieurs endroits, puis, une fois son sac à dos vide, se connecte à son réseau alternatif. Son sourire est radieux. A haute voix, elle appelle ses amis résistants, leur demandant s’ils sont prêts. Tous sourient, ils ont réussi, ils sont en passe de faire leur plus grande action, leur plus grand coup à la pieuvre virtuelle. Ils sortent à la surface, et ils regardent autour d’eux. La foule n’a pas changé, tout est normal, si ce n’est ces uniformes qui cherchent encore et encore cette ombre grise qui leur a filé entre les doigts. Le spot se fixe sur la jeune femme, et un haut parleur hurle des ordres. Elle regarde vers le ciel, sourit à l’objectif de la caméra embarquée. Sur tous les écrans apparaît l’image de cette femme qui brandit un doigt rageur au caméraman. On s’offusque, on hallucine, et dans la foule des explosions de rire commencent. Un homme rit aux éclats, puis un autre, une fillette se tient les côtes, le rire se propage. Puis la femme en gris presse un bouton sur une sorte de télécommande.

Les boîtiers affichent deux lampes vertes. Le réseau change, les données deviennent troubles, les publicités virtuelles se décomposent comme des bâtiments s’effondrant pendant un tremblement de terre. Elle rit. Les soldats veulent l’abattre, mais ils sont pris de convulsions. L’hélicoptère pivote, part en autorotation, et s’écrase contre une façade vitrée. C’est l’incendie. La foule semble soupirer, retenir son souffle, puis revenir à la vie. Le réseau est devenu chaotique, toutes les données jadis censurées refont surface, toute la musique interdite inonde les ondes neurales. La toile n’est plus prisonnière, les verrous ont sautés. En quelques secondes, chacun a pris connaissance de l’horreur de leur existence morne et formatée. C’est l’émeute. Nombre de personnes continuent à s’acharner à tenter une reconnexion aux services, en manque immédiat d’une drogue numérique supérieure à leur propre volonté. Pourtant ils ont réussi, le réseau est dorénavant plombé ici, il ne pourra plus contrôler la mégapole, il ne pourra plus être un maître pervers et cruel.

Une ville, bientôt des nations, et qui sait, si la révolution se met en marche, le reste du monde...

28 octobre 2010

Série ambiance Volume 2 : le fourgon blindé

Il faisait un temps splendide, « un temps splendide pour se faire plein de fric ! » m’avait lancé cet imbécile de David. D’après lui, il valait toujours mieux se faire un guichet quand il faisait beau, parce que c’est plus sympa en cas de fuite si les képis débarquaient en masse. Abruti. Quand on doit sortir d’une banque cernée par la volaille, c’est certainement pas par derrière, au volant d’une bagnole de luxe, mais généralement les pieds devant, ou au mieux les pinces de crabe aux poignets. Quoi qu’il en soit, on avait quand même monté ce plan foireux pour braquer un fourgon plein de la fraîche des hypers de la région. Des valeurs non marquées, plein de biftons, de quoi nous assurer une retraite paisible aux frais des bourgeois !

La préparation fut relativement simple en fait : quatre gus, David, ma gueule, Joseph et Arthur. A nous voir, on était le quatuor classique et cliché de la banlieue de Paname ! David, le demeuré déterminé, issu d’une famille de paumés où les parents picolaient, la frangine pas finie se faisait engrosser presque tous les ans, et lui lourdé du bahut à 16 piges. Pas même le certif’ en poche, presque analphabète... Une horreur sociale. Joseph lui, c’était le finaud, le mec malin qui vivait de l’embrouille et de la magouille depuis deux décennies. D’abord dans la chignole de bagnoles, puis ensuite dans l’ouverture de coffres, le garçon avait fait quelques séjours en centrale pour « mauvaise conduite ». Frêle en apparence, c’était le gars de parole, de confiance, solide quoi qu’il arrive. C’était d’ailleurs avec lui que j’avais plongé cinq piges pour un braco raté d’un bijoutier. L’échec total, mais la leçon de vie : ne jamais se mettre à la colle avec des branques. En un sens, il aurait presque pu faire autre chose, puisqu’il avait de la bouteille comme serrurier, il avait une fille en fixe, pas d’aventure, pas de picole ni de défonce, le mec clean quoi. Son seul vice, c’était le PMU, c’est dire à quel point il aurait pu avoir une vie ordinaire ! Mais le pognon, ça cause quand on en a, pas quand on l’attend des allocs. Arthur, c’était le cas à part, le perché absolu, le gus dont on ne sait jamais ce qu’il pense. Imprévisible, instable, avec des accès de violence incontrôlables, c’était le porte flingue idéal, mais aussi le pire des psychopathes s’il était amené à se défendre. Sa trajectoire était aussi ordinaire que pathétique : gosse battu, DDASS, famille d’accueil de merde, fugues à répétition, la rue, la came, l’hosto, les O.D, la seringue, la haine au ventre. Il n’avait jamais eu un job stable plus d’une semaine ou deux, jamais il n’avait eu une gonze pour le stabiliser. Pas qu’il soit violent avec les minettes, mais sa carrure de déménageur et son caractère sombre en faisait un type peu abordable. Et dire que ma frangine en était barge ! Je lui avais dit de la laisser l’approcher, mais le Arthur, lui, avait la pétoche des nanas. Un gorille ayant la trouille d’un agneau, comique, non ?

Moi ? J’étais passé par l’école du braco très tôt. Un peu de pognon dans le recel, des « cours personnalisés » dans la cambriole, un peu de placard, puis le passage à la vitesse supérieure avec des types du milieu. D’abord des mites, puis ensuite du lourd avec de la joncaille, des sacs de billets dans les banques, et même le plus gros gain en interceptant un fourgon faisant de la livraison de valeurs aux magasins. Seulement, ça peut foirer, même les meilleurs plans peuvent merder ! Au total, dix berges, cinq pour la bijouterie, deux pour vol avec violence (on avait sérieusement déconnés en tabassant le diamantaire), et encore trois réparties en six mois et dix-huit, la première pour une baston à la con dans un resto (j’avais trop picolé... et j’ai démonté le pauvre type aussi beurré que moi), et la seconde peine pour avoir sorti ma pétoire dans une embrouille. Là, le juge avait voulu m’épingler et m’avait bien mouché. Du CV de compétition, hein ?

Le plan était super simple : PM à la pogne, pistolet à la ceinture, cagoule, pelure en cuir, on bloque le fourgon par devant avec un SAVIEM fauché sur un marché, et on bloque derrière avec une R30 tirée sur le parking de la préfecture de Nanterre. Facile : une ruelle bien pourrie, mais pas de circulation, pas de dégagement... On ouvre les portes du SAVIEM, on braque le chauffeur, il lève les bras. Derrière, on descend à deux de la R30 et en joue les trous duc ! Et envoyez la monnaie ! On se tire une bagnole plus haut, une Alfa 33 garée plus haut, et hop la liberté ! Je ne voyais pas ce qui pouvait déconner, et même Arthur, généralement nerveux semblait enfin un peu plus cool. « Ouais mon pote, on ouvre la conserve, on se tape les sardines, on ficelle les rôtis, et c’est parti avec la fraîche ! ».

Ouais mec, direction le cimetière.

Le bahut passa devant notre bagnole, et on embraya de suite le pas. Il roulait pépère, se traînant presque dans la rue. A une centaine de mètres plus hauts, il y avait le SAVIEM bleu en stationnement sur un emplacement livraison. Par talkie, j’ai dit à David de déboîter. Paf ! Le bahut devant lui qui pile, warnings, « On est en panne, j’arrive plus à démarrer » que gueule David par la fenêtre. Joseph ouvre les battantes, et plaf il colle une rafale de FM dans la vitre blindée et gueule « mains en l’air les connards ! ». Et là, je sors de la charrette avec Arthur, on fait pareil sur l’arrière du fourgon. « Ouvrez ou on vous flingue ! ». D’abord pas de réaction, tout se passe calmement, sans un bruit, comme si le temps s’était suspendu. Impeccable, me dis-je en souriant et en visant les deux lourdes portières. S’ils se la jouent cool, ça va le faire. On leur gueule de balancer leurs armes, et les mecs, pas cons, s’exécutent sans trop rechigner. Tu m’étonnes, se faire buter pour le fric des autres, y a rien de plus con ! Un coup de pompe, la double porte s’ouvre, et Arthur et moi on empoche les sacs. L’Alfa est à une dizaine de mètres, nickel, Joseph est déjà au volant, le coffre ouvert. Je fais passer les sacs à David qui se marre. Arthur est zen, tout roule...

Puis la merde a commencé.

J’entends la deux tons derrière nous. Merde, une patrouille ! Ils ont dû être appelés après les coups de feu, et ils étaient dans le coin. Chiotte, ça va chier. Arthur se retourne, il pointe, et tire une rafale en l’air en gueulant « Foutez le camp ! ». Merde, c’est une banalisée, la BRB ou la crim’ ! Fais chier ! Ils s’arrêtent, se planquent derrière les portières de leur R18 break, et ils flinguent. Arthur en prend deux, et avant de tomber, il arrose la bagnole. Merde de merde, un flic sur le carreau, les pruneaux sont passés à travers de la portière ! Fais chier, on est foutus là ! Je fais feu moi aussi, et le flic encore entier recule, traîne son pote, et se barre derrière les caisses en stationnement. A l’autre bout de la rue, c’est l’horreur, une autre bagnole s’engage, sirène hurlante ! On est coincés ! Joseph s’excite, il enquille la première, il fait gueuler le moulin, et je le vois s’envoyer droit sur les poulets. Ce carton ! Le cul de l’Alfa se redresse, puis retombe lourdement. Lui, il a la gueule en sang, ça fume, tout le monde est en vrac. Putain de merde ! David, faut pas traîner, va démarrer une bagnole ! Grouille ! Il lâche les sacs, cavale vers une BM’ garée en avant du carton, et se prend une bastos dans le buffet. Un des flics blessés sort, la tronche balafrée, l’arme encore fumante. Putain ! Foutus pour foutus, j’arrose ce connard... il en prend une dans la cuisse, et se casse la gueule sur le bitume, braillant comme un cochon qu’on égorge.

Je me retourne encore une fois, et je vois les convoyeurs. Ils ont la trouille, ils se planquent. Ils ont refermés le blindé, en attendant que ça se passe. Il y a déjà du monde qui arrive, des renforts. Où me planquer ? J’arrose la rue, un chargeur, puis deux... Et blam, une première dans l’épaule, une seconde dans le bide. Le trou noir. Ils me ramassent, je vais crever...

« Ils sont tous morts » balance un toubib en blouse à un flic en civil. Et l’autre de répondre « pas tous, celui là pas encore... mais ça sent le sapin aux assises ». Et ouais David, t’avais raison, c’était une belle journée, mais une belle journée pour mourir.

27 octobre 2010

Série ambiance Volume 1: Le camp

Ces derniers jours, je me suis attaqué à la rédaction de nouvelles, de sorte à tester des ambiances, des jeux d’écriture, et ainsi m’exercer à différents styles et surtout à une grande diversité de situations. Tout l’intérêt, pour moi, est de pouvoir m’entraîner à jongler avec des atmosphères variées, de sorte à pouvoir m’assurer une capacité à écrire sur à peu près n’importe quel thème. De ce fait, les prochains jours du blog seront consacrés à de l’essai stylistique et « atmosphérique », plus qu’à de la chronique ou à de l’humour (si tant est que j’en sois doté de quelque manière que ce soit).

Bonne lecture, et n’hésitez pas à commenter, râler, préciser si ces textes vous semblent bons ou pas.

