29 mai 2015

Défendons Timo

Là, je sens que certains vont me regarder de travers, comme si j'étais un traitre à mes propres opinions. J'ai effectivement été virulent concernant le hollandais volant, mais les échanges que j'ai pu avoir avec lui ont toujours été intelligents et cordiaux. Nos divergences d'opinions n'ont en ce qui me concerne pas changé le fait que je respecte ses idées, et plus encore qu'il est quelqu'un qui me semble agréable et intelligent. Pourquoi je parle de défense? Parce qu'une fois de plus, le net démontre sa plus grande faiblesse, à savoir le besoin maladif d'agresser les gens sous couvert d'anonymat.

De quoi je parle?
Commentaires sur son propre article
Les commentaires et l'article en question
Alors, reprenons les faits tels qu'ils sont. Timo a rédigé un article pseudo scientifique, avec pour seul plaisir celui de partager quelques opinions personnelles. De fait, c'est un article de BLOG, et non une référence scientifique absolue, et encore moins une démonstration magistrale d'expertise. Si l'on se devait de rédiger des articles plus complexes, m'est avis qu'un blog serait strictement insuffisant, car un ouvrage serait le format le plus approprié. Dans le cas cité (à savoir l'armure d'iron man), l'évidence est qu'il y a tellement à dire, et qu'il y a tant de technologies en jeu qu'il se révèle impossible, sur un article aussi court, d'être parfaitement exhaustif. Alors, espérer trouver "l'article" absolu, "la référence" parfaite qui fera autorité, c'est comme espérer trouver de l'or en tamisant le bac à sable d'un jardin public.

Sérieusement les gens, avez-vous deux doigts de jugeote, ou est-ce le besoin maladif de reconnaissance qui vous pousse à râler, agresser et insulter gratuitement les autres? La science n'est infuse pour personne, pas plus qu'être omniscient est possible. J'estime qu'il y a toujours à apprendre, et que seule (je cite) "le croche-pied rigolard de la mort imbécile" qui nous interrompt dans la quête du savoir. Quand Timo lance un article, c'est par jeu, par plaisir de voir ce qu'il peut extraire de ses propres connaissances, et l'espace dévolu aux commentaires n'est là que pour échanger, pas pour se poser en tant qu'autorité, et encore moins en accusateur. Les tribunaux staliniens n'existent heureusement pas en France, mais la toile semble visiblement propice aux sessions extraordinaires de ces tribunaux. Tout ça pour quoi? Critiquer un texte s'adossant à un film fantastique, donc à une œuvre de fiction? Qu'on aille mettre en doute des compétences, ce n'est pas illégitime en soi. Qu'on les complète en précisant quelques erreurs, ou en citant des sources, admettons, mais de là à se faire insultant et hautain, il y a là une frontière qui me semble à ne pas franchir.

Comme je l'ai déjà maintes fois répété, rabâché et même ânonné, le savoir est une chose que l'on doit partager, parce que c'est par le partage et l'échange qu'il y a progrès. Se supposer expert, c'est en soi une bêtise, car il s'agit avant tout de prétention et non de constat. Quel est cet orgueil qui pousse celui qui dispose d'un peu de confiture de l'étaler du sol au plafond? Quelle est cette manie de vouloir traiter celui qui se trompe d'imbécile, alors que tous nous le sommes tôt ou tard? La certitude, c'est ce qui rend sectaire. Imposer cette certitude, c'est devenir un dictateur. Dire que l'autre se trompe sous le seul argument de ne pas être d'accord avec lui, c'est du fascisme. Me concernant, les articles de Timo ne méritent pas qu'il y ait autant de bruit. Ils sont ce qu'ils sont, intéressants ou non selon l'opinion de chacun, probablement incomplets et/ou erronés, mais ils ne donnent en rien le droit d'être insultant.

Vous pensez que l'autre a tort, qu'il se trompe? Argumentez, défendez vos idées. La plume est là, elle est libre, elle vous est mise à disposition afin que vous puissiez, le cas échéant, aider l'autre à mieux saisir son erreur. Ce qui m'est insupportable, c'est que par défaut la leçon est aujourd'hui faite non par le menu, mais par la menace. Non: se tromper ne mérite aucun acte de contrition ou de soumission, et se croire important en se faisant plus gros que l'on est n'est à mon sens que pur narcissisme.

J'espère que Timo continuera à écrire ses articles. Ils ne me passionnent pas tous, certains ne m'intéressent carrément pas, mais je tiens à ce qu'il continue, rien que pour montrer aux plus obtus que l'agression ne peut qu'inciter à agir et à perpétuer ce droit à l'expression. Je me suis fait littéralement agresser pour avoir défendu des idées, et je n'en ai pas démordu pour autant. Timo, si tu me lis, fais en autant: leur laisser le plaisir d'avoir "vaincu", c'est déjà reconnaître qu'ils ont raison. Or, le simple fait d'être insultant leur donnent tort. Alors, accroche-toi au bastingage, mords si nécessaire, et montre que tu n'es pas une personne qui se laissera démonter par des anonymes de la toile.

27 mai 2015

Crédible sur la pellicule

J'aime le cinéma, mais d'un amour particulier, celui qu'on peut éprouver quand on regarde un animal particulièrement laid, au regard vitreux, qui tient plus de la serpillère mal essorée que du canon de sa race, mais qui vous rassure et qu'on adore malgré tout. C'est ainsi: j'ai cette tendresse pour le cinoche, ce cinéma soit de genre, soit tout simplement d'action, qu'on s'enquille avec le cerveau dans la poche et le popcorn encore collant de caramel entre les doigts. Il est là, s'étalant pleinement sur une toile gigantesque, vous agressant littéralement la rétine par ses effets et les tympans par ses détonations, mais sans pour autant solliciter votre intelligence ou votre bon sens. Le cinéma, c'est un divertissement, un art qui peut autant s'apparenter à un "sitôt vu, sitôt oublié" qu'à un "inoubliable moment de grâce". Entre les deux, il y a toute la diversité des œuvres, qu'elles soient prétentieuses ou juste ratées. Lesquels aimer alors? Difficile à dire pour faire une généralité, mais aisément définissables pour chacun d'entre nous.

Ce qui me fait systématiquement rire, c'est quand le film tente de me prendre par la main et de me filer des raccourcis stupides pour me faciliter la tâche. Ainsi, les films d'action ont le don de provoquer l'hilarité involontaire, car tant les situations que les ressorts scénaristiques prêtent aisément à rire. Les exemples sont si nombreux qu'il faudrait tout un livre (si ce n'est une encyclopédie) qu'on se doit d'éviter une énumération aussi fastidieuse que finalement inutile. Ceci dit, il y a les clichés classiques, les inévitables accessoires indispensables pour dédramatiser une situation, et surtout les abominations techniques qui tentent vainement de se camoufler dans le bordel ambiant d'une scène à gros budget.

Nombre de sites se sont déjà attaqués à cela, et je vous invite à chercher sur la toile pour vous faire une idée. Mais si l'on reste sur un pied technique, il y a déjà de quoi avoir quelques suées, voire même des moments de "Heu, là non les mecs, c'est un peu gros tout de même". Comme je l'ai dit précédemment, faire une liste serait bien trop fastidieux, mais en y repensant, quelques exemples sont toujours bons à prendre. Commençons par du très lourd, du visuel, bref du si énorme que n'importe quel être pourvu du minimum syndical de neurones peut faire sursauter: Die Hard 4.0. Ce film, à lui seul, est du pain béni pour l'esthète de la technique, car il pourra grogner à sa guise durant tout le déroulement du film. Pour qui n'a pas vu ce "nanar" succulent, je vous invite à vous envoyer cette chose avec des chips et des bières, puis de reprendre la lecture de ce texte avec à l'esprit ce que vous venez de visionner.

Allons-y cher public, amusons-nous!
Dès le départ, on voit qu'on tente d'assassiner des hackers en ayant posé des explosifs reliés à un clavier. Une touche particulière est supposée faire sauter la charge, et l'utilisateur avec. Alors, rien ne choque le spectateur? Pourtant, ça paraît être une évidence! Prenons un peu de quand, une pincée de pourquoi, avec une bonne dose de "Mais c'est stupide". Le quand se résume à "Quand ces cons ont-il pu matériellement poser la charge? Un hacker passe sa vie derrière un clavier, alors quand réussir à monter un piège aussi subtil?". Le pourquoi est encore pire "Pourquoi une touche, sachant que quasi toutes les touches sont utilisées quand on tape régulièrement sur un clavier". Absurde, sans intérêt, et donc juste bon pour le scénario et le côté esthétisé du piège. Un second bout de "pourquoi" peut s'en mêler: "Comment garantir que ce soit la cible qui sera assise derrière le clavier? Pourquoi ne pas le flinguer bêtement et méchamment?". Et pour le "C'est stupide: un hacker, c'est tout sauf un guerrier, un tireur d'exception ou juste un sportif. Un flingue et la question est entendue!".
Enchaînons un peu sur quelques scènes grandioses: il y a une poursuite assez grandiose dans un tunnel routier, où à son extrémité attend un hélicoptère. John, mon cher, NON on ne peut pas balancer un hélico contre un hélico, juste en le faisant prendre appui sur un bout de béton. J'attends de voir quiconque parvenir à faire cela, surtout dans le feu de l'action!". Bien sûr ça en jette, ça permet de lâcher la petite vanne bien sentie si chère aux héros amerloques, mais là, non, juste non et encore non. C'est con, stupide, visuellement léché mais parfaitement ridicule.
Une autre prise au hasard (désolé je ne respecte pas la temporalité du film, mais après tout on s'en fout): le jeune hacker que sauve puis protège notre John national tente un piratage et donc une connexion via un téléphone cellulaire… directement sur un satellite. Admettons que le téléphone soit réellement un appareil satellite (ce qui n'est hélas pas le cas), il est hautement improbable que quelques lignes tapées sur un appareil de ce genre puisse faire tomber les sécurités! Ridicule, mais encore une fois, ça en jette, c'est bien pour inquiéter Mme Michu qui va encore trembler concernant "l'internet des terroristes où l'on vous pique tout jusqu'à votre vie".
Ah oui, j'oubliais le principal: la liquidation. L'idée de fond du scénario est qu'une bande de pirates puisse faire tomber les infrastructures d'une nation en la piratant, et en sabotant donc les communications, le fonctionnement des réseaux téléphoniques, électriques, la signalisation dans les rues, ou encore mettre à genoux tous les systèmes bancaires. Soyons clairs: les réseaux sont certes interconnectés à outrance, mais il est techniquement impossible de tout prendre simultanément. Il n'est pas impossible de saboter les télécommunications, voire les paralyser, mais dans des pays aussi vastes que les USA, c'est de l'ordre de l'improbable. Au mieux cela pourrait mettre un peu de pagaille, mais pas une crise majeure sur tout l'état.
Dernier point, et là on est dans le domaine du comique tant la scène est ridicule: John, debout sur le dos d'un chasseur (oui oui, debout comme un surfeur sur sa planche en fibre de verre), et qui réussit à ne pas se vautrer et finir en steak tartare. Remarque importante: je suppose que le pilote est un abruti, car il lui suffirait de remonter en altitude, puis simplement de cabrer comme un bourrin pour voir son passager clandestin passer pardessus le bord. Meuh non, John est increvable, c'est connu!
Au final, il ne faut surtout pas prêter attention à de telles choses, sous peine de se gâcher l'expérience. Je suis plutôt bon public, voire même du genre à laisser glisser les énormités classiques de ce genre de cinéma: flingues à munitions illimitées, scènes esthétisées à outrance par les ralentis, duels finaux avec un chef increvable, explosions en pagaille, cris de guerre du héros… La liste s'allonge comme une queue devant un magasin d'état à Moscou en 1989. L'énormité de la chose passe parce qu'on a envie de se décérébrer. Mais, dites, faites un effort: on n'est plus à l'ère où les gens ne comprenaient rien. A force de fournir de l'information sur le net, d'avoir des sites qui relèvent les conneries de nos chers réalisateurs, tentez au moins de faire en sorte que cela reste un minimum crédible. Pour la SF, je suis encore plus patient, faute de connaissances en astronomie, ou plus prosaïquement parce qu'il faut des raccourcis techniques pour permettre à l'histoire d'avancer (voyages au-delà de la vitesse de la lumière, bruits dans le vide spatial…).