Dieu qu’il fit froid cet hiver là ! Nous étions déjà affamés, brimés, torturés mentalement et physiquement par nos geôliers, et voici que le froid s’était mis à l’œuvre pour achever les plus faibles. Les baraquements étaient glacés, invivables, et se blottir dans la paille des châlits ne suffisait plus à nous protéger de la morsure atroce de la bise. Les jours étaient courts, les nuits insupportablement longues, et nous étions réduits à rêver de marcher, de bouger, de travailler, plutôt qu’à rester inactifs dans nos couches infestées de poux et de punaises. J’avais appris des plus anciens à résister à la tentation de me gratter, et surtout à celle encore plus impérieuse de tomber mes vêtements. Que la vie devient uniquement réflexes et sens de la survie ! Pour échapper aux poux, s’épouiller en secouant dehors ses vêtements infestés, et jamais dans les baraques. Pour les punaises, ne pas les écraser, mais les attraper les brûler... Quand le poêle était alimenté. C’est que ces salauds nous voulaient en vie, en tout cas suffisamment pour accomplir nos quotas journaliers.

La harde des détenus était quelque chose d’apparemment brouillon, mais pourtant de terriblement organisé : les politiques d’un côté, les droits communs de l’autre, chacun se retrouvait dans son « camp » en fonction de son origine, son expérience du parti, ou de son éducation. On désignait les gens par un matricule et jamais par un nom, et le mien était cousu sur ma veste de lin brun. Il fallait répondre rapidement, se découvrir au passage d’un gardien ou d’un officier, saluer, puis repartir, humble et soumis, en priant pour ne pas subir une brimade aussi inutile qu’inattendue. Je maudissais ces situations, car tout manquement à la discipline de l’un de nous menait toute sa compagnie à être sanctionnée. Cela allait du saut d’un repas pourtant vital, jusqu’à rester, des heures durant, dans le froid de la cour du camp. C’était une manière particulièrement efficace d’enseigner la discipline aux nouveaux ! Moi, déjà ancien après un an de détention, j’en savais assez pour ne plus me faire piéger : ne pas cacher de nourriture (sauf à la camoufler avec soin), ne pas emporter quoi que ce soit du camp sur soi (et surtout pas d’outils, sous peine de finir au frigo), avoir sa tenue toujours à peu près propre. Le laisser-aller, c’était au mieux la matraque, au pire la mort.

Quand l’hiver se fit ardent, nous eûmes à cesser les travaux forestiers. Finies les déambulations des détenus au milieu des arbres, terminées les balades de santé. Nous étions à présent affectés à de l’entretien des routes, à du déneigement, ainsi qu’au terrassement de chemins menant aux nouvelles constructions décidées par le Kominterm. Le quota ? Tant de dizaines de mètres préparées à la force de nos pelles et de nos pioches, tant de camions de cailloux ôtés de la terre. Mais frapper le sol gelé avec une pioche, cela revenait à percuter une pointe d’acier sur le corps d’un poêle de fonte. On entendait le métal vibrer, sonner, mais rarement l’on ôtait la moindre motte de terre. Pire encore, le gel et la neige reprenaient leurs droits sur notre ouvrage, figeant le sol au fur et à mesure de notre progression. Au départ, on eut le droit de faire des feux pour décongeler, puis, les quotas augmentant et les dotations en stères diminuant, nous dûmes nous résoudre à n’utiliser le bois que pour nous chauffer dans le camp. « Plus question de brûler inutilement le travail des camarades » brailla ce salopard de commissaire politique. A l’écouter, nous étions des saboteurs, des ordures, des moins que rien. Et qu’était-il, lui ? Un parasite du parti, un salaud ayant profité de son éducation pour écraser les détenus. Un frustré au pays de la sueur et des larmes !

Cet hiver là, nombre d’amis moururent d’épuisement, de malnutrition, de maladies diverses et variées. Etant natif des glaces du nord, je savais me protéger de ce climat douloureux, et j’enseignai l’art de sauver les pieds des gelures aussi mortelles que les balles des nazis en leur temps. Le bortch servi aux repas était peu consistant, le pain rare, et la viande inexistante. Anémié, épuisé, nous résistâmes tant que possible, et nous fîmes nos quotas envers et contre tout. Du haut de ma condamnation à dix ans, je savais que j’avais tout de même un espoir de partir libre, enfin, je l’espérais, car c’était ma seule lueur dans l’obscurité brutale des baraques fermées pour la nuit. Calot sur la tête, vêtements bien serrés et ajustés, bandes sur les pieds, mitaines aux mains, je fis mon possible pour survivre, comme tous les autres.

Quels étaient mes crimes ? Ils ont dit « crime contre l’état ». Lequel ? D’avoir une opinion ? D’être quelqu’un de lettré ? J’avais été à l’école, comme tous les gosses du village. J’avais été à la faculté Lénine à Moscou, parce qu’il y avait eu un dignitaire du parti qui avait engagé une politique de « représentation des minorités ethniques au sein des administrations régionales ». Belle étiquette pour exhiber des types de la toundra, des filles de la steppe dans les différentes instances, tout en les avertissant de ne surtout pas faire d’esclandre. J’avais eu la bêtise de suggérer quelques changements, de nous adresser aux producteurs pour comprendre l’agriculture... J’ignore encore qui m’a « dénoncé » pour traîtrise, mais le KGB s’est bien chargé de me faire admettre et avouer mes crimes imaginaires. Le tribunal ? Une fumisterie. Le jugement ? Une exécution capitale camouflée en déportation dans un camp du grand nord polaire. Ma survie ? Je ne la dus non pas tant à la solidarité qu’à l’expérience. Contrairement à l’idée reçue, survivre c’est avant tout de la détermination et de l’envie forcenée de vivre, et pas qu’à la jolie et fantasmée solidarité des détenus. Un détenu, ça n’aide qu’avec un retour, ça cherche avant tout à d’en tirer un jour de plus. Nombre d’égoïstes absolus sont morts, faute d’avoir compris que derrière les barbelés, c’est un prêté pour un rendu, et que l’amitié, cela se construit, mais pas à sens unique.

J’en suis finalement sorti, suite au mea culpa d’un dirigeant en quête de popularité. Pourtant, je fus longtemps traité en paria : impossible de bosser vu que mon carnet présentait un trou de quatre années de détention. Impossible d’avoir le moindre logement décent, faute à cette réputation de pestiféré dangereux qu’avait tout « ancien » du goulag. J’eus du mal à revivre dignement, énormément de mal à revenir à la vie normale d’un soviétique ordinaire... Mais j’y suis parvenu...

26 octobre 2010

Comme une pièce de monnaie

Les histoires sont faites de plusieurs facettes, et bien souvent on se contente d’observer l’une d’elles. Par facilité, un seul regard est supposé nous convaincre qu’une histoire ou qu’un destin puisse être observé d’une seule manière. A mon sens, la Vie, c’est justement l’accumulation des regards, la synthèse des sensations, la compréhension venant en mêlant les points de vues de chacun. Alors, reprenons la vie de l’Albatros d’hier à travers un autre prisme...

Quand Johann est arrivé dans l’entreprise, je n’étais qu’une adolescente parmi tant d’autres, une de ces gosses gâtée par la chance d’être la fille du patron. J’aimais flâner dans les ateliers et observer tous ces gens s’affairant autour des projets de feu mon père. Ils étaient forts, courageux, disciplinés, et ils ôtaient leurs chapeaux et casquettes à mon passage. J’avais reçue la stricte éducation de mon rang, sûre et certaine de ma position sociale, ce qui me rendait souvent arrogante et suffisante. Pourtant, papa eut toujours la bonne idée de me rappeler à l’ordre lorsque j’outrepassais les limites, notamment quand il m’arrivait de devenir dédaigneuse avec les employés. Il n’avait alors de cesse de me rappeler que je leur devais notre fortune, et qu’ils étaient notre richesse. Sans eux, pas d’entreprise, donc pas de biens, pas d’argent, pas de robes somptueuses ni de poupées de porcelaine.

A l’âge des premiers émois, j’avais été présentée à plusieurs familles fortunées, aux fils aussi ingrats qu’imbéciles, boursouflés de cette stupide fierté d’être riche, et rien d’autre. Aussi dénués d’esprit que de présence, ils donnaient dans les ronds de jambes, dans les galanteries surannées qui m’horripilaient. Ils étaient si pédants que je ne pouvais généralement pas me retenir de les piquer au vif d’une réplique acerbe... Je faisais donc le désespoir de mes parents qui me voulaient bien mariée, de sorte à m’assurer un avenir confortable. Bien que doux rêveur, père avait ce bon sens des hommes d’affaires qui ne veulent pas tout risquer sur un coup de dés, et me trouver un époux digne et suffisamment riche faisait partie de cette planification. Mère, elle aussi, bien qu’étant une femme digne, élégante, était également indépendante et intelligente. Elle chevauchait, et s’était éprise de père justement pour son côté aventurier. Dans ces conditions, c’est elle qui lui rappelait à quel point il l’aimait justement parce qu’elle ne se laissait pas faire. Drôle de famille, oscillant entre la noblesse de nom, et le progrès moral et social.

Le jour de l’arrivée de Johann me semble aujourd’hui magique, alors qu’il n’était qu’un jour parmi tant d’autres. J’avais entendu, au détour d’une discussion animée, qu’un jeune arrivait, et qu’il avait peu ou prou mon âge. Il enthousiasmait mon père tant sa détermination l’avait marqué. Et cela me rendit forcément curieuse. Un jeune homme qui impressionne mon père, cela ne pouvait qu’être un personnage à part ! Je me débarrassai alors de ma longue robe blanche ornée de violettes brodées, tombai jupons et rubans de « princesse », tout ceci pour enfiler une combinaison d’ouvrier, une paire de brodequins récupérés dans l’atelier, et enfin visser une large casquette plate de laine noire sur ma tête. J’eus du mal à engouffrer mes longs cheveux raides dedans, puis, satisfaite du résultat, je m’empressai de me mêler à la foule agitée des ouvriers. J’attendis patiemment d’abord, puis je trépignai : comment serait-il ? Ressemblera-t-il à cet énorme empoté de fils des fonderies, à ce gringalet sans âme de la papeterie ? Ou pire encore ? J’en vins à douter de mon choix quand enfin je le vis, et ce fut pour moi un choc. Un sourire, un vrai sourire, dénué de doutes, dénué de toute éducation castratrice, juste sincère et fort. Son allure me fit chavirer le cœur. Il n’était pas une de ces brutes dévolues au travail de force, il avait ce physique de l’élégance pétrie par le travail, le visage de la beauté faite homme. Je tombai immédiatement amoureuse de lui !

Les premières semaines, je n’osai pas m’approcher de lui, de peur de faire un faux-pas, de peur qu’il me dédaigne de par ma situation sociale. Mais je ne pus pourtant pas m’empêcher de l’approcher, d’observer de loin ses travaux et sa progression au sein de l’entreprise. Père l’adorait vraiment, comme le fils qu’il aurait aimé avoir, et, lentement mais sûrement, je fomentai le plan d’être autre chose que la « fille du patron » à ses yeux. Ce fut mère qui mit la première au jour mes intentions. Loin de me dissuader, elle me dit simplement de bien être sûre de moi, de ne pas fléchir, et d’avancer si je l’aimais vraiment. Elle affirma même que père ne serait certainement pas contre une union, surtout si Johann parvenait à créer l’albatros... Mais comment l’approcher ? Comment l’aborder sans passer soit pour une pimbêche avec une robe n’ayant rien à faire dans un atelier, ou pour une tricheuse en enfilant un bleu qui était un symbole de travail pénible et gratifiant à la fois. Je fis alors un choix surprenant en ces temps où les femmes n’étaient pas vraiment acceptées dans ce milieu d’hommes : apprendre la mécanique, et donc faire la même chose que Johann, et peut-être, qui sait, réussir à l’aider dans son labeur.

Père fut d’abord totalement contre, mais peu à peu l’idée finit par passer, en sachant que j’étais fille unique. Quitte à ce que je devienne l’héritière, autant que je sache de quoi était faite le corps et le cœur de l’entreprise ! Ainsi, je tombai la tenue de bourgeoise pour la cote, les rubans et chapeaux ornés de dentelle pour la casquette et les gants de cuir. Chaque jour, je me levais aux aurores, absorbait des pages et des pages de théorie, pour la mettre ensuite en pratique à l’établi. Etonnamment, je n’étais ni maladroite ni effrayée par les outils pourtant dangereux et bruyants. Au départ sceptiques, les ouvriers finirent par m’adopter et m’accorder une place à part entière d’apprentie parmi eux. Je déjeunais avec eux, je vivais près d’eux, et j’approchais ainsi Johann. Nous devînmes très rapidement inséparables, deux amis sur la même longueur d’ondes. Il m’enseigna énormément de choses sur le vol, sur les calculs structurels, sur le pourquoi du comment du vol motorisé. Fascinée, je buvais ses paroles, tant parce que c’était expliqué avec passion, que parce qu’il était l’homme que j’aimais. J’appris ma leçon, la récitant avec talent et détermination, au point qu’il me prit comme assistante.