J'aime le cinéma, pas qu'on me prenne pour un con… sauf si le film est là pour avoir comme seule prétention de me distraire, ce qui est déjà un exploit en soi. Un bon film d'action, c'est marrant, son scénario tient sur un timbre-poste, c'est tout sauf crédible, mais on s'en fout puisqu'on s'amuse! Arrêtons de les vilipender sous prétexte que le cinéma est un art où l'intellect doit se développer. Foutaises: le cinéma est une industrie, qui peut livrer des produits bien finis, des œuvres complexes et nécessitant de réfléchir, comme des bons gros navets produits à grands frais et dont on ne retiendra que l'essence faisandée, celle où la caméra prend trop le spectateur pour un con. Alors, Hollywood, fais l'effort et produis donc des choses qui font rire, mais pas à tes dépens!

21 mai 2015

Incongru

L'âme humaine, quelle belle chose! On la voit comme la clarté du jour, la seule chose qui persiste après la mort, et qui représente toute la différence entre un mangeur de burgers et un ruminant voué à l'abattoir. Elle est belle l'âme humaine, cette capacité à se flatter d'avoir de l'intelligence, à se regarder avec une fierté ostensible d'avoir de l'esprit et de l'humour! Et pourtant, en quoi est-elle si belle, cette âme, d'autant qu'on n'est pas foutus de savoir où on la place.

Depuis la nuit des temps (ou plutôt l'aurore, sachant qu'on ne parle de l'âme que tardivement "grâce" aux religions), on s'interroge sur la place exacte que tient l'homme, et donc son âme, sur l'échelle de l'évolution. Certaines cultures suggérèrent de la placer dans le cœur, d'autres dans divers endroits plus moins étranges. Par-delà les croyances, aucune science, aucun découpeur à vif de carcasses n'a pu être capable d'en pratiquer soit l'excision, soit simplement une identification sûre et définitive. Alors oui, aujourd'hui on parle de l'analyse de notre cerveau, et les plus mal intentionnés décrètent dorénavant que le siège de l'âme ne peut être que cette masse gélatineuse, ceci avant tout pour emmerder ceux qui ont la foi, que pour des considérations purement scientifiques. D'ailleurs, tenter d'ôter l'âme, cela sous-entend quoi? Oter les sentiments, faire mourir "l'humanité" d'un être, ou alors carrément transformer n'importe quel humain en golem, à savoir une bête amorale et soumise? Le doute m'habite, car cela n'est guère plus qu'une lobotomie latérale pratiquée à l'aiguille à tricoter, ou d'une trépanation opérée par un chirurgien à la main fébrile. Dans ces conditions, faire du "soi" un légume, il n'y pas la moindre atteinte à l'âme, puisqu'on n'est plus dans le sentiment mais dans le concret.

Prenez l'âme et demandez-vous ce qu'elle représente. Me concernant, c'est avant tout l'idée un peu surfaite que nous ne sommes ni périssables comme une merguez sous vide, ni même temporels comme notre organisme le laisse entendre. La destruction de l'âme humaine serait, en partant de cette conception immatérielle, parfaitement impossible. Alors, quoi en penser? Si l'âme est supposée s'envoler pour le paradis, on peut suggérer que le trépané voit son âme fuir son corps dès que la foreuse à neurones vient emboutir la masse cérébrale, et que toute tentative d'appropriation chirurgicale est impossible. "Par ma barbe, alors il n'y a pas de lien biologique entre l'âme et le corps!" va dire un émule de Freud en agaçant son bouc du bout des doigts. Sigmund, grand analyste devant l'éternel, serait alors satisfait de pouvoir se débarrasser de ses contemporains en distinguant le corps et l'esprit, et donc de s'approprier définitivement le domaine de la pensée, là où la science balbutie encore à en définir le fonctionnement chimique. L'immense curiosité intellectuelle serait alors de pousser le vice plus loin en disant "Bon. Si le corps se sépare de l'âme, collons un mourant dans un caisson, et mesurons tout écart de poids, de pression, d'humidité et de tout un tas d'autres paramètres afin de percevoir la fuite de l'âme au moment de la mort". Outre l'aspect éthique évident, va-t-on donc préciser la nature physique d'une chose supposée immatérielle? Et puis, allons au-delà du raisonnable et réfléchissons à la réaction mondiale qui s'en suivrait si l'on pouvait affirmer par A+B "Enfermez l'âme de votre belle-mère dans une bouteille en plastique, car l'âme est un gaz particulier qui est émis par le sphincter au moment du décès!". Gênant, surtout quand on songerait, dans cette éventualité, que le paradis ne serait rien d'autre qu'une sorte d'immense réservoir de méthane qui se dilue dans l'atmosphère. Décevant comme paradis, non?