On jasa, supposa énormément de choses. Lui, il ne me voyait pas comme une épouse ni comme une amante. J’étais plus et moins à la fois, une sœur, une âme sœur, une confidente, une amie... Situation ambiguë s’il en est, mais que j’acceptais sans rechigner. Je me fis infirmière quand il commença à décliner, servante pour lui apporter son sempiternel thé à la bergamote, pour lui faire réchauffer le bouillon qu’il avait oublié de manger en temps et en heure. M’aimait-il ? J’eus le courage de lui demander un jour, et il répondit de son sourire déjà abîmé par la maladie et la fatigue « nulle autre femme ne saurait me plaire autant que toi », et ajouta un baiser sur ma joue. J’étais aux anges, heureuse, troublée, excitée, plus amoureuse que jamais ! On fit donc une vie étrange, faite d’attentions, de baisers délicats, mais de ces baisers qui sont ceux d’adolescents ignorant encore la chair. Allait-on se mettre en ménage ? Allait-on envisager de se marier ? Oui, une fois le projet terminé disait-il, une fois que l’albatros aurait fait son premier vol.

Ce jour fatidique, je lui glissai une note d’encouragement avec un « je t’aime, reviens moi en vie » en bas de la page. Il la serra, et m’embrassa pour la première fois comme un homme et non plus comme un enfant. Il me serra dans ses bras, et me fit la promesse de revenir avec l’avion. Je lui souris avec tendresse. Je l’aimais, ce serait mon époux. J’étais à lui, corps et âme.

J’ai aidé à la manœuvre pour sortir l’avion. Je l’ai aidé à monter à bord. J’ai couru après l’albatros au décollage. Je l’ai admiré dans ses acrobaties. Je l’ai vu se poser à la perfection. Je me suis effondré en le voyant être extirpé du cockpit, les yeux grands ouverts. Il était parti heureux... Mais je crois que je fus la seule à remarquer qu’il serrait un bout de papier entre ses doigts, mon bout de papier qu’il maintenait fermement dans sa main, jusque dans la mort. Il était mort en me disant qu’il m’aimait, il s’en était allé en pensant à moi, en conservant avec lui ce message pourtant anodin, ordinaire entre gens qui s’aiment.

J’ai appris à piloter. Nous avons traversé l’océan ensemble. J’ai été la première femme à faire ce voyage en solitaire. J’ai fait d’innombrables heures de vol avec l’albatros de mon bien aimé. A chaque démarrage du moteur, j’ai saisi le petit papier qu’il a serré entre ses doigts, et je l’ai glissé avec les cartes. J’ai toujours portée son casque en cuir et ses lunettes. J’ai gardé sur mon cœur notre unique photographie. Père m’a appris, sur son lit de mort, que Johann lui avait demandé ma main ce matin là, et qu’il lui avait accordé, en attendant de me demander mon avis. Il m’aurait demandé ? J’aurais été la jeune femme la plus heureuse qui soit. Je t’aimais Johann, je t’aime encore. Je suis bien vieille à présent, mais je pense encore souvent à toi. Quand on m’interroge sur les pionniers de l’aviation, ton prénom me vient à l’esprit, et je parle de toi avec passion. J’ai été mariée trois fois, trois échecs cuisants, car aucun n’avait ta grâce, ton cœur, ta passion, ton ampleur. J’ai eu des enfants, mais ils ne sont pas de toi. Je les aime, mais j’aurais aimé qu’ils portent ton nom et qu’ils soient de ton sang. Ainsi va la vie paraît-il...

25 octobre 2010

Encore un moment de rêverie

Plutôt que de céder à la sinistrose ordinaire qui ne se lasse pas, elle, de nous harceler, j’ai envie de vous rédiger un petit moment de rêverie, un texte hors de tout contexte, hors de toute chronique.

Bonne lecture !

Depuis tout petit, il rêvait de voler. C’était sa seule véritable ambition : s’envoler, très haut, rejoindre les mouettes, les aigles, et filer dans les nuages à toute vitesse. L’idée n’avait de cesse de rester en lui sans arrêt. Enfant, il se couchait dans l’herbe, et il scrutait le toit bleu du monde en jouant de ses petits doigts potelés des chorégraphies improbables. Il enchaînait en rêves des boucles, des tonneaux, des acrobaties osées, et souvent il espérait passer devant le soleil pour que son ombre se détache à tout jamais. De ses lèvres, il imitait alors le vent, il faisait le cri des oiseaux joueurs, pleinement heureux, fou d’amour pour ce ciel infini, cet espace inaccessible aux hommes.

En grandissant, il ne démordit pas du sujet. Il se mit à dévorer tous les ouvrages sur le sujet. Depuis l’aérodynamique, jusqu’aux études comparatives avec les animaux, il fit tout son possible pour être le plus au courant possible. Il avait bien entendu parler des ballons, de ces nacelles d’osier suspendues sous d’immenses sphères de toile, mais lui, ce qu’il voulait, ce n’était pas juste être pendu dans les airs : il voulait réellement voler, pas juste attendre que le vent le porte. Il voulait non pas dominer le vent, mais l’aimer, et faire comme les grandes mouettes du littoral, glisser dessus, étendre des ailes immenses pour n’avoir à faire aucun effort. Alors, patiemment, il apprit énormément de l’anatomie des oiseaux, il se renseigna sur ce que sont les moteurs à combustion interne, et sur ce qui régit le vol et la forme des ailes.

Jour après jour, il découvrit que d’autres avaient pensés aux mêmes soucis que lui. Un tel avait résolu les soucis de la forme des bords d’attaque des ailes, d’autres le fonctionnement d’une gouverne de profondeur, et quelques uns s’étaient même attelés à faire de ces étranges machines volantes des réalités. D’abord quelques bonds, ensuite quelques mètres, puis des kilomètres… « Ca y est, je vais pouvoir voler, vraiment voler ! », affirmait-il à ses frères et sœurs et surtout à ses parents. Patients paysans, ouvriers de la terre, ils se demandaient si leur fils n’était pas un « original », terme poli pour désigner une douce folie. Pourtant, plus par amour résigné que par conviction, ils le laissèrent partir faire son destin, en tant qu’apprenti chez un riche industriel féru de technologie. Celui-ci cherchait des jeunes pour porter de tels projets, avec le secret espoir de récupérer ses investissements en commercialisant ses découvertes.

Il fut rapidement embauché tant il fit preuve d’un enthousiasme enflammé à l’entretien. Il apprit plus précisément la mécanique, à travailler les métaux, le bois et la toile, puis enfin, on lui présenta les commandes des premiers appareils. Du haut de ses quinze ans, il fut fasciné par la rusticité des appareils de mesure, et par le courage nécessaire pour monter dans ces drôles de machines. Pourtant, malgré les horaires, la fatigue, la difficulté à apprendre énormément de choses en peu de temps, il ne céda pas, et démontra sa véritable passion pour les machines volantes. Du statut d’apprenti, on lui proposa rapidement un vrai poste, avec pour objectif final de piloter un avion, celui qu’il aiderait à concevoir. Le financier rêvait d’un nom poétique, d’un bel engin tout blanc… Il proposa alors le nom d’albatros. Tous furent conquis, et c’est ainsi que les premiers croquis furent jetés sur le papier. Albatros, quel nom évocateur ! Fin, élancé, rapide, pur, cet avion devait être le plus réussi de tous. Plus question d’envisager quelques sauts chaotiques, il fallait à tout prix que l’albatros puisse réellement voler !

Les nuits furent longues, les heures de sommeil insuffisantes. S’épuisant à la tâche, il apprit énormément sur les contraintes structurelles, s’affirma comme un véritable visionnaire tant son esprit fourmillait d’idées simples et pourtant efficaces. Du profil de l’hélice jusqu’à la façon d’amortir l’atterrissage, pas un détail ne fut décidé sans qu’il soit informé. De simple salarié, il passa carrément au statut du responsable adjoint du projet à la fin de la seconde année de conception. Certains critiquèrent cette lenteur, mais lui, déterminé, affirma que les autres n’avaient rien fait de concluant depuis cinq années. Il revendiqua même ouvertement que l’albatros mettrait dix ans dans la vue de la concurrence ! Son enthousiasme communicatif ne cessa pas d’épater son patron, ses collègues et même la presse. Il fut prit en photo à plusieurs reprises, comme un symbole de la jeunesse débordante d’idées et d’énergie.

Mais lui, sans repos, sans relâche, et atteint d’une pneumonie contractée dans le froid et l’humidité, il perdit du poids et s’émacia. Les médecins eurent beau lui demander de s’aliter, de se soigner, de cesser de se surmener, il refusa tout net, décrétant l’albatros comme l’œuvre de sa vie. Plus d’une fois on entendit sa toux lourde et sale surpasser le bruit des pilons et des maillets à riveter, plus d’une fois il traîna la nuit entière dans l’atelier, une couverture de laine sur les épaules. Certains le crurent fou, d’autres admirèrent sa force de caractère. Ce fut ainsi : il n’aurait de repos que lorsque l’albatros volerait ailleurs que dans sa tête. Alors, de peur qu’il se tue à la tâche, le patron embaucha un nombre conséquent d’ouvriers pour soutenir l’effort, et l’équipe de conception doubla quasiment de taille. Mais au lieu de le décharger de son labeur, ceci provoqua une recrudescence de travail, car il ne voulut pas qu’on mette au point sans son aide et surtout sans son aval.

On l’entendit tempêter contre la conception archaïque du moteur. On l’entendit exploser de colère contre des plans qui n’étaient, pour lui, « que des copies de X » ou des « vagues imitations sans génie des plans de l’avion de chez Y ». Pas d’hésitation, pas de doute : il fallait que l’albatros soit unique, parfait, idéal, le summum inégalable de l’aviation. On plancha encore et encore, on modifia, ratura, à tel point que certains voulurent fuir le projet devenu vorace en hommes et en énergie. Mais tous se ravisèrent, surtout quand ils comprirent qu’il avait mis sa santé et sa vie en jeu pour l’avion. Une telle détermination ne pouvait tenir que de la vraie passion absolue, ou de la sorcellerie la plus sombre.

Et ce fut le vrai départ ! L’avion sortit du hangar pour une première présentation. Il était réellement unique, incroyablement plus élégant que ce tout qui avait été fait jusqu’alors. Fin, élancé, tout en courbures, le nez arrogant, le moteur proéminent, la verrière parfaitement intégrée, ce monoplan apparut vraiment digne de porter le nom de son homonyme animal. Dans sa robe blanche étincelante, il épata toutes les personnes présentes, le patron y compris. La machine avait un quelque chose d’impressionnant de part sa taille, tout en étant étrangement délicat, presque frêle et fragile posé au sol. On tourna beaucoup autour, se stupéfiant de la finesse des ailes, de l’arc particulier de la queue, ou encore des mécanismes de commandes qui n’étaient plus en apparents. Comment piloter sans câbles ? Tous avaient été rapatriés dans le fuselage pour ne briser aucune ligne, pour ne pas enlaidir un tel bijou d’élégance.