Il y a tout de même une prétention plus qu'obscure à vouloir perdurer après le passage du SAMU, de l'embaumeur puis finalement des asticots. Notre façon de fonctionner prête à rire, car nous sommes bien nombreux à nous croire supérieurs, pour la simple et unique raison physique d'un pouce en opposition. Alors oui, je sais, il y a énormément de gens qui ne se laisseraient pas décrire comme simiesques, et encore moins comme étant au niveau d'un babouin, ceci parce que le babouin n'est pas enclin à s'asperger d'eau de Cologne, ou à s'épiler les pattes pour plaire aux mâles. Toujours est-il qu'il n'y a là qu'une vague capacité à se mettre en avant, alors qu'en réalité nous ne sommes guère plus que des mammifères, nombreux certes, relativement intelligents, mais désespérément entêtés et enclins à nous servir de la dite intelligence à nos dépends. Car oui, nous sommes les seuls êtres sur cette terre à user de notre propre capacité contre nous-même. C'est tout de même incongru de déclencher des guerres, de s'empoisonner sciemment, de chercher le conflit là où il n'y en a pas, tout cela parce que nous cherchons un bonheur terrestre à travers la possession et/ou la domination. On me reprochera, avec un argumentaire à l'appui, de ne pas tenir compte de la territorialité vue par les animaux, ou du comportement vorace de certaines espèces… Soit. Admettons. Mais jusqu'à preuve du contraire, ces comportements sont liés non à une ambition démesurée, mais bien à une nécessité de survie! Quand un pays A attaque son voisin, c'est uniquement par ambition. On ne peut pas déclarer "A a attaqué B, parce que A ne pouvait plus se nourrir". Ce n'est plus d'actualité (ou presque). Non, là l'homme, imbécile qu'il est, va se lancer dans une conquête parce que son voisin détient ce qu'il voudrait éviter de lui payer. Si ce n'était les millions de morts, cela pourrait être presque cocasse…

Et puis, nous avons inventé un moyen aussi incongru que malsain de nous maintenir "stables". L'argent. Ah, le Dieu fiduciaire, l'élément central de notre société, le nerf de la guerre pour chaque être humain! Nous ne fonctionnons plus en terme d'évolution morale, sociale ou même culturelle, mais en terme d'évolution de position économique. Quand une personne ambitionne un poste quelconque, elle sera inévitablement attentive au montant de la rémunération. De ce fait, chaque mécanisme social, chaque élément de vie quotidienne sera dicté par la loi des "petits bouts de papier vert" (D.Adams, auteur de "H2G2"). En quoi ce bonheur terrestre pourrait-il être tributaire de l'impression et de la distribution des bouts de papier vert? Parce qu'ils représentent bien plus qu'un simple morceau de pulpe de bois imprimé, car ils représentent physiquement toute l'obscénité et l'incongruité de notre système. Plus tu as de petits papiers, plus tu es respecté. Plus tu as de piles de papier en banque, plus tu pourras prétendre t'entourer de gens "de ta classe sociale". Et à l'extrême inverse "Moins tu as de petits bouts de papier, moins tu es visible. Et si tu n'en as pas tout court, le monde se moquera de ton devenir". C'est si vrai qu'on se dit que si le papier avait une âme, elle serait aussi noire que le pire cul de basse fosse qui soit. Si l'enfer a un ticket d'entrée, il doit probablement ressembler à un de nos billets de banque.

Le monde est incongru, parce que notre attitude est incongrue. Toi qui rêvais d'être un maître du monde, et qui a emmené des nations dans sa chute, toi qui pensais que la richesse passait par le portefeuille et non le cœur, toi l'imbécile qui se suppose plus puissant parce que ta carte bleue ne rechigne pas à payer le moindre de tes caprices, vous avez tous le même niveau d'estime venant de moi, à savoir celui qui est au pied de l'échelle. On ne décrète pas qu'un être est moins bon si la somme de ses biens est trop faible. On ne décide pas du devenir des gens en les voyant comme des marchandises échangeables contre des petits bouts de papier vert. L'indécence des gens n'a aucune limite. La bonne conscience distillée par les dons aux associations caritatives (pour se rabibocher avec sa conscience déjà bien amochée), l'étendue de l'hypocrisie du "Je ne savais pas" ou du "Je n'avais jamais vu ça avant" n'a aucune valeur. A l'ère de l'information à outrance, qui peut prétendre ne pas voir où va ce monde? La moralité n'est pas prise en défaut ici, car chacun s'adapte et fait "ce qu'il peut". Il ne s'agit pas d'avoir un comportement donnant des leçons, car chacun a ses défauts, chacun s'aveugle et de tait selon ses convictions ou sa position morale. Par contre, faire mine de ne pas savoir, de ne pas voir que l'égocentrisme de l'homme est une folie, c'est immanquablement se refuser toute possibilité de progrès.

L'Homme est parfaitement stupide, et il déploie des trésors d'ingéniosité pour le rester. La folie humaine est incroyable, car elle a autorisé la création d'armes de destruction absolues, la possibilité de manipuler ce monde comme l'on jouerait avec des lego, ainsi que d'accepter que ce sont des automatismes informatisés qui régissent le monde. Qu'on n'aille pas me dire que cette informatique peut être bénéfique: ce n'est pas l'outil qui est bénéfique ou maléfique, c'est l'usage qu'on en fait. On ne dit pas d'un couteau qu'il est cruel, c'est son porteur qui peut l'être. De fait, les programmes réalisés pour la finance, pour la gestion des gens, les projets "sociaux" de très grande échelle sont tous liés par un même raisonnement: le profit. Automatiser la Vie, c'est s'exclure, c'est se mettre en danger permanent. Oh bien sûr, le progrès passe, il donne des opportunités, mais il est aussi malsain et débile de s'y noyer aveuglément. Croire que le besoin est fort, que la nécessité fait loi n'a aucun sens. Nos ancêtres ne se voyaient pas conduire des voitures, aller sur la toile, ou encore devoir lire des livres sur un écran qui tient dans une poche. Ce n'est pas le progrès en soi qui ne va pas, c'est ce qu'on en fait au quotidien. Plus on est connectés… moins nous le sommes socialement. La vérité, c'est que notre humanité doit transcender les existences réelles et virtuelles. Trop de personnes dissocient, en bons schizophrènes, leur identité réelle et leur identité informatique. C'est inepte. Les deux sont intimement liées, et plus encore que l'on pourrait le supposer. Ecoutez donc les discussions, soyez attentifs aux échanges et rendez-vous compte à quel point cela a évolué. Hier, on disait "tu as vu untel?", alors qu'aujourd'hui on dit "j'ai vu machin poster sur face de bouc". Etrange, malsain me concernant… pour ne pas conclure par un "incongru".


13 mai 2015

Elégance d'un froufrou qui glisse

Par le regard séduit d'un homme ordinaire, il passe énormément de choses pour lesquelles les mots sont superflus. On peut les analyser comme retorses, pleines d'envies et de désirs charnels, ou plus simplement alanguis par l'envie d'aimer l'autre. Cette dernière proposition est forcément celle que nul ne prend en compte, car elle mettrait en défaut toute théorie associant le mâle à des sentiments plus nobles. On le voit prédateur, ambitieux et dépourvu d'émotion, alors qu'il est tout à fait probable que derrière ces deux prunelles scrutant une femme se cache un sentiment aussi intense qu'impossible à faire taire. Ah, cet amour qui s'épanche par la vue, qui se tait par les lèvres, et qui se noie dans les yeux de l'autre!

Bien sûr qu'on peut croire que l'homme amoureux a une vue malsaine. Bien évidemment, on lui fera porter le fardeau d'être un de ces millions d'autres hommes plus attirés par le péché que par le cœur. Il est encore plus entendu que s'il se déclare ouvertement, on le prendra pour un romantique ridicule, ou pire que tout pour un idiot candide qui n'a pas saisi que l'autre le repousse en lui tournant le dos. Alors, il se tait, il la voit passer, il lui sourit, il lui dit juste un bonjour gêné parce qu'il ignore tout d'elle, ou parce qu'il ne sait pas comment lui faire saisir que son cœur est prisonnier. L'amoureux, l'ordinaire et sincère pauvre type qui n'a ni talent de plume, ni le physique conquérant des gravures de mode temporaire, ce gars classique, pourquoi est-il rangé parmi les profils obscènes et stupides qu'on nous vend à la pelle? Monsieur Personne, monsieur rien du tout, monsieur toi ou moi en somme.

Et il la voit, radieuse en apparence, songeuse en réalité, possiblement pensive et égarée entre l'envie de ne plus être seule, de ne pas vouloir de mec fixe pour ne pas s'engager trop vite, le désir de vivre encore un peu non comme une mère poule mais comme un papillon libre et virevoltant… Que voit-il? Il ne sait ni lire ni décrire ce qu'il aperçoit. Elle est fermée à son observation, intouchable, belle comme une peinture derrière la vitre blindée d'un musée, telle une Joconde absolue qui aurait enfin du charme. Elle ne désire pas paraître ainsi, elle ne se voit pas comme une porte fermée, et d'ailleurs certains vont jusqu'à lui reprocher l'outrance de ses tenues ou de son attitude faussement délurée. Elle veut vivre, tranquille et heureuse, elle n'ambitionne rien d'autre que d'être aimée et respectée telle qu'elle est. Et lui, ce pauvre type, il est là, il s'interroge, il voudrait lui dire plein de choses, mais les mots ne viennent pas, ou ils semblent si ridicules et surannés qu'il se garde bien de dire quoi que ce soit.

Alors, penaud, un peu triste, juste ce qu'il faut de déception de sa propre lâcheté dans le cœur, il passe son chemin et fait mine de n'avoir rien à dire. Et elle, que fait-elle? Elle le remarque, mais elle se demande à son tour si c'est lui qui s'en va parce qu'elle ne l'intéresse pas. Elle se dit qu'il est peut-être celui qui conviendrait. Il n'est ni absolument beau, ni parfaitement laid, il apparaît avec ses défauts, son physique ni ingrat ni idéal, tel qu'il est, brut et ordinaire. Pourtant, il a ce petit truc qui semble indispensable à ses yeux, sans qu'elle sache vraiment pourquoi. Mais lui a tourné les talons, elle a aimé sentir son regard sur elle, parce que pendant un instant trop fugace, elle a senti qu'il était caressant, tendre, pétri par les sentiments les plus nobles, et pas animal et dépourvu de tendresse. Elle voudrait bien qu'ils soient seuls, qu'ils parlent, qu'ils se présentent, qu'ils se découvrent, mais il a tourné les talons, il s'en va, et même s'il semble lamentable avec ses épaules qui tombent un peu, même s'il hausse les épaules comme s'il était dépité, il a quelque-chose qui lui accroche le regard. Mais comment l'aborder? Etre une femme, ça veut dire rester discrète, ne pas aborder brutalement les hommes, se garder d'être trop "facile", alors qu'elle voudrait bien se rapprocher, le saluer, lui dire qu'elle lui trouve un charme que les autres n'ont pas.