Les équipes furent acclamées, et il fut porté en triomphe par ses collègues. C’était LE géniteur de l’albatros, son âme, son véritable créateur. Humbles, les autres ne se vantèrent d’aucune idée novatrice, alors que tous eurent de véritables coups de génie. Un tel avait conçu les poulies pour régler la dureté des commandes, un autre avait revu et amélioré l’admission d’air du gros moteur en ligne, ou encore un autre avait imagine une manière de chauffer la cellule sans pour autant enfumer le pilote. Tous suggérèrent qu’il prenne les commandes. Il avait tout rêvé, imaginé, dessiné, validé, contrôlé… Alors qu’il en soit le pilote ! Epuisé, souriant, on l’équipa, on lui fournit un casque de cuir et des lunettes. Il sourit à la foule, monta à bord et mit le contact. Le moteur toussa un peu, puis dans un tonnerre, ses échappements lancèrent des flammes, puis enfin une fumée fine et blanchâtre. Le régime se stabilisa, on le vit faire un signe de la main, et il poussa les gaz.

En quelques tours de roues, la piste de gazon fut avalée et l’albatros prit son envol. D’une poussée franche sur la manette de gaz et après une correction de richesse, le moteur prit des tours et l’engin s’éleva avec force et élégance. Plus rapide qu’aucun autre avion, plus souple, plus efficace, il enchaîna montées et descentes, ainsi que nombre de figures sublimes. On applaudit sur le terrain, on surveilla ses cabrioles à l’aide de jumelles. L’avion était donc plus qu’une réussite, il était une révolution totale ! Quelle fierté pour ses parents, quelle fierté pour son entreprise !

Puis l’avion revint en bout de piste. Doucement, il frôla la cime des arbres, puis, sans un problème, posa ses roues, s’affaissa, et s’arrêta auprès de la foule. Le moteur s’étouffa, puis l’hélice cessa de tourner. Mais il ne descendit pas. Il était assis, la nuque rejetée en arrière, deux fines coulées de sang glissant de ses narines. Il mourut les yeux grands ouverts, le sourire béat, les mains crispées sur les commandes de l’appareil. Il avait ramené l’albatros à bon port, il avait créé une œuvre magistrale, œuvre payée de sa vie. Mais il était mort heureux, là où il aurait voulu mourir, après avoir volé dans le ciel, après avoir disputé sa part de nuages aux oiseaux, aux commandes de la machine qu’il avait tellement rêvé étant enfant.
On le sortit du cockpit, on le fit porter à l’infirmerie, en vain. Il était déjà mort, parti à tout jamais.

Personne ne mentionna ce décès, mais l’albatros fut renommé du nom d’Albatros-Johan, en l’honneur de son concepteur. On pleura ce décès injuste, on pleura celui qui avait rêvé d’être un oiseau, mais au jour des obsèques de son fils, un père en larmes dit quelques mots lourds de sens à l’assistance.

« Mon fils a vécu pour l’aviation.
Il était né pour cela. Je ne l’avais pas cru, jusqu’à ce qu’il m’annonce qu’il construirait un avion qui surpasserait tous les autres.
Il est mort pour son rêve, il a vécu pour celui-ci. Il est mort heureux, j’ai vu son sourire quand ils l’ont sorti de l’avion. Jamais il n’avait souri ainsi auparavant.
Ne pleurez pas, il est si rare de vivre son rêve ! »

22 octobre 2010

Manifestations

Ces derniers jours, nous avons eu le droit à la médiatisation à outrance des mouvements de foule contre les retraites, ainsi qu’à l’amalgame lamentable entre des casseurs et ceux qui revendiquent réellement leurs opinions. Que je sois d’accord ou non n’est pas la question, car je préfère, pour le moment, m’abstenir. A mon sens, je ne suis pas spécialement le meilleur analyste pour dire qui a raison, car chacun peut faire valoir des arguments tout à fait exacts... Mais je pense avant tout à certains vrais manifestants, ceux qu’on ne voit qu’une fois, et que les médias oublient ensuite. Pourtant, une fois les caméras parties, rien n’a changé ou presque pour eux. Je songe à celles et ceux qui défendent leurs emplois, à celles et ceux qui luttent pour ne pas finir au chômage, qui veulent vivre dignement, tout simplement. Et si nous regardions un peu un manifestant imaginaire, un type ordinaire, monsieur Personne, monsieur Tout-le-monde, celui à qui n’on ne donnera jamais la parole ?

On était là, tous les anciens, tous les jeunes embauchés, toutes les équipes de production, dans un seul et même cortège, défilant depuis les portes de l’usine jusqu’à la mairie, afin de faire comprendre à tous notre détresse. Nous n’étions pas des voyous, nous n’étions pas des casseurs ni des provocateurs, juste des ouvriers, des manutentionnaires, des gens ordinaires à qui on a jeté au visage un papier signalant que « l’usine fermera ses portes dans trois mois ». Et pourquoi fermer ? Nous avions des clients, nous faisions de l’argent, nous étions tous dépendants de cette foutue machine, et eux, faute de pouvoir dégager d’énormes marges, ont décidé qu’il valait mieux produire loin, le plus loin possible, en sous-payant des esclaves, plutôt que de faire vivre un village et quelques centaines de personnes sur place. Alors, nous avons décidé de résister, afin de montrer que nous n’accepterions pas cela sans nous battre. Travailler, c’était un devoir, et là, on nous avait fait comprendre que cela devenait presque un privilège. Drôle de mentalité.

J’avais toujours connu l’usine. Mes parents y avaient appris le métier, j’y avais été embauché d’abord comme apprenti, puis ensuite comme opérateur, pour finir chef d’équipe. Une vie de labeur, à ne pas compter les heures, à devoir faire des efforts consentis pour que l’usine reste chez nous. Nous avions cette fierté, celle de l’ouvrier content de son travail, heureux de participer à quelque chose tenant plus d’une famille que d’un ensemble d’employés. Les fils et les filles des cadres allaient avec nos gosses à l’école, nous faisions la fête du village sans se préoccuper de qui est le chef de qui. C’était authentique, dur parfois, mais toujours sincère. L’honnêteté simple de ceux qui ont envie d’avancer. Tout simplement.

Les banques avaient foi en l’entreprise, elles prêtaient facilement à ses salariés, parce qu’on disait de nous « celui qui entre dans la maison n’en sort que pour la retraite », et c’était vrai. On m’a prêté sans difficulté de quoi acheter ma maison. Je devais payer de grosses traites, mais c’était finalement facile, car nous avions la certitude de garder nos emplois. Ma femme, que j’avais rencontrée dans l’usine, y faisait sa part, comme presque tout le monde dans le quartier d’ailleurs. C’était un véritable rituel que de voir les ouvriers sur chaînes sortir dans la même tenue bleu horizon, et les femmes en blouse blanche. On se rejoignait, à pieds ou à vélo, et l’on se dirigeait vers la bâtisse massive, sinistre pour qui ne connaissait pas la région, magnifique pour ceux qui en vivaient. On se serrait la main, on se saluait, on ôtait la casquette pour dire bonjour aux femmes, on buvait le coup dans les bars, le café à la pause, et on cassait la croûte au réfectoire, gamelle posée sur les tables en bois qui avaient vues des générations entières d’ouvriers élevés à la dure. C’était ma vie, toute ma vie, toute une chienne de vie foutue en l’air à cause d’une bande de vautours qui rachètent une usine, la démembrent sans pitié, puis qui se gavent des cadavres de ceux laissés sur le carreau.

Les manifestations ? On en a fait plein : débrayages, banderoles, blocage des accès, revendications, distributions de tracts, courriers à tout va, tout ceci pour aller nulle part. Personne ou presque pour réellement s’inquiéter de notre sort. Un jour, cela a dégénéré dans la rue, je ne sais même pas pourquoi. D’abord, il y eut les fumigènes, auxquels ont répondus des jets de pierres. Puis, la charge de la mobile, les matraques, les coups de bouclier, les crânes fendus, du sang, des blessés, des arrestations. J’ai vu mes potes allongés par terre, j’ai vu des types en uniforme le visage boursouflé par les hématomes. On s’est battus, et par miracle il n’y eut aucun mort... Si ce n’est l’espoir d’être entendus. L’usine allait fermer, la firme allait partir, et nous laisser pour seul souvenir des bâtiments vidés de leur substance, de notre pain, de nos vies.

On a reçu plein de gens, depuis des conseillers abrutis de l’agence pour l’emploi, jusqu’aux crétins de journaleux. Pourritures, engeances de la société. Les premiers vinrent me dire que je pouvais me reclasser... A cinquante piges ? Qui veut d’un chef d’équipe de cinquante ans ? Ah oui, à moitié prix, au prix d’un mécano débutant, au SMIG hein... et mon crédit, qui va le payer ?! Eux, peut-être ? Et que dire de ces vendeurs de papier qui vinrent me demander notre avis, pour qu’on raconte notre situation. Qu’en avaient-ils à foutre, de ma vie, de celle de mes gosses à qui je ne pourrais plus payer des études décentes, à ma femme obligée de faire des ménages pour compenser et avoir de quoi boucler le mois ? Du sensationnel, ma vie d’ouvrier ? Connards ! J’en ai bavé dès l’âge de 14 ans, et là, je suis vidé, comme si j’avais fait tout ça pour rien. Les banques, hier compréhensives et généreuses, veulent continuer à toucher leur mise. Ils sont prêts à coller tout le monde à la rue, sans pitié, sans un regard pour les jeunes qui ont des gosses en bas âge. Et de les entendre nous dire « une banque ne fait pas de social », ça me donne envie d’y mettre le feu avec les gestionnaires enfermés dedans.

Et puis la boîte qui faisait des offres du genre un chèque minable pour compenser, l’organisation d’un reclassement à l’étranger... Tout lâcher, pour finir esclave de la machine, et à un prix inhumain ? Est-on si minables pour ne plus mériter de respect ? Honte sur eux, salopards, ordures sans cœur et sans esprit. On n’a pas mérités ça. On faisait des bénéfices, on produisait dignement, on tenait notre place dans la société. Aujourd’hui, on est des sinistrés, des chômeurs en plus dans des statistiques. Comme tout est fini, on n’intéresse plus personne. J’ai envie de vomir quand je pense à ces micros qu’on nous collait sous le nez, à ces fumiers d’élus qui défilaient avec nous. Eux, ils ont encore leur place, ou une rente confortable. Moi, je jongle avec ma femme pour pouvoir payer la baraque, pour pouvoir manger et habiller mes gosses.

Venez me le dire en face, que notre pays défend l’emploi. Venez me l’expliquer en face, que j’ai une chance de retrouver du boulot ailleurs. C’est quoi, votre ailleurs ? Partir ? Perdre deux décennies de crédit ? Compter sur un salaire moindre, sans sécurité de l’emploi, et d’être ensuite viré parce que trop vieux, trop cher, trop compétent, ou encore pas concurrentiel face à un jeune corvéable à merci ? Remballez vos salades, j’en ai trop entendu. Je veux qu’on me rende ma dignité, juste la dignité d’avoir mon travail, comme avant, ma paie comme avant, mes matins frileux avec les potes de la ligne trois, avec les copines à l’emballage, avec les peintre de la chaîne un, avec les gus de la maintenance, avec les nanas du ménage. Rendez nous nos vies, rendez nous notre village, notre avenir à tous. Que vais-je dire à ma fille, dans deux ans, quand elle aura passé son BAC ? « Désolé ma puce, on ne peut pas te payer tout ce que tu voudrais... Va falloir trimer ». Toute une vie pour voir ses gosses trimer à nouveau ? Je les voulais instruits, voilà qu’ils vont devoir bosser tôt eux aussi. Alors, ne venez pas me demander s’il est légitime que certains sont devenus violents, pourquoi certains se sont suicidés, pourquoi j’ai enterré un copain qui a craqué et s’est pendu dans son grenier. A vous tous, les vautours, les mangeurs d’entreprises, je vous dis « je vous emmerde », et osez, si vous avez du cran, me dire que j’ai tort. Et si vous l’avez, prévenez le SAMU...

Voilà ce que j'appelle un hommage

Jackson est mort... on a trop parlé des problèmes d'héritage, trop fait pour les pseudo cérémonies du souvenir, et surtout trop fait d'émissions hommages puant l'argent et la mauvais foi. Combien de ces présentateurs se sont fait les chantres des scandales concernant ce chanteur? Je hais les mangeurs de salades moisies, je déteste ceux qui remuent la merde, mais j'aime ceux qui sont réellement passionnés, ceux qui ont du coeur et qui le montrent sans fard. Regardez ces jeunes danser, faire un vrai spectacle. Ils ont montré la véritable essence de Mickael Jackson, celle de l'art du chant et de la danse! Bravo les gars!