Et ils se croisent, s'écartent et se rapprochent, tanguent et refluent comme le font les algues qui viennent s'échouer sur la plage un lendemain de tempête. Ils se connaissent parce qu'on les a présentés, ils se parlent, se chamaillent, se taquinent, mais ils ne peuvent pas franchir ce pas, aller au-delà des convenances et des attentes des autres. On ne les juge pas compatibles, et quand l'un ou l'autre s'en ouvre à un proche, ce dernier trouve le moyen de s'en mêler et de poser un jugement lapidaire qui dit "non, pas lui", ou encore "elle ne te va pas". Ils ne sont ni méchants ni jaloux, juste aveugles et sourds aux sentiments. Ils se pensent experts, alors qu'eux-mêmes ont des regrets, eux aussi ont des souvenirs analogues, eux aussi errent en solitaire dans l'existence, tout en aimant quelqu'un en secret. Alors, ils se disent un peu sottement qu'ils ne veulent pas qu'un ami se blesse, ou qu'une copine finisse comme tant d'autres avec un égocentrique ou un salaud.

Puis, un jour, au hasard d'une discussion ordinaire, anodine même, il ou elle ose enfin. Ils débattent des amis, des copains, des proches, des anonymes, ils se mettent en perspective, et au final l'un des deux cède aux élans de son cœur. Cela sort tout seul sous la forme d'un "tu me plais", anodin, ordinaire, banal même, pour ne pas dire ridicule. Et pourtant, l'autre l'entend comme on entendrait la plus belle des déclarations au cinéma, comme la plus belle scène d'une pièce de théâtre, comme l'indispensable moment de grâce que toute personne attend de l'existence. Que fait l'autre? Il sourit, il rougit même, et répond à voix basse, les mots chevrotent dans la gorge et sortent sous la forme d'un délicieux "tu me plais aussi".

Les amours naissent parce qu'on les laisse vivre. Ils se déclarent, ils ondulent et se renouvellent au rythme de l'existence. On juge, on donne des critères et on censure allègrement toute tentative de tendresse… Et dire que les amours seraient si simples si on les assumait!

12 mai 2015

Dans la lumière d'une Femme

Dans un monde où la vision binaire des choses semble être la norme, il est dorénavant mal vu, pour ne pas carrément dire interdit et brocardé que d'avoir une opinion pondérée, ou tout du moins intermédiaire. Il y a presque trois décennies, Desproges fustigeait les gens concernant ce mode de fonctionnement binaire, que ce soit à une échelle personnelle qu'à l'échelle de toute une population. Son sketch "Que choisir" mettait en exergue un type un peu fumiste, un planqué ayant à choisir entre la résistance et la collaboration. Sous couvert d'humour très noir, il remettait à sa place toutes les personnes qui pensent qu'avoir une autre opinion est nécessairement un déviant et un dangereux salopard. Et pourtant, n'étant pas moi-même modéré ni même très charitable, on aurait pu m'accuser de fonctionner de la même manière… et pas nécessairement à tort. Cependant, si l'on y songe, pourquoi devrait-on se contenter du bien contre le mal, quand l'Homme, en grand imbécile imbu de sa supposée intelligence, se trouve justement à mi-chemin, oscillant lourdement entre deux extrêmes, et passant ainsi sa vie à s'interroger sur la bonne façon de faire ou de penser?

"La perfection est le vêtement de l'abruti qui se croit supérieur". C'est de moi, inutile de chercher où que ce soit cette réflexion lapidaire (surtout que certains pourraient s'amuser à le faire afin de démontrer, s'il en eut été nécessaire, que je suis un vil plagiaire dont chaque mot est volé à un tiers), mais elle définit clairement ce que je pense. La perfection morale, éthique, intellectuelle n'est là que pour avoir un objectif idéalisé, et non une véritable possibilité de l'atteindre. Que ce soit par la Foi, par l'éducation, l'information, ou encore par simple réflexe conditionné, nous tentons tout de même faire le "bien", selon nos critères hautement essentiels, à savoir les nôtres en propre! Prenons un exemple: une personne A défend son opinion, et la personne B, n'arrivant plus à argumenter pour prouver à A (oui comme le groupe de musique, les plus jeunes chercheront) qu'il a tort, finira par le taxer de fasciste. Qui, de celui taxe l'autre de fasciste, ou de celui qui est accusé de l'être, est réellement le fasciste? Ici, la réponse est simple: tant qu'on ne connaît pas le sujet débattu, les deux le sont tout autant. Et c'est là que le problème de fond apparaît: accuser l'autre de tous les maux n'est qu'une dérobade et pas un argument. Pourtant, la toile est le repaire des loups se voulant agneaux, des rois de la victimisation qui se sentent agressés dès qu'on ne les soutient pas de manière parfaitement inconditionnelle.

Sevilla a écrit un ouvrage fort intéressant (bien que très orienté politiquement) nommé "Terrorisme intellectuel". L'idée de fond est: si tu n'es pas avec moi, tu es contre moi. Par cette dichotomie définitive, aucun débat ne peut être décemment enclenché. Prenons un cas concret en attrapant Martine, une féministe si convaincue qu'en la métamorphosant en homme on aurait le pire des phallocrates. Que nous braille cette harpie échevelée dont le fond de la pensée n'est pas plus glorieux que les idées rétrogrades des revanchards à balloches qu'elle affronte? Elle hurle au monde "Les hommes sont des salauds, tous des pourris, et dire le contraire c'est considérer les femmes comme des objets… donc cela fait de celui qui s'oppose à cette généralité est automatiquement une ordure". Raté Martine! Le féminisme devrait être l'amélioration de la condition de la femme, l'obtention de droits parfaitement légitimes comme celui d'être protégé des brutes qui les maltraitent, ou tout simplement d'avoir une vie professionnelle tout aussi normale que celle d'un homme. En revanche, cela ne donne en aucun cas le droit de traiter tous les hommes comme des pourritures potentielles. Ces hystériques qui ne voient en moi qu'un abruti de plus doté d'attributs que je n'ai pas choisi, est-ce qu'elles vont apprécier que je dise que toutes les femmes sont des salopes, parce que j'aurais eu le malheur d'en croiser une dans mon existence? Cette généralité est-elle acceptable? A vous de vous faire une opinion!