21 octobre 2010

Vindicatif contre la pomme

Cela fait longtemps que je n’ai pas abordé le monde de l’informatique, tout comme celui plutôt étrange des sociétés qui gravitent autour. En effet, établir un débat dessus, c’est généralement prendre de grands risques, car le thème est aussi vaste qu’il est miné. Dans une certaine mesure, la considération que nous devrions avoir pour l’outil informatique devrait dépasser les seuls aspects purement techniques et ludiques, car, en quelque sorte, l’ordinateur n’est qu’un « outil », mais c’est un outil qui permet tant de se distraire, que de véhiculer des opinions. Donc, se cantonner à son lecteur de musique, et à son jeu favori, c’est clairement perdre de vue que l’ordinateur nous permet aussi de parler politique sur la toile, de résister activement contre les dictatures, et de permettre un accès plus large et plus attractif à la culture sous toutes ses formes.

Vous ne vous sentez pas touchés par ces aspects ? Pourtant, rien qu’en me lisant, vous agissez activement concernant la politique, l’histoire, la religion, mais aussi les loisirs. Lire, ce n’est pas un acte innocent. Comprendre, c’est une réflexion, une analyse, voire une réaction pour répondre et discuter. Dans les faits, quand je vilipende quelque chose par le biais de l’informatique, j’agis comme n’importe quel agitateur qui, par le passé, imprimait des tracts ou des livres. Je réagis, je m’exprime, et donc j’use de mon droit fondamental à l’opinion personnelle. Qu’elle aille à l’encontre des convictions des autres, ça, c’est le but même du débat : discuter, raisonner, partager, contredire, et démontrer, si nécessaire, que l’autre a tort. Charge à chacun d’être alors capable de revenir sur ses avis, ou d’en défendre la validité. Aussi loin qu’on remonte, le fait de pouvoir exprimer une opinion a donc permis de faire avancer le monde, et nous par la même occasion.

Cependant, il est plus qu’essentiel de comprendre que l’informatique est placée sur une frontière ténue et dangereuse qui est celle du mercantilisme : où s’arrête le pouvoir de l’opinion, où doit s’arrêter le pouvoir des états, où doit se placer le contrôle des entreprises. Concrètement : que ce soit l’état, le citoyen, ou la société privée, il y a nombre de domaines où des restrictions sont non seulement indispensables, mais surtout indiscutables. Le réseau, les ordinateurs, ces deux mondes qui relient le réel au virtuel provoquent un conflit jamais apparu auparavant : quand l’entreprise devient vecteur d’opinions, est-elle habilitée à jouer un rôle de censeur ? A-t-elle une obligation d’action à l’encontre de ses clients/utilisateurs ? D’un point de vue facilité de l’esprit, on serait presque tenté de dire oui. Par exemple, on serait aisément rassuré de se dire que X, fabricant de programmes pour accéder au réseau, a placé un filtre interdisant l’accès à des sites comme ceux des pédophiles, ceux des extrémistes religieux, ou encore à des plans de fabrication pour des bombes artisanales. Mais est-ce acceptable ? Fondamentalement : non. Et je vais m’expliquer sur ce point.

L’entreprise n’a pas pour rôle de décréter ce qui est moralement acceptable, pas plus que d’édicter des lois arbitraires à ses clients. Il y a ce qu’on appelle un cadre légal, cadre qui existait avant l’avènement de la toile, et qui perdurent dans le virtuel. On ne peut pas dire n’importe quoi, on ne peut pas insulter n’importe qui. On peut dire ce qu’on pense, mais il faut savoir argumenter, défendre, justifier ses propos. Etre gratuitement insultant, c’est à mon sens une preuve d’imbécillité, même si sur le fond on pourrait soutenir celui qui insulte. L’exemple typique, c’est celui d’un usager du réseau qui insulte un militant fasciste. Il n’a pas tort sur le fond, mais sur la forme, il ne fera qu’alimenter le moulin du fasciste en question. Au surplus, il prêtera le flanc à la critique, et même pourra, le cas échéant, être condamné par un tribunal pour ses débordements. Ces lois existent déjà, alors pourquoi une entreprise, sans cadre légal sur ces thèmes, sans compétence juridique, pourrait agir par devers ses utilisateurs ? C’est tout bonnement inacceptable.

Le second aspect délicat de ces sociétés, c’est qu’elles sont aujourd’hui tant productrices que distributrices. En effet, le cas qui m’intéresse aujourd’hui est celui des appareils Apple, et surtout de sa future mise à jour du système d’exploitation de ses machines (les fameux Mac). Pour les néophytes : majoritairement, vous avez un PC avec dessus un Windows. Mac OS, c’est le pendant Apple de Microsoft Windows. Si je schématise, les machines Mac sont donc équipées d’un système Mac OS, système introuvable (légalement) sur un autre équipement que celui d’Apple.

Vous êtes toujours là ? Pas perdu ? Parfait, continuons.

Actuellement, Apple a appliqué une politique commerciale quasi unique sur ses appareils mobiles que sont les génération successives de Iphone, et le nouvel Ipad. Schématiquement : pour installer un programme, un seul point d’entrée : le « store », qui est un magasin virtuel entièrement contrôlé par Apple. Vous voulez une application ? Passez par le store, vous y trouverez, à mon avis, votre bonheur. Jusqu’ici, c’est séduisant, non ? Pas de surf inutile, pas d’obligation de devoir peser le pour et le contre entre cinquante solutions quasi identiques et qui ne se démarquent pas spécifiquement les unes des autres, bref, un véritable magasin virtuel, simple et efficace. Seulement, qui dit magasin, dit forcément choix. Le store distribue pas que des programmes Apple, mais aussi ceux de différentes sociétés, et c’est ça qui en fait toute la richesse justement. Par contre, Apple a toute prérogative pour interdire un produit, et ce pour n’importe quelle raison. Concrètement, Apple interdit toutes les applications dites « pornographiques », et a interdit jusqu’à encore récemment tout programme susceptible de faire concurrences aux leurs. Mais comme Microsoft, en son temps, a été condamnée par la cour européenne de justice pour des pratiques analogues, la firme est revenue en arrière, et l’on trouve enfin des solutions alternatives aux produits estampillés Apple.

Par l’intermédiaire de sa dernière « messe », Apple annoncé les prochaines mises à jour de son système. Et là, le drame : la stratégie annoncée est d’agir de manière plus ferme avec les systèmes, à réduire les marges de manœuvre des utilisateurs, le tout pour offrir une expérience plus fiable avec les machines Mac. Notez ceci : quand je parle de « messe », ce n’est pas péjoratif, mais les présentations des produits Apple sont nommées Keynotes, et sont très théâtralisées. Aussi informatives que enclines à la propagande, une keynote est donc de la communication de Apple pour les utilisateurs de Apple. Concrètement, l’idée est donc d’appliquer la même stratégie pour les machines de bureau Mac que celle présente sur ses produits mobiles. Expliquons rapidement l’intérêt : contrôle qualité (qualité logicielle, pas qualité de contenu) optimal ou presque, validation des programmes qui peuvent finalement être bannis s’ils se révèlent mauvais à l’usage, et j’en passe. Fort bien. Le client final y trouve son intérêt, car fini la course au logiciel, fini les risques de virus, arnaques… Mais c’est aussi une problématique bien plus grave qu’il n’y paraît. En quoi une société peut-elle donc trier les programmes qu’elle va distribuer ?

Schématisons un peu la problématique : est-ce à Apple de dire qu’il n’est moralement pas acceptable d’avoir des programmes qui affichent des images pornographiques ? Est-ce à Apple de décréter que tel ou tel jeu est offensant, malsain ? Est-ce enfin à Apple de décider, sans la moindre explication, qu’un programme X n’est pas bon pour ses clients ? C’est ce qu’on appelle de la censure. Ce que je fais de mes appareils, ça ne les regarde pas. Qui j’appelle, non plus. Sur quel site je vais, encore moins. C’est à un état, à des structures juridiquement encadrées de traiter ces problèmes, pas à une société privée. Pire : une société a pour but final de faire de l’argent. A quand un financier intégriste qui injecterait des millions pour que les appareils Apple censurent une partie du réseau, puisque tous les appareils ou presque à la pomme revendiquent la connectivité à la toile ? Je ne saurais tolérer une telle attitude.

Distribuer des logiciels, ce n’est plus vendre des disquettes sans inquiétude. C’est un acte qui peut devenir moralement limite, mais également une responsabilité lourde à porter. J’estime donc qu’une société doit absolument savoir se faire aider pour agir de manière concertée et intelligente lors de l’acceptation, ou du refus de distribution d’un programme. Interdire un jeu qui met en scène de la torture ? Je n’y vois pas trop d’inconvénient sur le fond, mais ce n’est pas à Apple d’en décider. Que la société se fasse écho de ce problème auprès de structures légales, là, il y aurait déjà une démarche plus citoyenne. Pas question d’une action unilatérale.

Enfin, la liberté d’expression, c’est pouvoir décrire ce qu’on apprécie, tout comme ce qu’on déteste. Je suis libre de penser que les appareils Apple sont bien finis, design, ergonomiquement bien faits. Je suis tout aussi libre d’installer les programmes que je désire, sans avoir eu au préalable demandé l’aval d’un inconnu dans une firme dans laquelle je n’ai aucun rôle. Les entreprises n’ont pas à devenir des substituts à la loi.

Description de la mise à jour du système Mac Os, et son fil de discussion enflammé entre amateurs des produits Apple.

20 octobre 2010

Rien ce soir

Oui je sais, c'est faire un message inutile que d'informer de la sorte que je ne rédigerai rien... Mais je préfère prévenir que de laisser planer le doute. Donc: rien ce soir!

A demain!
Jefaispeuralafoule/Frédéric

19 octobre 2010

Une belle histoire en BD

Cliquez sur l'image pour accéder à cette BD chez Kek (également disponible en librairie!)

Poésie sans titre

Pose tes mains sur tes souvenirs,
Couve les tendrement de tes doigts.
N’oublie jamais tous les plaisirs,
Car c’est tout ce qu’il restera de moi.

Ne laisse pas le passé te maudire,
Laisse le derrière toi, mon amour.
Tu sais que je veux tes sourires,
Ne me pleure pas pour toujours.

Bientôt je rejoindrai seul le néant,
Et je te laisserai seule ici bas.
Ne me suis pas comme au temps,
Où nous marchions dans les bois.

Serre moi encore contre toi,
Que je parte avec ta chaleur.
Embrasse moi encore une fois,
Et sèche moi ces larmes de peur.

Je ne suis pas courageux, tu sais,
Moi j’ai peur du grand départ.
Je resterais volontiers, tu le sais,
Mais le destin a choisi sa part.

Pardonne moi de partir ainsi,
Mon corps choisit de mourir.
Pardonne moi de te quitter ainsi,
Mon cœur continuera à te chérir.

18 octobre 2010

Maudissez votre barbe

Ah les hommes, ces primates qui se supposent supérieurs parce qu’ils vouent un véritable culte démesuré et stupide à ce qu’ils osent appeler civilisation ! Ces imbéciles, pétris dans la conviction ignare qu’une vie ne peut pas s’envisager téléphone portable et sans la détention d’un véhicule à quatre roues, persistent encore à croire qu’il faut modifier les aspects physiques inhérents à sa condition d’héritier génétique (supposé) du singe pour être heureux. Abrutis que nous sommes, mâles monomaniaques du déodorant, du gel douche et du shampoing aux œufs, les cosmétiques ne sont qu’un moyen pour rassurer et nous différencier de l’animal ! Hé oui, sentir bon, c’est une façon d’affirmer haut et fort « non, je ne sens pas la bête fauve revenue d’un sprint derrière une gazelle qui d’ailleurs s’est fait la malle ».