J'admire (ironie) cette attitude réductrice où celui d'en face est forcément un con parce qu'il a la couleur de peau, la religion, ou même le sexe qui ne convient pas. Ne pas soutenir n'importe quoi n'amène pas forcément qu'on accepte en retour son contraire le plus débile! Tous les hommes ne sont pas des salauds, et ça ne fait pas de ma sœur une salope pour autant que de dire le contraire. La masculinité, élevée au rang de comportement animal, est probablement une des pires catastrophes sociale qui soit. De par le monde, la philosophie machiste, religieuse étroite d'esprit, ou encore bêtement hors de toute éducation progressiste rend bien des hommes stupides et violents. On en fait des symboles même de l'autorité… tout en oubliant que ces mêmes hommes ont été torchés par leur mère! L'équité? Quelle équité? Il ne s'agit pas de parler d'équité ni d'égalité d'ailleurs, mais simplement de respect mutuel. Je suis incapable d'assumer ni d'assurer ce que bien des femmes font au quotidien. On en demande énormément aux femmes: elles doivent être belles, intelligentes (mais pas trop pour ne pas faire de l'ombre aux vrais phallocrates), sexy sans être vulgaire, capables de tenir une maison, de s'occuper des enfants, d'avoir une carrière professionnelle, le tout sans pour autant déranger le petit confort des mâles. Qu'est-ce qui manque? Le respect, ni plus, ni moins. Se comporter en brute mettant tous les hommes dans ce panier ne vaut pas mieux.

La Femme, le beau sexe, celui qui me plaît, m'emplit de désir, de plaisir, de joie quand je leur parle, de fierté quand j'ai le plaisir de vivre avec, de chaleur quand je ris en sa compagnie, cette Femme majuscule est celle que vous croisez au quotidien. Décomplexée, fière de ce qu'elle est et de ce qu'elle fait, vous lui devez autant de respect qu'à l'autre type qui se détruit la santé au boulot, qui rentre à des heures impossibles pour donner une vie décente à sa famille. La Femme, la belle Femme, celle que vous aimez de tout votre cœur, vous ne pouvez que la traiter avec égard, car elle vous complète, vous soutient, en supporte énormément plus que vous ne le pensez. C'est tellement facile de dire "elle est à la maison, c'est plus simple", tout en omettant ce que cela représente! Réduire la Femme au rang d'objet ne vaut pas mieux, car l'objet en question a une conscience, un cœur, des sentiments, et des désirs. Ne pas les écouter, c'est déjà tendre vers les modèles les plus intolérables.
De votre côté mesdames les hystériques, les brûleuses de soutien-gorge, les anarchistes du bas résille qui a filé, revenez un peu dans le monde et songez que nombre d'hommes vous aiment comme vous êtes, vous respectent et ne vous considèrent pas uniquement comme de la viande sur un étal. Je ne suis pas plus ravi de la compagnie d'un macho qui se prend pour un étalon, tout en étant en privé un ahuri solitaire et frustré, que d'avoir pour voisin de table une dingue qui me regarde avec l'œil torve et brutal d'une désœuvrée qui, sans me connaître, m'assimile à son ex qui, lui, était une ordure finie. Les deux m'incitent à vouloir les enfermer ensemble dans une pièce exiguë afin qu'ils s'entretuent, tout en prenant soin d'équilibrer les chances en leur donnant chacun des armes. Autant qu'ils évacuent le monde, et qu'ils légitiment ce que Darwin a énoncé comme loi sur l'évolution!

Ma Sœur, ma femme, mon amour, oublie donc que certains sont des connards, laisse-les pourrir dans les culs de basse fosse, et reviens donc dans la lumière. Etre extrême et binaire dans son attitude, c'est être un miroir des attitudes que vous voulez combattre. Soyez Femmes, soyez vous-même, et laissez aux imbéciles le loisir de s'entretuer. Après tout, la beauté n'est-elle pas d'être au-dessus de la fange?

06 mai 2015

04 mai 2015

le 30/04

Il est vouté, comme écrasé par une chose invisible et monstrueuse que lui seul doit subir. L'œil hagard, clairement terni par le manque de sommeil, c'est un petit bonhomme brun dont les dents semblent devoir tomber tant tout son corps est décrépi. Vieux avant l'âge, élimé, il est à l'image de son costume dont l'état est à l'image de son propre délabrement. Et là, assis dans un profond canapé de cuir, il paraît plus petit, presque minuscule et anodin. Ses mains et ses doigts jouent les uns avec les autres, et son agitation laisse penser à quelqu'un dont la fièvre ou la sénilité désagrège la coordination. Sous sa moustache bien entretenue, il bredouille des suites ininterrompues de mots incompréhensibles pour les autres. Pourtant, son apparence ne trahit une trace d'une folie ostensible, il n'a pas cette attitude d'être perdu ou complètement dément… juste celle d'un homme égaré dans ses pensées, broyé par des réalités qui lui sont supérieures.

Soudain, sans aucune raison apparente, il se met à vociférer, à invectiver celles et ceux qui l'entourent. Il est hors de lui, s'acharnant sur toute personne passant à proximité, les traitant de lâches, de traitres, et ajoutant à l'insulte les injures les plus grossières. Ce n'est plus cet homme flétri, sa voix tonne, résonne, ses hurlements profonds font vibrer les cœurs, et terrifient son entourage. Ses proches, ses fidèles scrutent son faciès avec incrédulité. De quoi parle-t-il? Il n'est pourtant pas aveugle ni sourd, il "sait" où il est et ce qu'il se passe. Malheureusement, il leur apparaît clair qu'il ne veut plus être dans la réalité, il est dans le songe, dans l'ivresse des rêves brisés et des fantasmes émasculés. Il avait espéré, cru jusqu'au dernier moment en son destin, et là, la réalité, déterminée par ses propres errements et par ce qu'il appelle "ses ennemis" revient à la charge. Il n'y aura pas de prochain noël pour lui, pas plus que pour celles et ceux qui se raccrochent encore à son image.