Mes amis, messieurs, notre sort n’est guère plus enviable à celui des femmes finalement. Elles, ce sont le gambettes, et voire plus encore, qu’elles doivent passer sous le fil du rasoir pour prétendre à une pseudo beauté. Les jambes, pourtant, ça se camoufle aisément sous le jean, le pantalon, que sais-je encore, la mode n’étant pas avare en artifices textiles. Mais nous, idiots simiesques dont les joues, le menton et le sous blase s’ornent d’un dru et insupportable duvet, nous sommes condamnés par les esthètes de la mode, et accessoirement nos employeurs/clients/promises (inutile de rayer quoi que ce soit, les trois se mettent d’accord sur ce point clé de notre présentation) à nous raser aussi régulièrement que possible. Que du bonheur : il faut donc, à les écouter, passer une ou plusieurs lames effilées sur ces zones de notre face, de manière à faire disparaître temporairement une pilosité pourtant naturelle. Si ça, ce n’est pas du sadisme...

Tous les hommes connaissent ce rituel débile des matins « céphalorectaliques », cette obligation d’être correctement éveillé pour se mettre à tondre nos poils, alors que, justement, le matin est plus propice aux bâillements et autres étirements à répétition. Alors, cela commence par la mise en condition avec de l’eau chaude, puis l’étalement gras et insupportable d’un produit quelconque supposé vous offrir une couche protectrice. Foutaises ! Cette mousse, ce savon à barbe, c’est histoire de voir où vous passez votre rasoir mécanique, pas pour préserver votre derme du scalpel qui glisse à quelques microns de lui. Sensation désagréable s’il en est, il ne faut, au surplus, surtout pas trembler, sous peine de ressembler à un plan de lignes de métro où toutes les voies seraient représentées en rouge vif. Merci au crétin qui a inventé cette saleté d’ailleurs, car le rasoir manuel est à lui seul une arme ! Quel homme ne s’est jamais épluché la tronche telle une patate avant le bain fatal dans l’huile ? Quel mâle n’a pas vertement insulté Bic/Wilkinson/Dieu sait quelle autre marque pour la qualité infâme de son produit ? Je hais les rasoirs, presque autant que les femmes doivent haïr la cire pour les jambes.

Tant que ce sont des surfaces planes ou presque, cela peut aller, mais avez-vous déjà vu un visage en deux dimensions en dehors des affiches de tabloïd ? Me concernant, j’ai un visage où les arrondis prennent plus part au dessin que les lignes, ce qui a pour conséquence directe d’offrir un terrain fertile aux coupures et autres décapages épidermique. Comble de joyeuseté, il y a cette foutue zone dite du « ramasse-miettes » qui est logée entre le blase et la lippe supérieure, cette foutue petite surface qui nécessite des trésors de patience et de précaution. Encore un peu, glisse douuuu... Et merde ! Vite, le stick hémostatique, on pose, et AIEEUUUHHH ça pique cette connerie ! D’autres, moins héroïques, usent du papier toilette taillé en petits carrés fort esthétiques au sortit de la salle de bains. Magnifique, j’ai la silhouette d’un Botero mal fait, et maintenant j’ajoute à cela un faciès à la Arlequin ! Quelle plaie !

Finition ultime, on colle un baume quelconque pour soulager la peau, pour la détendre. Ca aussi, quelle arnaque. Le but, ce n’est pas de relaxer la peau, c’est de brûler tout l’épiderme de sorte à oublier la morsure des coupures du rasage, et donc vous faire croire que vous venez de laisser votre visage tout entier dans l’évier. Salopards ! Merci, mais très peu pour moi. Allez, on tente le rasoir électrique. L’homme veut être moderne ? Alors essayons la modernité, offrons à ma trogne l’outil adapté à mon statut d’être humain ayant l’électricité à son domicile. Mieux que tout, la bête fonctionne aussi sur batterie ! Même plus de fil à la patte ! Ouais ! Vrombissement inquiétant, vibration peu engageante, tentons tout de m... Rhaaa cette saloperie ne coupe pas, elle arrache poil à poil ! Enfoirés ! Vous voulez imaginer la douleur engendrée par ce bidule ? C’est assez simple en fait : envisagez qu’un sadique se soit pourvu d’une caisse d’épingles de couturier, et qu’il ait décrété qu’il pouvait en planter un bon millier au centimètre carré sur votre peau, puis, qu’au bout d’une bonne semaine de cicatrisation, il s’amuse à les enlever par paquets de cent. Sadiques ! Margoulins ! Ordures ! Je fais quoi là ? J’ai la face moitié épilée, l’autre encore couverte d’une barbe naissante. Pour un peu, d’un côté je pourrais passer pour le père noël, de l’autre pour un bagnard eu égard à mes cheveux courts....

MODE, JE TE HAIS !

17 octobre 2010

beaucoup de temps avant de me décider

J'ai écrit cela en mémoire d'un second père, un ami que j'ai profondément aimé... Et j'ai mis énormément de temps à me décider à le publier ici.

Bonne lecture.

Il a quitté ce monde samedi soir,
Dans le froid d'une chambre blanche.
Il a quitté sa famille dans le noir,
Et la vie a pris sa petite revanche.

Il me manque déjà, mon deuxième père,
Celui qui a su être là à chaque instant.
Il me manque douloureusement, je perds,
Celui qui ne s'effacera pas avec le temps.

Adieu ou à bientôt selon nos croyances,
Moi je vous dis monsieur je pense à vous.
Vous me manquez et en moi la souffrance,
Me parle de notre passé pas toujours doux.

Que de souvenirs à étaler sur la table,
Que de moments à souffrir en commun.
Aujourd'hui un vide très désagréable,
Me rappelle combien je vous aimais bien.

Adieu à vous l'ami de toute ma famille,
Adieu à celui qui a su me réconforter.
Et très vite mes yeux s'équarquillent,
De larmes versées sur mon coeur dépité.

15 octobre 2010

Témoin de la fin

J’ai déjà évoqué à maintes reprises le ridicule de la lecture du devenir de l’humanité à travers ses angoisses liées à la fin du monde en 2012, ou encore par sa paranoïa permanente à l’encontre de la différence. Nombre de gens tremblent à l’idée qu’il puisse exister un ennemi latent, sournois, monstrueux, tapis au sein des gouvernements, et prêt à réduire l’humanité à néant sur une simple décision contresignée dans un obscur bureau anonyme. Mais nous, chacun de nous, comment pourrons nous réagir face à la fin, face à la destruction, si celle-ci se révélait inexorable et inévitable ? Que deviendrions nous, si ce n’est des bêtes sauvages, tout aussi affolées que les animaux paniqués lors d’un incendie de forêt ? y songer se révèle passionnant, et mérite que je me penche sur la question par une lecture très personnelle de notre « destin » supposé.

C’en était fait. Tels furent les mots qu’auraient pu poser tout analyste face à notre situation d’humains condamnés à disparaître. Le pire était finalement arrivé, nous devions nous plier à l’évidence : d’ici quelques jours, voire quelques heures, nous serions réduits à néant, à tout jamais. Et pourtant, tout ceci semblait tenir d’un mauvais scénario de cinéma catastrophe, d’une mauvaise histoire de roman de gare ! L’homme sera anéanti d’ici peu, et chacun aura à trouver sa place non ici bas, mais au ciel, ou en enfer. Que s’était-il passé ? Trois fois rien finalement, l’absurdité étant dominante dans toute cette affaire, car, au fond, nous n’aurions rien pu y changer. « Ils » se disaient venir de notre futur, d’un lointain futur où l’on avait estimé que nous autres, humains à peine sortis de l’obscurantisme, nous étions voués à disparaître tant nous étions dangereux pour nous et pour le reste de l’espace. Ils n’avaient pas tergiversés, et l’annonce fut en effet très claire : ce serait la fin d’ici demain midi.

Tout d’abord incrédules, les images forcèrent l’humanité à accepter cette vérité. Ce fut d’abord le sort de nombre de capitales qui exprima l’horreur de la dévastation. En quelques instants les plus grandes mégapoles disparurent, tout simplement vaporisées sous la forme de cendre et de vapeur d’eau mêlées, puis retombant en pluie noire poussée par les grands vents. Pas de lumière vive, pas de « laser », rien qu’un immense maelström, comme un nuage sinistre qui se forma sur ces cités pourtant si orgueilleuses. Sans grande détonation, elles s’évaporèrent, ni plus, ni moins. En quelques secondes, des dizaines de millions de morts. En quelques minutes, plus d’un demi milliard d’âmes se séparèrent de cette vie terrestre.

Effarés, les médias couvrirent les évènements avec brutalité, sans avoir vraiment le temps de réaliser l’impact visuel et moral sur l’humanité survivante. Ceux qui avaient vu au loin ces villes tomber furent rapidement souillés par ces pluies d’horreur, couverts par cette boue faite des cendres de vies carbonisées, outragés par l’absence de sens de la situation. Alors, nombre de personnes se mirent à prier un Dieu, parfois même un Dieu d’un autre, choisissant un peu au hasard un refuge spirituel pour trouver un peu de réconfort. On vit affluer les foules dans les églises, les synagogues, les mosquées, les temples. Des milliards de cierges éclairèrent la nuit, on fit des veillées, des retraites au flambeau, on déambula dans la rue en chantant, en communion humaine avant l’extinction définitive de notre race. D’autres choisirent l’exact opposé en s’enivrant, en pillant, en profitant des derniers moments de vie en libérant leurs pires instincts. Il y eut des fusillades, des bousculades, et énormément de morts en vain. Pourquoi défendre un commerce qui, de toute façon, était voué à disparaître ? Certains, enfin, se donnèrent la mort avec leur famille, choisissant de ne pas laisser leur sort à des inconnus, à des monstres froids et calculateurs qui avaient d’après eux, estimés que notre existence était une injure à un équilibre cosmique quelconque.

Et puis, finalement, les heures s’égrainèrent sur les clochers et les montres. Au petit matin, le soleil se leva ou se coucha pour chaque fuseau horaire. Tous, nous scrutâmes le ciel avec curiosité et presque indifférence. La nuit avait porté conseil, il nous fallait accepter notre sort, peut-être tout simplement parce que nous étions impuissants à changer notre destin. Beaucoup d’entres nous se changèrent et choisirent leurs plus beaux vêtements. On vit des enfants en costume, des mères dans des robes jamais sorties de peur de les abîmer. On vit des gens se serrer la main, s’embrasser, se dire adieu avec les larmes aux yeux. Quelques uns, avec le courage et la dignité propre à certaines âmes, eurent ce sursaut de se tenir droits, fiers, un sourire d’orgueil sur les lèvres. Mourir ? C’est le destin de tout homme, c’est l’avenir de chacun. Quitte à mourir ce matin, autant le faire dignement.

On écouta tous la radio et la télévision dans la rue. Les politiques agirent comme nous. D’abord jaloux de leurs prérogatives, ils comprirent qu’il serait inutile de vouloir raisonner ou gérer quoi que ce soit. Alors, eux aussi, se mêlèrent à la foule dans les rues. Les derniers journalistes, les plus déterminés, les plus fiers de leur métier, persistèrent jusqu’au bout à émettre. On entendit avec émotion ces présentateurs et présentatrices nous saluer, remercier la foule, nous dire à quel point ce fut un honneur de travailler pour nous. Certaines nations chantèrent un hymne, d’autres entonnèrent des airs de paix et d’amour. La foule sut lancer « Imagine » avec fierté, elle sut aussi rayonner dans la beauté d’un Ave Maria improvisé.

Si un jour vous réussissez à voir ces dernières images, vous qui m’écoutez, sachez que la paix fut mondiale, ceci pendant quelques heures. Tous les peuples apprirent à s’aimer, toute l’humanité découvrit qu’il n’y a rien de plus grand que notre existence commune. Ironiquement, les plus grands despotes, les plus grands fous durent apprendre avec cette atroce réalité qu’il faut vivre ensemble pour que cela ait un sens. Sans ennemi, la peur n’existe plus, mais sans humanité, la vie n’existe plus elle aussi.

A présent, je m’en vais rejoindre mes camarades. Je vais périr avec eux. Pas question de me terrer comme certains le font en ce moment même. A quoi bon survivre si c’est pour être seul ? A quoi bon espérer leur échapper, puisqu’ils ont déjà réduits à néant tant de vies ? Les communications, saturées, détruites, inutilisables, ne m’ont pas permis de savoir si certains des êtres qui me sont chers sont encore là, ou s’ils sont déjà morts. Quoi qu’il arrivera, j’espère les rejoindre, où que nous allions. Adieu à tous, je vous ai tous aimés.

Le banc public

C’est assis sur un banc que l’on peut regarder le monde avec retrait. Quoi qu’on en pense, être debout, c’est tendre au mouvement, à la fuite, et surtout à faire glisser le regard sur les choses sans s’y attarder. On ne se donne pas le temps de comprendre ni d’apprécier, et c’est tout juste un souvenir fugace, un cliché flou qui nous reste quand enfin on s’arrête de courir. Alors, cet objet urbain, ce bout de béton ou de fer qui devient une vigie humaine, un lieu fixe dans une marée d’êtres inconnus, un navire amarré à qui l’on se confie en silence pour enfin écouter le mouvement de la foule.

Que d’aventures ont pu être vécues ici, que de baisers se sont échangés avant ma présence temporaire ! Témoin silencieux et patient, le banc a accueilli ces couples, ces amants d’un jour ou d’une vie, et ceci hiver comme été. Stoïque, il a senti le poids des ans, celui des enfants qui grandissent, ou la douleur des jambes qui s’alourdissent avec l’âge. Compagnon d’un amour qui grandit ou qui se meurt, qu’aura-t-il à raconter quand, un jour, on le déplacera ou on le remplacera ? Il ne fait pas spécifiquement beau, il fait même un peu frais, pourtant il ne pleut pas, il n’y a pas de vent. Et il est là, témoin des saisons qui passent, inexorables. Certains ont rompus, d’autres se sont avoués un amour mutuel, mais lui n’a jamais eu autre chose à faire que d’être là. C’est ainsi, les gens passent, les lieux changent, et lui, le banc solitaire, reste à jamais solitaire.

Certains bancs témoignent, comme s’ils portaient de ses marques des tatouages de sentiments qui sont, qui sait, perdus à tout jamais. Un « Julie+Fred » gravé à la pointe d’un canif, un feutre dessinant un cœur maladroit, il devient œuvre de l’art d’aimer, art éphémère d’écrire quelque chose qui est supposé compter pour toujours. Qui s’attendrit sur ces gravures enterrées sous des litres de peinture ? Le passant se moque du souvenir des autres, le banc, lui, le transmet à celui ou celle qu’il accueille sans déférence ni excès de mondanités. Posé dessus, on découvre le monde différemment, car l’on songe à cette femme âgée qui se souvient d’elle-même avec son défunt époux, à cette mère qui revoit son fils devenu grand faisant ses premiers mètres à vélo, ou encore cet homme qui se rappelle à quel point vivre en famille est important. Sourire tendre, parfois désabusé, quelques fois chargé de tristesse, on se sent comme enivré de la vie des autres, âpre et douce-amère boisson de vie et de mort, de petite et grande mort, de celle qui vous pousse à l’extase, à celle qui vous pousse vers le néant.

Sur ses planches, il arrive que la pluie ou la neige s’amoncellent. Les perles glissent dessus, comme autant de larmes de joie ou de peine qu’on verse assis sur lui. Quand les flocons se figent, qu’il est glacé, il devient monolithe discret, îlot étrange au milieu d’un parc ou d’un square. On essuie de la main, on fait des boules pour se les lancer. Tu témoignes de ton âge par la peinture qui commence à écailler, et l’on se dit que tu as dû voir énormément d’hivers, depuis ceux agréables avec les enfants montant un bonhomme ridicule, jusqu’aux plus tristes où tu as été le dernier refuge d’un homme sans passé ni avenir, venu finir son existence d’être humain sur ton plateau. Tu as senti défiler la misère humaine comme d’autres la voient défiler à l’hôpital ou au cimetière. Toi, le banc, tu sais la pesanteur d’un cœur brisé par le destin, tu connais la noirceur qui s’amoncelle quand on s’enivre pour oublier. Personne ne te regarde, mais toi tu es le témoin de tout, du meilleur comme du pire.

Artistique, ordinaire, délabré, le banc, c’est l’endroit le plus commun et pourtant le plus agréable du monde. Impersonnel et pourtant si doux, tous nous t’aimons pour ton confort temporaire, parce qu’un banc, c’est plus que quelques planches, c’est bien plus qu’un objet urbain parmi tant d’autres. Brassens avait raison en parlant de vous tous, les « bancs publics », où les vies se font et de défont, où les rêves naissent et meurent, où le futur et le passé se mêlent avec facilité. Ils se sont aimés ici, ils ont conçu leur futur ensemble ici, tu les as entendu parler d’enfant, de destin, de tendresse, puis, un jour, tu l’as entendue dire qu’elle ne l’aimait plus, ou alors tu l’as entendu envisager la séparation. Témoin silencieux, si tu avais un cœur, serait-il tendre, charitable, ou juste désabusé par notre humanité versatile et inconstante ? Porte mes espoirs, laisse moi sentir toutes les facettes du cœur de l’homme, car, après tout, je n’aurai sûrement jamais assez de toute une vie pour les connaître.

Bien à toi,
De la part de celui qui aime s’asseoir sur les bancs publics pour rêver.

14 octobre 2010

Lennon est mort. C'est pas nouveau ça.

Je trouve tout particulièrement étrange cette tradition de vouloir à tout prix fêter des anniversaires après la mort de « grands personnages ». En effet, nombre d’évènements apparaissent sous ce genre de prétexte : les trois cents ans de la naissance d’un tel, les cents ans de la mort d’un autre, ou encore l’inusable « s’il était vivant, il aurait… ». En tout état de cause, je n’ai volontairement pas réagi comme la toile à au 70 ème anniversaire de la naissance de John Lennon, tant parce que je ne voulais pas rejoindre la foule qui se souvient tout à coup d’un artiste, mais surtout et avant tout parce que le phénomène me dérange passablement. On va me dire qu’il est bon de se rappeler des magnifiques airs de Lennon (depuis les Beatles, jusqu’à l’intemporel Imagine, ou le revendicatif « Power to the people », ou encore le chargé d’espoir « Xmas »), qu’un tel rêve devrait être perpétué. J’en conviens : je suis le premier à m’émouvoir en entendant la voix à la fois fluette et intense du John, mais pour autant, est-ce qu’il fut le seul à rêver ? Pourquoi lui, et pas Gandhi ou Martin Luther King ?

Cela semble de mauvaise foi : il faut bien se souvenir à un moment donné pour que les chansons d’antan réapparaissent. Là, je dis faux. La culture, ce n’est pas quelque chose qu’on dépoussière pour en remettre une double dose sur les étals des magasins voraces en population consommatrice, la culture, c’est une chose qu’on enseigne, et qui doit se transmettre. Fut un temps, la culture était orale, et les enfants apprenaient les chansons et la vie de la bouche de leurs parents, pas d’un écran plat où défilent pêle-mêle des informations, des clips, et des jeux vidéos. Rien que dans cet esprit, voir qu’un Google ou un Youtube met fortement en avant J.Lennon pour « l’anniversaire de sa naissance » me laisse un goût amer. Cela veut donc dire que les parents ne savent plus montrer à leurs descendants qu’il y a eu des artistes engagés, des morceaux magnifiques, ceci bien avant la Poubelle Star academy, ou qu’il y a eu des films grandioses avant Matrix. Un drame.

Le second point qui me fait grincer des dents, c’est que la foule s’empare alors du souvenir de l’artiste, ceci non pour en revendiquer l’héritage culturel ou intellectuel, mais pour se donner une visibilité. Je serais curieux de voir le nombre de « musiciens » qui ont balancé leur petit « hommage » à John ces derniers jours, et combien se sont vu obtenir une gloriole éphémère. John chantait alors que je n’étais pas né, il est mort alors que je n’étais qu’un bambin, et j’ai appris de mes parents ce qu’il était. J’écoute les textes autant que la musique, mais pour autant je ne me lancerai pas dans une reprise sans talent, car lui seul est dépositaire de ses propres œuvres. Ce que j’entends par là ? Non qu’il soit mauvais de rejouer le passé, mais cela devient inepte quand le but est juste de se montrer pendant une période très brève de souvenir. John rêvait d’un monde meilleur, il l’a chanté, revendiqué, expliqué en long et en large. Il n’a certainement pas eu à l’esprit que d’autres iraient se faire de la notoriété sur ses chansons !

Si je continue dans cet esprit, je trouve encore plus nauséabond l’idée que des annonceurs puissent recycler des airs de « révolte » pour en faire des slogans. « Imagine » recyclé pour des publicités ayant pour but de dire que l’entreprise X a une conscience écolo ? A vomir. Un fabricant d’ordinateurs qui utiliserait « Power to the people » comme recette pour faire croire qu’acheter leur ordinateur, c’est se libérer ? Atroce. Un site de rencontres utilisant la sublime chanson « Love » pour faire payer un abonnement à ses services ? Des baffes ! La chanson, c’est autant un vecteur d’idées qu’un ensemble de notes pour se trémousser. Et donc, en faire tout un foin médiatique, ceci au seul avantage des héritiers et des producteurs détenant les droits, c’est alors bafouer tout l’esprit des chansons à leur origine. Si quelqu’un se lance dans la reprise de ces morceaux, qu’il le fasse avec la conscience qu’il est alors le nouveau dépositaire non d’un air et d’un refrain, mais d’un contenu, d’un slogan, bref de l’âme même de celui qui l’a composé.

Enfin, j’aime les Beatles, j’adore Lennon, mais je ne le glorifierai pas. Tous les hommes ont des parts d’ombre. On a longtemps accusé Yoko Ono d’être responsable de l’éclatement des Beatles. On a longtemps dit d’elle (et aujourd’hui encore) que c’est un vautour assoiffé d’argent. Qu’importe : John, tu as donné au monde des textes indémodables, tu as écrit des airs que tous nous avons dans la tête et le cœur, et tu as su prouver au monde qu’être engagé, ça n’est ni ringard ni mauvais pour les ventes. Vous aimez John ? Ecoutez le. Méditez sur ses refrains. Mais si vous l’aimez vraiment, ne soyez pas, comme trop de monde, le vecteur d’un esprit plus commercial que commémoratif.

Quand j'étais gamin...

... je jouais avec les Lego. Qui ne connaît pas ces petites briques à emboîter? Regardez donc le lien suivant, et hallucinez: quand des adultes s'y mettent, cela donne des choses disons, gigantesques!

Le porte-avions USS Inteprid en Lego! (En anglais)

La galerie FlickR associée

13 octobre 2010

Site culinaire

Ce soir, peu de temps à consacrer au blog... Toutefois, voici une bonne adresse BD et culinaire! Surfez dessus, appréciez l'humour mais aussi les recettes!

Bonne lecture!

12 octobre 2010

Les bonnes pratiques de communication

Dans tous les domaines, la notion de communication s’est incrustée comme une tache de sauce de rôti sur un chemisier en soie. Mais contrairement aux lessives tant vantées dans les publicités destinées aux décérébrées supposées être la cible des annonceurs, la communication, une fois ancrée dans les mœurs de l’entreprise ou de la vie privée est quasi impossible à faire disparaître. A croire que le créateur des fondamentaux de la communication se serait inspiré du goudron, du rouge à lèvres, ou de toute saleté ayant la faculté de souiller définitivement nos vêtements. Et pourtant, nous savons tous que communiquer est le fondamental même de nos sociétés et même du progrès humain. En effet, c’est le langage qui, à mon sens, a permis la fondation de civilisations. Alors, pourquoi suis-je si critique contre ce même fondamental ?