Ah, argumente-t-il avec emphase, ah ses amis du passé étaient autrement plus sûrs, plus fermes, plus efficaces que la clique de dégonflés et de profiteurs qui le cernent! Il les voit, lui, les traitres à sa cause, il les sent à présent quand la peur et la mort les menace! Ses gestes sont démesurément agités dans l'air, comme s'il espérait attraper un papillon de nuit qui n'existe pas. Les poches sous les yeux, il s'éteint aussi rapidement qu'il s'est enflammé, et ses bras retombent sur ses flancs dans un claquement de désespoir. C'en est assez se dit-il en maugréant contre la faiblesse des autres quand lui-même se donnait corps et âme à sa cause. Des années de lutte, de politique, tout ça pour finir dans un réduit, le corps brisé et l'âme en peine… De quoi faire déprimer, même les plus robustes et les plus insensibles.

Cependant, ce n'est pas pour les autres qu'il réfléchit à présent. Il considère que s'ils ont perdu, tout le monde devra en payer les conséquences. Il se moque du destin des autres, à tel point que cela ne lui fait aucun effet quand il doit décider du destin de ses collaborateurs. Il s'en fout. Il est las. Il est fatigué de réfléchir pour les autres. Il en a assez de devoir tout leur dire, tout leur expliquer, car pour lui ce qui relève du bon sens est inaccessible au commun des mortels. Des incapables, des mous, des faibles! Grogne-t-il en grignotant un repas ascétique. Tous se bâfrent, ont vécu aux crochets du système, et maintenant qu'il faut se battre pour le sauver, ils fuient, ils ont peur… des pourris!

Ratatiné comme un fruit confit, les yeux plus torves que pétillants, il s'est à nouveau avachi dans son canapé. Les observateurs qui l'ont vu aux dernières réunions l'ont écouté manipuler des équipes dissoutes, discourir sur des choses qui n'existent plus, et donner des ordres parfaitement irréalisables. De peur de le vexer, on s'écrase, on se ratatine, et on fait mine d'obéir. L'aveuglement n'a pas cours: il sait qu'ils font semblant, et eux savent qu'ils ne peuvent pas lui dire la vérité. Deux sourds qui cherchent à se parler de vive voix par téléphone en quelque sorte. Alors, il jette les cartes au sol, il balance les crayons en hurlant sa frustration, il maudit le jour où il a cru pouvoir faire quelque-chose de ce peuple qu'il accuse de s'être engraissé, de s'être perdu dans le luxe et le confort, et sa rage ne fait que croitre quand il songe à l'existence de certains de ses plus proches amis et serviteurs. Des gras, laids, obèses, fainéants et ivrognes ajoute-t-il avec colère et chaleur.

Puis, enfin, il se rend compte de ce qu'il est réellement. Il a été un chef craint, il est devenu un chef honni et traqué, et demain s'il ne fait rien, il sera exhibé comme un trophée par les vainqueurs. Il ne veut pas de ça, pas de procès, pas de lynchage en public! Il a vu un coreligionnaire être pendu et traité comme la pire des souillures, et ça, cette ultime humiliation, il en est hors de question. Alors, il organise son départ, fait en sorte de laisser une trace écrite, une des rares qu'il a daigné signer. L'oral suffisait, mais après la mort seuls les écrits perdurent! Se dit-il en paraphant le document tapé à la machine. Il le jauge, le soupèse, et il est convaincu que ce papier, ces quelques grammes de pulpe de bois seront non pas un testament, mais un mode d'emploi pour les générations futures. Il y croit; il est convaincu que son héritage va survivre par-delà la défaite et le déshonneur. Et il se prépare à partir, fier, orgueilleux, au nez et à la barbe de ses ennemis. Une ultime provocation, un pied de nez à l'histoire, qu'elle soit minuscule dans ce bunker de Berlin, ou majuscule parce qu'il ne sera jamais oublié.

Il se farcit de cyanure puis se fait sauter la cervelle dans la foulée. On brûle sa dépouille et celle de sa femme. On incinère, on ventile les restes pour qu'il n'y ait ni corps, ni même un trophée. D'une Histoire morbide où son obstination sadique a poussé un continent dans la guerre, jusqu'à sa légende absurde disant qu'il aurait fui les ruines, Hitler laisse au monde un héritage bien plus vaste qu'on ne peut décemment l'envisager. Sans cette guerre, les rapports de force est-ouest n'auraient pas atteint l'éventualité d'une guerre froide. Sans cette guerre, les frontières n'auraient pas été redessinées. Sans lui, nous n'aurions pas de nouveaux mots dans notre dictionnaire des atrocités. Sans lui, nous n'aurions jamais pu imaginer que l'on puisse organiser un état de la sorte, en jonglant tantôt avec un ordre glacé et inhumain, une propagande vantant le contraire, et des camps d'extermination génocides.

Hitler est mort il y a 70 ans. Ce fut pour beaucoup le plus beau jour de leur vie. Pour d'autres, ce fut l'heure d'un suicide rituel. Pour les derniers, l'espoir que le conflit s'arrête enfin. Pour moi, c'est une date parmi d'autres, car ce n'est pas un seul homme qui fait tout de ses mains, mais c'est un seul homme qui peut déterminer le sort de l'humanité toute entière.