Tout d’abord, j’ai en horreur le concept de communication en entreprise. Appliquée à outrance, la « comm’ » a le don de m’horripiler tant par le fond que par la forme. Tous, nous subissons l’obligation d’en savoir plus sur la société, notre structure administrative, ou sur qui est notre directeur (qu’on ne verra jamais ailleurs qu’en photo ou, au mieux, sur une scène où il se lancera dans des discours abscons pétris par des anglicismes ridicules tels que « cost-center », « productivity » ou encore les « call conferencies » et autres débilités du genre). Dans ces conditions, des journaux de propagande sont distribués, des fortunes sont distribuées en affichages et autres changements de logo, tout ceci pour faire croire que l’entreprise est rigoureuse et bien organisée. Hé, les ahuris, et si vous preniez le temps de discuter avec les larbins pour leur demander ce qu’il se passe réellement en bas, alors peut-être sauriez vous comment produit votre structure ! Et que dire des clichés sur les plaquettes ? Qui sont ces tronches de premier de la classe qu’on met dessus ? Certainement pas des employés, car personnellement, je n’ai jamais croisé aucun de ces mannequins ! Ils se foutent de nous, et ça les fait marrer. Et le pire, c’est que personne n’est dupe ! Le client, tout comme le salarié, chacun sait qu’il s’agit d’une imagerie qui fait « sérieux » (et encore), mais que ce boulot de communication n’a guère de rapport avec le fond.
Je ne suis pas contre de la communication, c’est tout le contraire. J’estime que les gens doivent échanger, partager et s’enrichir mutuellement, de manière à ce que tous nous progressions. Seulement, le souci fondamental est que tout ceci s’avère organisé par des branques qui ne connaissent que le concept de cliché, et certainement pas le terrain. C’est d’ailleurs un des paradoxes : ceux qui parlent le plus sont généralement ceux qui connaissent le moins le sujet. Quoique, il existe d’autres professions dans le même genre, comme les politiciens, les statisticiens, ou encore les journalistes, mais là je pousserais trop loin le sujet. Revenons donc à nos moutons... La communication interne est donc un désastre parce qu’elle ne parle jamais à la bonne personne, ou pire encore, elle ne parle jamais des sujets dont tout le monde voudrait être informé.

Il y a un autre monde qui est littéralement vérolé par le besoin de communiquer, et c’est celui des blogs. C’est un monde impitoyable, où chacun semble vouloir se faire une place. Comme si être présent sur un créneau pouvait représenter quoi que ce soit d’autre qu’une gloriole temporaire ! Bon, je peux saisir l’idée si certains recherchent au-delà de cet aspect, comme par exemple réussir, à terme, à tirer des revenus de leur site (publicité, sponsors...), mais pour les autres, à quoi bon ? Toute la richesse d’un blog, c’est d’avoir une opinion et de la revendiquer, pas de se faire le chantre des idées des autres, ou de les copier sans esprit. Il y a même une population de fainéants et de margoulins qui vont jusqu’à s’approprier les écrits des autres. Déjà, voler du texte, c’est faire preuve d’une incompétence crasse, et d’autre part, si quelqu’un a le malheur de poser une question sur le sujet traité, m’est avis que le résultat ne saurait être bon pour le sagouin de pseudo auteur !
Le second aspect des blogs est celui d’user et abuser de stratégies connues pour être visible : bombarder d’autres sites avec le lien vers soi, intervenir à tort et à travers, tout en glissant ce même lien, ou encore en utilisant des thématiques éculées. Vous voulez faire exploser vos compteurs de passage ? Ajoutez tout ce qui a trait à la pornographie comme « clés » d’archivage, n’hésitez pas à afficher des dizaines d’images dont vous n’êtes pas le propriétaire, et enfin ne faites surtout pas polémique pour rien. Mordre dans le gâteau qu’est la « blogosphère », c’est avant tout goûter à un cake moisi, car celui qui sera le plus visité aura le titre de « leader », et ceci que ses idées/textes/opinions soient bonnes ou pas. De ce fait, pour attirer des lecteurs potentiels mais temporaires, rien ne vaut une bonne diatribe contre le système, car, une fois le soufflé retombé, ceux qui seront venus vous insulter pour vos critiques disparaîtront aussi vite qu’ils sont apparus. Rien de perdu pourtant : vos statistiques démontreront que vous êtes lu, et c’est ce qui semble être essentiel.
Le troisième aspect est financier. Nombre de sites se laissent aller à jouer du sponsoring, mais de manière totalement hypocrite. En effet, nous utilisons de plus en plus les tests et les avis du web pour faire nos achats importants, et nous nous « fions » à l’avis général. Les marques, ayant saisies la balle au bond, fournissent dorénavant des produits aux auteurs de blogs, avec pour consigne à peine cachée d’encenser de manière crédible le produit en question. Certains sont honnêtes et affichent clairement le fait que l’article est sponsorisé, mais beaucoup d’autres taisent cette arnaque, de sorte à ce que le sponsor soit encore un peu plus flatté. La méthode, aussi lamentable que dangereuse, mène nombre de chalands à acquérir des produits pas forcément de moindre qualité, mais sur la foi d’articles biaisés.
Le dernier aspect des blogs aujourd’hui est qu’ils servent souvent d’orientation dans énormément de domaines. Vous voulez trouver un restaurant sympa à Paris ? Un blog saura vous démontrer, essai à l’appui, que telle ou telle adresse est valable. Vous voulez acheter un caméscope ? Un blog vous fera un test, vidéo à l’appui, de manière à ce que vous pouviez juger sur pièce (si j’ose dire). Mais il y a un point commun atroce et insupportable : la plupart de ces tests sont au mieux incomplets, au pire insupportables. Je me fous complètement de la sortie de boite d’un téléphone (c’est la mode de l’ « unboxing » où l’on ne montre QUE la sortie du produit de son emballage !), je veux des informations utiles ! Si je regarde une vidéo, je désire qu’elle soit bien réalisée, pas tournée par un parkinsonien avec une prise son digne de mes pires vidéos au collège quand je découvrais l’usage de la VHS. Si l’on veut faire de l’audio ou de la vidéo, on se donne les moyens de bien faire, car le web ne pardonne pas. Ce qui ajoute encore à l’agacement, c’est le nombre de commentaires « gentils » qui ne visent qu’à attirer l’auteur vers un autre blog (publicité déguisée déjà expliquée plus haut), ou alors rédigés par des amis qui ne veulent pas froisser. Si c’est pourri... Dites le bordel !

Pour conclure, la communication passe tant par le contenant que le contenu : nombre de sites usent et abusent de chartes très jolies, mais dont le contenu laisse franchement à désirer. L’excès inverse est tout aussi pénalisant : je ne lirai pas un blog, si bien rédigé soit-il, s’il est écrit en rose sur fond vert. Notez aussi que la sobriété n’est pas une erreur, c’est même un confort. Je suis un lecteur assidu de sebsauvage.net (voir dans les liens à gauche), car justement la charte graphique est plus que suffisante, et la mise en page est un vrai confort. Je n’aime pas plus le désert que la jungle, donc automatiquement, les abus me gavent.

Arrêtons de communiquer pour communiquer, faisons le pour nous enrichir !

11 octobre 2010

Kawaii

Ce terme (à prononcer kaouahi), aujourd’hui devenu commun sur la toile, est un mot japonais désignant quelque chose de mignon, de craquant, qu’on a envie de posséder et/ou de caresser. Un chaton, par exemple, c’est « kawaii ». Un type qui défonce le crâne d’un autre type, ça n’est donc pas « kawaii ». Dans cet esprit, nombre d’objets, d’images, de choses du quotidien sont touchés par la vague du « il faut que ce soit mignon ». Pour ma part, je crois que je suis exclu de ce mouvement tant l’aspect pratique dépasse, et de loin, celui esthétique tant prisé d’une population en mal de visibilité. Vous doutez de mes dires ? Vous pensez que la « kawaii touch » n’existe pas ? Attendez, nous allons la regarder à travers mon prisme favori, celui qui déforme et dégrade toute image !

Tout d’abord, pourquoi rendre mignon et attirant toute chose ? Pour que « Madame » puisse, tout comme « Monsieur », profiter du dernier cri technologique, sans se sentir exclu par l’aridité de la notice rédigée dans une langue connue des seuls technophiles. Ainsi, le bon vieil aspirateur est devenu un objet design, la télécommande des appareils se doit de prendre des formes aussi anti ergonomiques que proches des sculptures modernes des plus grands musées, et même ce foutu baladeur s’en donne à cœur joie à mêlant coloris et formes improbables. Est-ce utile ? Là n’est pas la question. La question est : est-ce que cela va plaire ? Dans ces conditions, les couleurs acidulées, la forme récurrente du galet « zen » vont envahir votre quotidien.

Auparavant, une chaîne hifi, un magnétoscope, enfin tout ce qui est supposé être technologique prenait la forme d’un monolithe aride, noir ou argenté, avec des boutons et même, comble du luxe, un petit écran restituant des informations incompréhensibles pour le néophyte lambda. Maintenant, la chose se doit d’être agréable à l’œil, s’intégrer dans le mobilier et le style du salon. Pire encore, si l’engin est trop visible, celui-ci devra absolument disposer d’un look ! Les consoles de salon se sont emparées de ce mouvement. Exit les briques grises, noires ou blanches, bienvenue aux formes étranges, et tant qu’à faire anguleuses ! Ah oui, j’oubliais : tout ce qui est riche technologiquement se doit d’être anguleux et sombre, sinon cela semble être un jouet. Et pourtant, depuis quand la forme a-t-elle réellement un rapport avec la fonctionnalité ?

Le monde du gadget électronique est aujourd’hui une norme. Les adolescents, les jeunes adultes, tous se mettent à posséder divers lecteurs, téléphones, tablettes, enfin tout ce qui peut rassurer concernant l’accès aux médias, la communication, et le suivi constant de la « tribu » virtuelle. Mais pourquoi diable faut-il que ces bidules soient agrémentés de choses comme les barbapapa ou plus récemment de Pucca ?! Les voir me flasher au visage de leurs coloris la gerbe me filent systématiquement la nausée. En plus, on privilégie le côté « fashion » sur l’ergonomie. Grandiose de bêtise. Pour moi, un appareil, cela doit avant toute chose fonctionner et bien fonctionner, être facile à utiliser. Pas être une représentation esthétique sans qualité autre que celle-ci.

Il y a un phénomène concomitant à celui du design, c’est celui du « lolcatz ». C’est la concaténation de « lol » (le rire sur le tchat), et de « catz » (chats, chatons, saloperies à poils et à griffes qui ronronnent en votre présence, et vous refont le canapé en votre absence). Qu’a-t-il de si sidérant ? Tout d’abord, il faut savoir que ces chats n’ont d’autre but que de vous faire sourire, voire rire. Ni intelligentes, ni réfléchies, ces images ou vidéos se diffusent à grande vitesse, occupent quelques instants de notre existence, puis disparaissent dans les limbes aussi vite qu’elles sont apparues. Pourtant, en poussant la réflexion, un type (dont le nom et la fonction m’échappent malheureusement) a présenté un rapport assez terrifiant. En effet, on se gargarise de la richesse et du nombre de contributeurs sur Wikipedia. Fort bien… Mais il y a proportionnellement dix fois plus de gens qui pondent ces « lolcatz », et ces mêmes bestioles bouffent des dizaines de fois de plus de bande passante (de débit réseau pour ceux qui n’y connaissent rien) que ne consommera jamais Wikipedia. Conséquence ? Les « lolcatz » sont donc plus importants, sur la toile, que la culture mondiale ! Et tout ça parce qu’un chaton qui se roule par terre, c’est « kawaii ».


Non ! Je ne suis pas « kawaii ». J’ai en horreur les objets inutiles, les bidules qui ne sont utiles que pour suivre une norme ou une mode. Je déteste fondamentalement ces fichiers Powerpoint qui circulent et qui visent à vous émouvoir. Merci : si je veux de belles photographies, je saurai les trouver, et surtout admirer celles de ma famille. Si je veux faire preuve de bons sentiments, nul mail, nulle chaîne ne m’incitera à agir en conséquence. Le mignon, c’est une façon de se dédouaner, de prétendre à être soi-même mignon. Parce qu’une ordure armé d’un téléphone portable rose bonbon (donc par essence « kawaii ») ne sera plus un salopard ?

Alors vite !!! Un t-shirt avec une énorme face de Pucca dessus ! Il m’en faut un!